• revue historique et critique des f ails et des idées - bimestrielle - JUILLET-AOUT 1965 B. SOUVARINE ............ . OTIO ULC ................ . Vol. IX, N° 4 Vingt ans après Pilsen, révolte méconnue L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE E. D ............. . Lys..enko, ou la fin d'une imposture . CASIMIR GRZYBOWSKI .... - Le droit pénal soviétique DÉBATS ET RECHERCHES YV'FS ÛVY ................ . Communards et pétroleuses QUELQUES hvREs JOSEPH FRANK: Conflit de générations Compte rendu par E. MANINT, note de CLAUDB HARMBL CHRONIQUE Clio et le staHnlsme INSTITUT D'HISTOl}lE SOCIALE, PAlllS Biblioteca Gino Bianco . , ,
Au ' . somma 1re des derniers numéros du· CONTRAT SOCIAL NOV.-DÉC. 1964 B. Souvarine A l'Est, rien de nouveau Bertram D. Wolfe Un siècle de "marxisme JJ Yves Lévy Un soldat dans la politique lvanov-Razoumnik Destinées d'écrivains (Il) Jerry F. Hough Khrouchtchev aux champs D. P. Hammer Chez les étudiants de Moscou K. Papaioan_nou Le mythe de la dialectique (Il) Chronique Mœurs des diurnales MARS-AVRIL 1965 B. Souvarine Le Moujik et Je·Commissaire N. Valentinov Le socialisme " dans un seul pays >J Max Eastman Autour du « testament » de Lénine Laszlo Tikos Eugène Varga.:- un conformiste malgré lui Mary Jane Moody Tourisme et rideau de fer * P.-J. PROUDHON : CENT AN$ APRÈS . Maurice Bourguin Des rapports entre Proudhon et Karl Marx Lettres ..in6dites de . P.-J. Proudhon JANV.-FÉV. 1965 B. Souvarine Dépersonnalisation du pouvoir soviétique Léon Emery L'opinion publique et l'art de s'en servir E. Delimars Déstalinfsation d'/van le Terrible Anthony Sylvester Dans la province russe Sidney Hook· Hegel penseur libéral 7 Chronique Salmigondis à l'italienne * Pages oubliées L'ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS MAI-JUIN 1965 B. Souvarine La guerre impossible Le stalinisme Léon Emery Les Etats-Unis contre la subversion N. Valentinov Entretiens avec Maxime Gorki Lucien Laurat Décolonisation et tr socialisme » E. Delimars Les méfaits de Lyssenko Maurice Friedberg La censure soviétique • Michel Collinet Les débuts du machinisme (1760-1840) Ces num6ros sont en vente à l'administration de la revue 199, boulevard Saint-Germain, Paris 7• Le num6ro : 4 F B1blioteca Gino Bianco
kCOMi.i] rn11, l,i1tori11u ,t rrÎIÎIJIU Jrs /•ils d Jrs iJlrs JUILLET-AOUT 1965 - VOL. IX, N° 4 SOMMAIRE Page B. Souvarine . . . . . . . . VINGT ANS APRÈS.................... 209 Otto Ulc . . . . . . . . . . . PILSEN, RÉVOLTE MÉCONNUE . . . . . . . . . . 219 L'Expérience communiste E. Delimars . . . . . . . . . LYSSENKO, OU LA FIN D'UNE IMPOSTURE 224 Casimir Grzybowski LE DROIT PÉNAL SOVIÉTIQUE ..... ·..... 233 Débats et recherches Yves Lévy . . . . . . . . . . COMMUNARDS ET PÉTROLEUSES . . . . . . . 242 Quelques livres Joseph Frank CONFLIT DE GÉNÉRATIONS .................. . 254 E. Mani nt . . . . . . . . . . SCIENCE IN RUSS/AN CULTURE, A HIS TORY TO 1860, d'ALEXANDRE VUCINICH. . . . . . . . . . . . . . . 259 Claude Harmel . . . . . . A PROPOS D'HENRI DE MAN ET DE LÉON BLUM.. 261 Chronique CLIO ET LE STALINISME......... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264 Biblioteca Gino Bianco
DIOGENE Revue Internationale des Sciences Humaines Rédacteur en chef ROGER CAILLOIS N° 52 Octobre-Décembre 1965 SOMMAIRE John Joseph Saunders . Le nomade comme bâtisseur d'empire conquête arabe et conquête mongole.· S. Alexander Weinstock. Le modèle médical en psychopathologie. William Sacksteder . . . . . Éléments du modèle dramatique. Franz Crahay . . . . . . . . . Le « décollage » conceptuel. Conditions d'une philosophie bantoue. Max Horkheimer. . . . . . . Sur la notion de liberté. Chronique Dom Jacques Froger . . . La machine électronique au service des sciences humaines. RÉDACTION ET ADMINISTRAT/ON : 6, rue Franklin, Paris 16e (TAO 82-21) Revue trimestrielle paraissant en quatre langues : anglais, arabe, espagnol et français. L'édition française est publiée par la Librairie Gallimard, 5, rue Sébastien-Bottin, Paris J:è Les abonnements sont souscrits auprès de cette maison (CCP 169-33, Paris) Prix de vente au numéro : 5,50 F Tarif d'abonnement : France : 20 F ;· t:tranger : 25,50 F Biblioteca Gino B-ianco \ 1.
revue ltistorÎIJUeet critique JeJ faitJ et Jes iJée1 Juillet-Août 1965 Vol. IX, N° 4 VINGT ANS APRÈS par B. Souvarine VINGT ANS ont passé depuis la fondation des Nations Unies et les accords de Potsdam qui, dans l'esprit des leaders occidentaux de la coalition victorieuse à l'issue de la deuxième guerre mondiale, devaient assurer à l'Europe et au monde une paix et un ordre durables. En réalité Truman et Churchill, continuant plus ou moins la politique aberrante de Roosevelt et spéculant sur une coopération communiste illusoire, avaient concédé à Staline des avantages injustifiables qui confirmèrent l'ex-partenaire d'Hitler dans ses intentions de passer outre aux engagements conclus et d'agir à sa guise au mépris de la parole donnée. Toute l'histoire consécutive aux conférences de San Francisco.et de Potsdam consiste essentiellement en violations systématiques de tous les traités signés par Staline et consorts 1 • En sorte qu'aux Etats-Unis finit par prévaloir l'idée d'avoir « gagné la guerre et perdu la paix », formule séduisante et trompeuse puisqu'en bonne logique gagner une guerre implique d'imposer une paix conforme aux intérêts de ceux qui la 1. Accords, Pactes et Traités violés par !'U.R.S.S. (Faits et références). B.E.I.P.I. Supplément du n° 59, Paris, 1 c-r janvjer 1952. United Nations World, n° 11, novembre 1950. Background Information on the Soviet Union in International Relations. Washington 1950. Russia's Violations of its Agreements with the United States, by Reprcsentative Louis B. Heller. From the CongressionalRecord, June 7, 19.51. Soviet Political Treatiesand Violations. United States GovernmentPrintingOffice. Washington19.5.5. Soviet Political Agreements and Results. United States GovcrnmentPrintingOffice. Washington19.56. Biblioteca Gino Bianco gagnent. En fait une troisième guerre mondiale dont l'issue est imprévisible a co1nmencé, sous des aspects changeants et des formes inédites, peu après Potsdam et, chaude ou froide, bat son plein à l'heure actuelle. L'esprit routinier se refuse à interpréter exactement ces aspects changeants et ces formes inédites que la fixité du vocabulaire ne permet pas de définir en termes adéquats. On appela « guerre des nerfs » le genre d'hostilités que menait Hitler contre des ennemis imaginaires avant de déchaîner ses offensives en rase campagne, puis « drôle de guerre » la période écoulée entre les déclarations de guerre et les inva~ns proprement dites. Il fallut alors inventer la « non-belligérance » de certains pays pour la différencier de la neutralité correctement comprise, voire la « non-belligérance active » signifiant une solidarité inavouable avec « l'Axe » (autre expression de circonstance) et préparant la belligérance tout court pourvu que les événements s'y prêtassent. Ce que l'on entendit ensuite en Occident par « guerre froide », synonyme de « guerre des nerfs », Staline le qualifia de « coexistence pacifique », mais il s'agissait toujours d'hostilités inlassables exercées par des Etats contre d'autres qui s'avèrent impuissants à y faire face, quitte à s'armer en prévision d'une guerre atomique jusqu'à présent exclue des perspectives raisonnables. Ces hostilités, d'abord conduite par le seul Etat dit soviétique, puis par plusieurs Etats participant de gré ou de force à la même entreprise, sont précisément une troisième guerre plus « mondiale » que les deux précédentes, sous les aspects chan-
10 . geants et les formes inédites, qui décon~erten~~t prennent au dépourvu les defenseurs dune c1v1lisation irrésolue et désorientée. La conférence de Potsdam faisait suite à celles de Téhéran et de Ialta dont elle est inséparable et par conséquent doit être ,a?préciée en con: nexion avec les deux precedentes, ce qui condamne toute la littérature politique de bas étage selon laquelle la participation de la France à la conférence de Ialta aurait pu changer le cours des choses. Outre que Stalin~_n',admettait absolument pas la France aux dehberations des trois puissances principales, rien ne. décèle la moindre conception, la moindre volonté, la moindre possibilité françaises propres à modifier les vues des maîtres de l'heure. La France se rallia explicitement aux accords de Potsdam en formulant seulement des réserves mineures sur « la reconstitution des partis politiques pour l'ensemble de l'Allemagne » et sur « la création de départements administratifs centraux », puis des réserves plus importantes en préconisant « la séparation définitive de la région rhéno-westphalienne, Ruhr· comprise, d'avec l'Allemagne ». Quoi qu'on puisse penser de cette exigence irréalisable dans les conditions données, puisque Staline avait déjà refusé de s'y prêter lors de ses entretiens avec de Gaulle à Moscou en 1944, personne ne prétendra sérieusernent que sa réalisation eût détourné Staline de ses desseins perfides, eût normalisé et stabilisé la situation en Europe. Le projet américain de réduire l'Allemagne et le Japon à l'impuissance définitive aux flancs d'un Empire démesuré à visées universelles s'avéra très vite aussi inconsistant qu'impolitique. L'aberration calamiteuse de Roosevelt, partagée en partie par Churchill, puis différemment par Truman, fut de regarder Staline comme un allié véritable dans une cause commune défensive de leur démocratie alors qu'il n'était qu'un partenaire occasionnel et involontaire, acculé malgré lui par Hitler à ce rôle équivoque, _et qu'un ennemi invétéré de toute démocratie, bien résolu à jouer en traître son propre jeu de domination impéraliste aux frais non seulement des vaincus mais aussi des vainqueurs. Les politiciens américains et britanniques ignoraient le mot de Lénine, applicable dans tous les c~s majeurs : « Staline conclura un compromis pourri et trompera. » Dans leur impardonnable méconnaissance des réalités soviétiques, ils ont supposé qu'un cruel et sanglant de~pote, sa?s principes ni scrupules, capable des pues f~rfaits dans sa politique intérieure, se comporterait correctement en matière de politique internationale. De cette absurdité monstrueuse allaient s'ensuiBibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL vre des malheurs irréparables et la sinistre situation « ni paix ni guerre » où se débat le monde actuel, plus exactement « ni paix véritable ni guerre générale déclarée », mais qui présente les aspects changeants et formes inédites de la troisième guerre mondiale hypocritement surnommée coexistence pacifique. ROOSEVELT DISPARU, Truman n'était pas mieux préparé à traiter avec les « s~ns scrupules conscients » de Moscou. Moins prétentieux que son prédécesseur, il a su d'abord avec bon sens tenir ferme sur certains points au cours des négociations de Potsdam. Mais mal instruit de formation et sans doute mal guidé par des conseillers épisodiques, il céda ensuite sur l'essentiel, notamment en acceptant les faits accomplis au sujet de la Pologne, particulièrement abominables entre beaucoup d'autres. Le sort des futures « nations captives » (Etats baltes, pays des Balkans et de l'Europe centrale) était ainsi tranché d'avance. Ayant inconsidérément laissé les armées soviétiques occuper des territoires dont on ne pourrait les déloger par persuasion, Truman permit même à Staline de poser bientôt au vainqueur du Japon après cinq jours de promenade militaire en Mandchourie que l'histoire et la propagande communistes inscrivent impudemment à la gloire impérissable du régime. Dé_tailridicule et consternant, le président des Etats-Unis s'oublia jusqu'à pianoter des préludes de Chopin pour charmer Staline, amateur averti de piano mécanique 2 • Il n'aurait pu rien imaginer de mieux pour se déconsidérer aux yeux de son cynique interlocuteur. Quant à Churchill, assez clairvoyant pour pressentir les complications désastreuses à venir derrière le « rideau de fer », U se fit battre aux élections en pleine conférence et remplacer par une nullité travailliste devant Staline décidément favorisé du sort. On ne tarda pas à s'apercevoir des , consequences. En décidant de se rendre à Téhéran, puis à Ialta, puis à Postdam pour confabuler avec 2. Dès qu'il se sentit maître du Parti unique et de l'Etat soviétique, Staline s'offrit pour sa délectation personnelle, aux frais du bon peuple, un piano mécanique à rouleaux de carton perforé comme on en voyait jadis dans nos guinguettes de banlieue et les villes de garnison. Ce n'est là qu'un des traits caractéristiques de ce philistin devant lequel se sont prosternés tant d' « intellectuels de gauche » (sic), et pas seulement ceux de gauche, pendant plus d'un quart de siècle. Appelés « intellectuels » par antiphrase, ces gens seraient encore en leur posture abjecte, n'étaient les aveux partiels de Khrouchtchev et consorts sur les « erreurs » et les atrocités commises par Staline.
B. SOUVARINE Staline, les leaders de l'alliance atlantique ne faisaient que suivre l'exemple désastreux des ministres anglais et français qui s'étaient rendus, au double sens du terme, à Munich pour y subir les prétentions exorbitantes d'Hitler. On se demande à quoi servent les ambassadeurs, les plénipotentiaires, les conseillers diplomatiques et militaires, si les chefs d'Etat en personne se substituent à la légère au personnel qualifié pour déterminer le sort des peuples sans préparation ni expérience suffisantes, sans prendre le temps de la réflexion et des consultations nécessaires. D'autres conférences internationales ont eu lieu par la suite, du même type vulgairement dénommé « au sommet », de plus en plus absurdes, toujours pour « apaiser » le despotisme oriental, dégénérant en spectacles sur la place publique, dans le tumulte de la publicité multiforme qui avilit et déshonore la civilisation moderne. Seuls les fauteurs de troubles et les entrepreneurs de subversion y trouvent leur compte et, pour cette raison parmi bien d'autres, on ne doit pas s'étonner que tout aille de mal en pis dans un monde privé de guides politiques et de directions spirituelles. Truman avait poussé l'inconscience à Potsdam jusqu'à dire à l'un de ses proches qu' « il ne trouvait pas difficile de s'entendre avec Staline ». C'était en effet d'autant plus facile que Staline, ayant obtenu plus qu'il n'osait l'espérer, était bien résolu à prendre le reste sans se soucier des « chiffons de papier », à renier sa signature autant de fois que cela lui paraîtrait pr.ofitable. Des millions de victimes attestent la non-difficulté d'ententes de ce genre. Pour donner une idée de l'information et de la compétence des hommes d'Etat occidentaux en affaires communistes, il faut encore citer Truman déclarant trois ans après Potsdam, dans un discours prononcé à Eugene, dans l'Oregon : « J'ai fait ample connaissance avec Joe Staline, et j'aime ce vieux Joe, c'est un type convenable. Mais Joe est prisonnier du Politburo. Il ne peut pas faire ce qu'il veut. Il prend des engagements et, s'il pouvait, il les tiendrait, mais les membres du gouvernement [?] disent très nettement qu'il ne peut pas les tenir. » La version d'après laquelle un Staline débonnaire, modéré, conciliant, tenait tête à son entourage fanatique et belliqueux, a longtemps prévalu à Washington, les variantes ne valant guère mieux à Paris et à Londres. Il fallut en 1948 le « coup de Prague » pour ramener les divagateurs aux aures réalités d'ici-bas. Encore l'armée soviétique n'eut-elle pas à intervenir directement pour liquider le régime pro-communiste de Benès : il lui suffisait de faire sentir à proximité sa présence. Ce dont Biblioteca Gino Bianco 211 Staline put s'abstenir à Prague, Khrouchtchev le fera en usant d'engins blindés contre les ouvriers et les étudiants de Budapest dix ans plus tard. Mais en 1948, les démocraties d'Occident eurent la révélation soudaine d'un danger latent à l'Est et, renonçant à la démobilisation générale qui était leur souci majeur, surtout aux EtatsUnis, elles envisagèrent les mesures militaires propres à parer aux éventualités les moins probables. Mesures pleinement justifiées par les armements formidables de l'Union soviétique, mais qui ne dispensaient pas de recourir aux voies et moyens politiques pour riposter à la guerre politique déchaînée par Staline et ses acolytes. Du moins comprit-on à l'époque, de ce côté-ci du « rideau de fer », qu'un ennemi implacable se tenait embusqué de l'autre côté, prêt à profiter de toute défaillance apparaissant chez les gardiens de la paix froide. Ce qui ne fut pas compris, c'est qu'en aucun cas cet ennemi ne prendrait le risque d'une conflagration générale entraînant de nos jours l'emploi des armes atomiques. Il en advint le traité de l'AtlantiqueNord et son organisation centrale correspondante (Nato) qui ne pouvait et ne peut empêcher l'expansion du communisme par des procédés tout autres que ceux de la conquête classique. Devant un ennemi omniprésent sous le camouflagede la coexistence pacifique, rien ne s'oppose à sa prolifération cancéreuse, avec ou sans violences, faute d'intelligence et d'action politiques appropriées au mal à combattre. Staline a pourri la paix, à l'instar d'Hitler qui avait dit : « Je pourrirai leur guerre. » * ,,.,,. L,\ÉE FAUSSE d'une menace de guerre mondiale et nucléaire au moindre prétexte, équivalant à un suicide collectif, devait laisser le champ libre à Staline, à ses émules et à ses successeurs déjà très avantagés par le secret de leur stratégie ainsi que de leurs tactiques, la constance de leurs opérations, la permanence de leurs initiatives, tandis que les démocraties débiles étalent au grand jour leur désarroi et leurs incertitudes, révèlent à tout venant leurs craintes et leurs scrupules, bavardent à l'infini pour conclure à l'urgence de ne rien faire. Le blocus de Berlin sous Staline et le mur de Berlin sous Khrouchtchev illustrent tristement ce cours de l'histoire récente qu'il eût été facile de détourner dans un meilleur sens à condition de ne pas s'attendre pour si peu à une guerre-suicide. Quand l'ennemi se sentit capable de tâter, sans risque majeur, les gardiens de la paix armée, en Corée, « il s'agissait d'un premier défi ,
212 . de l'impérialisme communiste au monde libre », observera justement Mac Arthur, qui ajoute : « La timidité engendre les conflits que le courage évite. » (Ce n'était nullement le premier défi, mais il faut comprendre le « premier » sous forme d'agression militaire.) Toutes les fautes commises alors par les Américains, qui assumaient presque seuls la charge de la défense pour le compte des Nations Unies, sautaient aux yeux bien avant la publication des Mémoires de Mac Arthur, toutes ces fautes donnèrent à la Chine cause quasi gagnée d'avance, lui permettant de chanter victoire sans contrepartie adverse et incitant Mao, plus tard, à moquer urbi et orbi le « tigre de papier ». Les conséquences de tant d'inconséquences n'ont pas fini de peser sur les événements ultérieurs. On sait par Mac Arthur dont suivent des citations de ses Mémoires, que le State Departrnent avait privé d'artillerie, de tanks et d'aviation la Corée du Sud pour « l'empêcher d' attaquer celle du Nord · ». Quand l'invasion se produisit au contraire du Nord au Sud, Poster Dulles pensa que « notre inaction pendant que la Corée est occupée à la suite d'une attaque non provoquée entraînerait une guerre mondiale ». Mais ensuite la conduite des opérations se ressentit constamment de cette obsession d'une guerre mondiale, propagée par des politiciens ignares à Londres et à Paris, partagée par des délégations non moins ignares aux Nations Unies qui inventèrent la notion insensée du « sanctuaire » garantissant aux Chinois l'impunité de leur intervention directe. « L'esprit de résolution et de courage montré tout d'abord par Truman en décidant de relever le gant et de combattre le communisme en Asie était progressivement battu en brèche par ceux qui donnaient des conseils de cynisme et de prudence »; dit Mac Arthur. Influencé de la sorte, Truman finit par interdire de faire la guerre « comme on doit la faire : pour vaincre ». Les précisions et citations fournies par Mac Arthur à cet égard sont irréfutables. De Washington. ordres et contre-ordres se succédaient, paralysant l'armée américaine, favorisant les armées ennemies déjà servies par les indiscrétions et les renseignements qui filtraient tant des Nations Unies que de Londres et d'ailleurs. « Il est certain que le commandement ennemi est informé des ordres que j'ai reçus, autrement il ne se serait jamais risqué en force sur les ponts du Yalu », écrivait confidentiellement Mac Arthur à son chef d'état-major, au plus fort du combat. Moscou et Pékin auraient payé cher les informations qui leur venaient gratis, en particulier des Nations Unies, sans parler de celles que recueilBibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL laient trop aisément leurs services « spéciaux ». Même sans faire la part des trahisons caractérisées, jamais guerre impliquant un enjeu de telle importance ne s'est livrée dans des conditions pareilles. « Un souci se fait jour de plus en plus aux Nations Unies quant à la possibilité d'une guerre générale qui pourrait résulter d'une bataille importante avec les forces communistes chinoises », télégraphiait ingénument le haut étatmajor américain à Mac Arthur. Un autre message officiel disait que « la Corée serait un terrain mal choisi pour nous embarquer dans une grande guerre » et qu'il fallait réserver des troupes « en face de la menace croissante d'une guerre mondiale ». Mac Arthur a eu mille fois raison de répondre sur ce point : « J'ai toujours · pensé que la décision des Soviets de provoquer ou non une guerre mondiale dépend uniquement de leur évaluation de l'équilibre des forces respectives et qu'aucun autre facteur n'influe sérieusement sur leur détermination. » Le lamentable Attlee fut comblé de félicitations par tous les défaitistes de France et d'Angleterre, manœuvrés par les agents de l'ennemi, comme ayant, par ses pressions sur Truman, épargné au monde une catastrophe nucléaire. Ces quelques rappels aussi brefs que possible montrent assez les effets irréparables du chantage à la troisième guerre mondiale, prouvent aussi le rôle néfaste des Nations Unies en ces circonstances comme en beaucoup d'autres. On ne peut rien comprendre à la situation internationale actuelle si l'on oublie les leçons de la guerre de Corée, laquelle était vue à Washington comme une simple « opération de police ». La Chine, note Mac Arthur, « a tué cent cinquante mille Américains et plusieurs fois ce nombre de Sud-Coréens. Que doit-on, dès lors, appeler guerre ? » Il remarque très . pertine.µiment : « Le gouvernement ne faisait rien pour renseigner l'opinion », réflexion toujours actuelle, et l'on ne saurait que souscrire à ses affirmations énoncées en pleine lutte, bien avant ses Mémoires, « que c'est ici que nous défendons l'Europe avec nos armes tandis que les diplomates le font encore avec des mots ; que si nous perdons la guerre contre le communisme eJ;J.Asie, la chute de l'Europe est inévitable ; que si nous la gagnons, l'Europe évitera probablement la guerre tout en préservant ·sa liberté. » A quoi il ajoutera dans ses Mémoires : « Les faits ont démontré qu'on ne remplace la victoire que par le compromis à tout prix. Une grande nation qui entre en guerre et ne mène pas cell~-ci jusqu'à la victoire subit en réalité
B. SOUVARINE une défaite. Le compromis peut arrêter les pertes sur le champ de bataille, mais il constitue l'abandon des motifs ayant justifié l'entrée en guerre. ,. ,,*.,,. V INGT ANS APRÈS les accords de Potsdam vite emportés par le vent d'Est, quinze ans après la guerre de Corée terminée sur le compromis que Mac Arthur identifie à une défaite, années de confusion et d'improvisations qui, dans ce monde prévu « safe for democracy » par Roosevelt, laissent intacts et même aggravés les vrais problèmes à résoudre pour instaurer un ordre et une paix durables, les Etats-Unis sont seuls à lutter sur les positions stratégiques que les principales nations occidentales s'étaient conjointement engagées à défendre. Eux seuls tiennent en respect les forces soviétiques derrière le mur de Berlin dont ils ont eu le tort de tolérer l'érection par crainte irraisonnée d'une nouvelle guerre mondiale : Anglais et Français ne figurent là que pour la frime. Eux seuls essaient d'endiguer et de refouler la marée chinoise en Asie orientale comme si, brusquement, n'existait plus de guerre mondiale en perspective, mais néanmoins avec des précautions qui décèlent la crainte antérieure. Partout ailleurs où la violence subversive se déchaîne, où les victimes et les destructions s'accumulent, que ce soit en Asie, en Afrique, en Amérique pseudolatine, partout où le sang coule en abondance et où d'innombrables innocents périssent, les communistes sont à l'œuvre. Ils ont recruté des alliés actifs dans le fanatisme musulman et l'impérialisme pseudo-arabe, avec l'aide desquels ils provoquent ou alimentent des troubles sauvages dans maintes régions, naguère paisibles, d'Asie et d'Afrique. Quand ils n'étaient pas à l'origine d'une grande tragédie politique ou sociale, ils s'y introduisent aussitôt, l'exploitent, l'enveniment, l'élargissent, l'orientent et s'en emparent. Ils fournissent en quantités leurs armes modernes à des pays arriérés, même à des peuplades primitives, dont le niveau technique limitait jusqu'à présent la capacité de nuire à leurs semblables. Depuis leur immixtion dans le monde islamique, vrais et faux Arabes s'entre-tuent sans cesse au Proche-Orient et s'entre-massacrent sans pitié au Yémen, tandis qu'en Afrique des tribus et des clans s'entr'égorgent, s'entre-dépècent et s'entre-dévorent au nom du droit des colonies à disposer d'ellesmêmes. Les horreurs indicibles du cannibalisme au Congo, entretenues et attisées par Moscou et Pékin en émulation sordide, n'ont été enrayées Biblioteca Gino Bianco 213 que par une action salutaire des Belges et des Britanniques, certes condamnée par les vociférations communistes et réprouvée par les faux « intellectuels de gauche » qui s'en prennent intempestivement aux Américains, en marge des Nations Unies aussi impuissantes en l'occurrence que lors des agressions chinoises au Tibet et contre l'Inde. Les soi-disant Nations Unies ne servent que les ambitions et les manigances de l'ennemi . . ,, communiste, paracommun1ste ou apparente communiste, quoi qu'en disent les aveugles qui traitent des couleurs, les sourds volontaires intéressés à ne rien entendre et aussi les optimistes invétérés qui accordent par acte de foi au « parlement international » quelques mérites minuscules tirés par les cheveux. « Aucun Etat ne respecte les principes de la Charte », reconnaît Raymond Aron dans le Figaro du 28 juin dernier, · « aucun Etat ne s'abstient d'user de la menace de la force, aucun ne s'interdit l'ingérence dans les affaires intérieures des autres( ...). Aucun même ne respecte ce que l'on appelle le droit international. » Au regard de cette faillite frauduleuse, qu'importent des avantages infimes, à les supposer réels ? A présent la guerre fait rage au Vietnam où les Etats-Unis, cette fois sans mandat des Nations Unies silencieuses, résistent aux assauts qui mettent en péril le présent et l'avenir de toute l'Asie sud-orientale à court terme, le sort de l'Europe à plus longue échéance. Si par hypothèse naissait le moindre doute quant à la légitimité de l'intervention américaine dans la péninsule indochinoise, il serait dissipé che~ les gens sérieux par la réaction furibonde de Moscou et de Pékin, de leurs alliés et complices, de leurs clients et mercenaires, pour qui la conquête communiste seule est licite. Mais outre la question de principe, il y a comme toujours celle des voies et moyens qui suscite plus que des doutes, une véritable réprobation de nombreux spectateurs de tous calibres, gouvernements et individus, associations publiques et commentateurs professionnels ou amateurs. Une fois de plus, les responsabilités sont grandes à Washington des autorités qualifiées qui possèdent les moyens matériels de vaincre et renoncent aux moyens intellectuels de convaincre. Un autre Mac Arthur pourrait répéter de nos jours : « Le gouvernement [américain] ne faisait rien pour renseigner !>opinion », cependant que l'ennemi déploie à travers le monde une propagande effrénée et efficace contre les défenseurs de l'Occident qui se font tuer aux avantpostes en Extrême-Orient.
214 Somme toute les Etats-Unis pratiquent. un conseil émis en public par Dean Acheson, celui d'agir selon leur conscience sans tenir aucun compte du qu'en-dira-t-on à l'intérieur ou à l'extérieur, mais en fait ils se sentent contraints tôt ou tard d'en tenir plus ou moins compte, dans les pires conditions, incapables qu'ils sont de compenser un déluge de diffamation empoisonnée par quelques gouttes tardives d'antidote. D'autre part le défaitisme savamment répandu et cultivé par les maîtres-fourbes du communisme et leurs satellites, défaitisme auquel font écho d'innombrables dupes, induit à confondre le bien-fondé de l'intervention américaine avec les chances de réussite, et désormais c'est à qui se rangera du côté des vainqueurs présumés probables : or l'Oncle Sam s'abstient comme à plaisir de réfuter la thèse courante qui dénie toute éventualité de solution militaire au Vietnam et par conséquent donne partie gagnée aux communistes, sous quelque forme de neutralisation qu'on la présente .. I L EST DIFFICILE de croire que les tenants de la neutralisation du Vietnam méconnaissent qu'elle équivaudrait à l'annexion communiste à bref délai, puis à la création d'une nouvelle base de départ pour de nouvelles conquêtes. Cela signifie que selon leurs vues, l'expansion du communisme en Asie est une fatalité inexorable. On aimerait savoir comment, dès lors, ils conçoivent la sauvegarde future de l'Europe occidentale, prolongement du continent euro-asiatique dont la France n'est que le cap extrême. Les milieux officiels et officieux français esquissent un commencement de réponse en professant à cet égard une théorie restée longtemps nébuleuse, mais qui peu à peu se dessirie et s'éclaire, celle qui tient dans la formule gaulliste sur l'Europe constituée « de l'Atlantique à l'Oural » : rompant l'alliance américaine, l'Europe se mettrait à couvert derrière l'éternelle Russie amputée de ses colonies transouraliennes. Bien que de Gaulle ne se soit jamais expliqué sur ce concept de son cru, des gloses récentes aident enfin à le comprendre. D'une part, de Gaulle prévoit qu'à coup sûr les Américains seront défaits au Vietnam conformément au précédent de la défaite française et, de plus, à en juger sur leur façon de conduire la guerre. Ce qui revient à admettre l'avance irrésistible du communisme en Asie. Sur ce point, son avis longtemps discret est ouvertement confirmé sans ambiguïté par une déclaration de Soekarno après la visite de celui-ci à l'Elysée BibliotecaGino Bian-co LE CONTRAT SOCIAL (cf. dépêche Reuter du 2 août dernier, que nul démenti n'a contredite). D'autre part, il considère la mainmise des Chinois sur la Sibérie et le Turkestan comme inscrite dans la perspective historique, d'après notamment M. Sulzberger, du New York Times, renseigné à des sources qui nous sont inaccessibles. L'Oural tracerait donc la frontière naturelle de la Russie européenne et, partant, serait donc celle de l'Europe, limite au-delà de laquelle les vastes territoires actuellement soviétiques qoivent se soumettre à la Clriineun jour ou l'autre. Ainsi la formule « de l'Atlantique à l'Oural » deviendrait intelligible, sinon convaincante. Pourquoi de Gaulle, adoptant le déterminisme « biologique » de feu le Dr Starlinger en faisant abstraction de tout argument technologique, suppose-t-il que les Russes se croiseraient les bras devant le péril jaune concrétisé par la ruée chinoise ? Peut-être est-il frappé de la faiblesse dont ils font preuve sous les coups que Mao et son équipe leur assènent en paroles, en attendant de passer aux actes. Nul autre que lui n'a sur ce chapitre le secret de sa pensée mouvante qu'à son habitude il ne dévoilera sans doute que peu à peu, sous l'inspiration des circonstances 3 • Pour l'heure on s'interroge en vain sur le comportement des Etats-Unis qui ne cherchent pas plus à se faire approuver ou comprendre de leurs alliés traditionnels qu'à se faire respecter de leurs ennemis jurés, blancs ou jaunes. Au lieu de quoi l'on assiste à des choses stupéfiantes qui ne rappellent que trop les pires aspects de la guerre de Corée. Les leaders politiques, les généraux et les diplomates américains ne cessent de révéler au public, donc à l'ennemi, tout ce qù'ils ont par définition le devoir de taire. Les journaux rivalisent de zèle pour débal3. Lord Gladwyn, ancien ambassadeur de GrandeBretagne en France, dans un discours public prononcé. le 8 mars à Lyon, s'est exprimé en ces termes sur « le fameux schéma international de l'Atlantique à l'Oural dans lequel. par définition, ni l'Amérique ni la GrandeBretagne ne joueraient le moindre rôle » : [Le concept] « de quelque Etat monstrueux s'étendant de Brest à Magnitogorsk me paraît tout bonnement horrifiant. Où, je vous le demande, serait le centre de cette étrange union ? Berlin, on peut le supposer, serait la capitale la plus appropriée. Peut-on réellement imaginer que les Français ou les Russes souscriraient à un tel choix? D'autre part, comment amener les Russes à céder volontairement les 15 millions de kilomètres carrés de lèur territoire compris entre l'Oural et Vladivostok ? Et quel serait le rôle exact des 150 millions de Russes de ce côté-ci de l'Oural, qui constitueraient sans doute le groupe le plus puissant de la nouvelle confédération ainsi agrandie, même coupés de leur arrièrepays asiatique ? » Ces questions du lord libéral anglais sont restées sans réponse.
B. SOUVARINE 1er ce que les personnalités dirigeantes omettent de raconter : plans stratégiques, mouvements de troupes, composition des effectifs, expéditions du matériel, aucun détail ne manque. Moyennant une dépense de 10 centimes par jour, les chefs communistes à Moscou, à Pékin, à Hanoï, à La Havane, et leurs complices à Djakarta, au Caire et ailleurs se tiennent au courant de tout ce qui se passe à la Maison-Blanche, au State Department, au Pentagone, au Sénat de Washington : ils en apprennent les décisions, les intentions, les opinions, les hésitations, les contradictions, les appréhensions, les évolutions, les suppositions, les oppositions, bref ils en collectionnent les informations qui inspirent leurs actions et fortifient leurs convictions quant à l'issue des opérations. Le défaitisme politique, moral et intellectuel qui se donne carrière aux Etats-Unis se propage au centuple dans les pays qui auraient le plus d'intérêt à la victoire américaine, défaitisme exploité au mieux par les Etats communistes, qu'ils soient d'obédience moscovite ou pékinoise. Et tout cela vis-à-vis d'un ennemi protéiforme dont les principaux atouts sont le secret et la surprise, outre l'unanimité disciplinaire des populations soumises à . ses pouvoirs. Nul ne peut plus ignorer que le président Johnson, de même qu'avant lui Truman, n'entend pas faire la guerre « comme on doit la faire : pour vaincre » (Mac Arthur dixit), mais ne vise qu'à une conclusion provisoire de compromis, confirmant ainsi les communistes dans leur confiance en soi et les incitant à redoubler de violence tant sur le terrain que sur les ondes. Ses démarches auprès des Nations Unies, ses multiples invites et sondages pour frayer une voie aux négociations, même si ce sont des feintes utiles en politique intérieure, ne servent qu'à stimuler l'ardeur de l'ennemi qui les interprète comme des signes répétés de faiblesse et de détresse. Les communistes ne respectent que la force. Ils ne respectent pas la force qui hésite. Le fastidieux cliché del' « escalade » que ressassent à l'envi la multitude des perroquets de la presse et de la politique n'a de portée qu'à la condition d'aller au plus vite jusqu'à frapper l'ennemi dans ses œuvres vives, faute de quoi il ne traduit que le « système des petits paquets » de triste mémoire dans l'armée française. « Il ne peut y avoir de guerre mondiale provoquée par la guerre au Vietnam. Seuls deux pays, à savoir l'Union soviétique et les EtatsUnis, pourraient en faire une guerre mondiale », dit Chou En-laï dans une interview exceptionnellement sincère avec Al Mussawar, journal du Biblioteca Gino Bianco 215 Caire (3 juin 1965), suivant sans le savoir un conseil de Bismarck qui suggérait, pour ne pas être cru, de dire tout simplement la vérité. En effet le général Earl Wheeler, chef de l'étatmajor interarmes américain, n'a pas l'air convaincu puisqu'il « s'est prononcé hier contre toute extension de la guerre au Nord-Vietnam ou à la Chine », dans une interview télévisée, rapporte une dépêche de Washington le 16 août. Non content de rassurer l'ennemi, « le général a reconnu que certains militaires ou membres du gouvernement penchent en faveur d'une attaque massive du Nord-Vietnam et des installations nucléaires en Chine communiste, toutefois en soulignant que ce courant d'opinion n'est pas très fort ». Ainsi les communistes sont fixés sur ce qu'ils n'ont pas à craindre. Le même jour, le général Maxwell Taylor, ex-ambassadeur à Saïgon, également interviewé à la télévision, assure que les communistes d'Hanoï ne redoutent rien tant que ceux de Pékin, par conséquent préfèrent se dispenser d'une aide militaire chinoise. D'autres propos de Mac Namara, de Dean Rusk et de leurs collègues n'offrent pas moins dé réconfort aux agresseurs « qui se croient en train de gagner la guerre », avoue le New York Times du 5 août dans un éditorial 4 • S I L'ON COMPARE la guerre du Vietnam à celle de Corée, les ressemblances l'emportent manifestement sur les différences ; il n'y manque même pas la notion insensée du « sanctuaire » intangible garantissant l'immunité aux Chinois. Mac Arthur, dont il faut écouter la voi~ d'outre-tombe, était en droit d'écrire dans ses Mémoires : « Si l'on me permettait de me servir sans restriction de toute la puissance militaire dont je disposais, je pourrais non seulement sauver la Corée, mais porter à la Chine rouge un coup tel qu'elle perdrait la capacité de troubler la paix en Asie pendant des générations. » Cela ne fut pas permis et ne l'est pas davantage maintenant que Mao ne se gêne plus de défier l'espèce humaine tout entière dont il envisage froidement l'extermination d'une bonne moitié, pour commencer, sans un regard pour la moitié moindre et survivante. M. Ralph Lapp, directeur de la Commission américaine de recherches pour 4. Sans parler ici, à dessein, de l'indescriptible tohubohu typiquement sud-vietnamien où les bouddhistes, les catholiques, les étudiants, les trublions de toutes sortes manifestent tour à tour dans les rues de Saïgon, où les coups d'Etat mensuels se suivent et se ressemblent au grand dommage du moral, tant des troupes sur les fronts que dans la population à l'arrière.
216 l'énergie atomique, rappelait récemment .les paroles de Mao à Khrouchtchev : « Je pense que la moitié de l'humanité périrait [dans une guerre future] et peut-être plus de la moitié. Si la moitié de l'humanité était détruite, l'autre serait toujours là [dans quel état ? ] , mais l'impérialisme serait entièrement détruit et il ne resterait plus que le socialisme sur la terre » (Figaro du 19 juillet 1965). Paroles démentielles, mais mûrement réfléchies, réitérées ensuite de diverses manières. Qn journal de Beyrouth, Al Anwar, le 6 avril dernier, publiait un~ déclaration de Mao à une délégation arabe : « Vous n'êtes pas seulement deux millions de Palestiniens face à Israël, mais cent millions d'Arabes (sic)... Les peuples ne doivent pas être effrayés si leur population décroît au cours des guerres de libération, car par la suite ils bénéficieront de périodes pacifiques au cours desquelles ils pourront se multiplier. La Chine a perdu vingt millions d'habitants dans sa lutte_... » Les sinologues n'ont pas tort d'enseigner que les Chinois font peu de cas des vies humaines. Le maréchal Lo Jui-ching, chef de l'état-major général, opine dans la même veine que Mao sans hasarder de chiffres : « Traitant de la guerre à l'ère atomique, il écrivait qu'un tel conflit causerait sans aucun doute de lourdes pertes, mais aussi éduquerait le peuple », note M. Mark Gayn dans le Times de Londres (12 juin 1965). Chou En-laï a tenu des propos analogues. Tout dernièrement, c'est Soekarno qui déclare : « L'Indonésie emploiera la bombe atomique s'il le faut dans sa lutte contre les impérialistes » ( 17 ·août). Il n'a pas de bombe, ni d'impérialistes à combattre, et il fait allusion à une problématique solidarité chinoise, mais veut montrer à son tour que les Américains.ne lui font pas peur. Ils font d'autant moins peur que leur corne d'abondance a versé plus de dollars et de « surplus » aux pays dont le régime les insulte et les défie, où leurs consulats et « centres culturels » sont lapidés, incendiés, mis à sac. Loin de vouloir passer la camisole de force aux énergumènes en délire qui supputent avec tant de dé~involture les hécatombes d'une guerre future, ils ont soin de les ménager sous de futiles prétextes en s'interdisant de pousser leur « escalade » au-delà de résultats qui aboutiraient à bâcler un compromis précaire. Tandis que cette « escalade » arrêtée d'avance à mi-chemin est interprétée par les défaitistes du monde entier et leurs suiveurs de toute espèce comme annonçant l'holocauste final où sombrerait la civilisation plus ou moins chrétienne. Les Chinois, instruits en physique par les Russes et les AméBibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL ricains à courte vue, ont réussi deux explosions nucléaires de type expérimental, dont le bruit n'a pas fini de retentir au profit de leur prestige en Asie, de leur chantage partout ailleurs. Au stade des réalisations pratiques, on a peine à imaginer ce qu'ils oseront se permettre. Toute la population en Chine est, dès 1'enfance, éduquée, façonnée, préparée aux derniers sacrifices en prévision de la guerre à venir contre les Etats-Unis, et les mauvais bergers de ce troupeau fanatisé se rient du « tigre de papier » qui, au lieu de les mettre pour longtemps hors d'état de nuire, leur promet l'impunité quand ils redoublent de provocations et de menaces. Si l'Oncle Sam ne se ressaisit pas à temps, Hitler et Staline feront presque figure d'enfants de chœur, comparés aux Tchinjis Khans modernes munis de bombes atomiques. L'inertie de l'Oncle Sam devant l'hostilité ouverte ou sourde, grondante ou chuchotée, que suscite sa politique extérieure en action et en inaction s'aggrave encore des incessantes contributions américaines à cette hostilité croissante en Europe et dans nombre de pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique pseudo-latine. La presse et la télévision mercantiles des Etats-Unis diffusent force récits et images d'horreurs qui rendent si particulièrement odieuse la guerre du Vietnam et que la propagande communiste utilise au maximum pour en imputer la charge aux seuls Américains sans rencontrer d'obstacle ni de réplique. Les crimes du Vietcong, assassinats, tortures, mutilations, bombes qui tuent dans les rues et les restaurants de Saïgon des femmes et des enfants vietnamiens inoffensifs, ces crimes inexpiables passent quasiment inaperçus alors que les malheurs de la guerre témoignent unilatéralement de la barbarie américaine aux yeux du public abusé. Les pétitions humanitaires qui se couvrent de signatures dans les universités dûment noyautées aux Etats-Unis viennent nolens volens à l'appui de cette vaste machination dè guerre froide où participent les faux « neutres », les soi-disant « non-alignés » qui s'alignent ou « non-engagés » qui s'engagent, le prétendu « tiers monde » qui n'a rien de tiers et qui se rallie au monde communiste en toute conjoncture importante. Il ne manquait qu'une péripétie comme l'affaire de Saint-Domingue, :tortuite ou non, pour contribuer à l'immense levée de boucliers qui isole de plus en plus les Américains dans leur effort militaire de dissuasion rendu nécessaire par l'inefficience des méthodes périmées de persuasion en ce temps si cruel de coexistence pacifique.
B. SOUVARINE L , INTERVENTION DÉMONSTRATIVE des EtatsUnis à Saint-Domingue en pleine guerre civile, le 28 avril, a été d'abord motivée par l'urgence d'assurer la sécurité des résidents américains, puis de parer à la création d'un « nouveau Cuba » dans la mer des Antilles, c'est-à-dire d'un nouveau foyer de subversion dangereux pour les Amériques. Les deux motifs successifs ne sont pas contradictoires. Là encore, c'est la question des voies et moyens mis en œuvre que soulèvent la plupart des protestataires des deux mondes plutôt que le principe même, abstraction faite ici des criailleries communistes habituelles. La menace d'une prise du pouvoir par les politiciens apparentés à Staline, à Mao ou à Castro est fortement contestée, la disproportion entre le danger réel et l'ampleur de l'intervention est violemment dénoncée comme abusive, et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est invoqué avec une emphase sincère chez les uns, hypocrite chez les autres. Ces thèmes étroitement imbriqués alimentent un déluge de sophismes verbeux mêlés à des n1ensonges patents dont il sied de faire justice, sans entrer pour autant dans le détail des opérations armées proprement dites que d'aucuns peuvent critiquer tout en respectant la volonté directrice. Les communistes pouvaient-ils s'emparer du pouvoir à la faveur du chaos dominicain ? Sans aucun doute, si l'on sait qu'il n'existe pas moins de trois partis de leur couleur à Saint-Domingue, divisés dans l'opposition, mais capables de s'unir pour satisfaire leur commun appétit de domination tyrannique. Le Partido socialista popular (stalinien), le Movimiento popular dominicano (maoiste) et le Movimiento 14 de junio (castriste) ne s'excluent nullement l'un l'autre, ils s'additionnent aux moments décisifs. Aucun des trois n'a la franchise de se dénommer communiste, ce qui souligne la perfidie de leur activité mal camouBée et le réel danger qu'elle comporte dans un Etat minuscule où la jeunesse, les déclassés et les illettrés sont disponibles pour servir l'ambition des plus cyniques et violents démagogues. Selon le président Johnson, la « révolution populaire et démocratique » a été « confisquée par une bande de conspirateurs communistes et placée littéralement entre leurs mains ». Le New York Times du 29 avril citait un rapport indiquant qu' « au moins deux chefs de la rébellion, ou même sept ou huit selon d'autres sources, étaient des communistes ». Adlai Stevenson dit le 3 mai qu' « un petit groupe de communistes bien connus tenta de prendre un contrôle rapide de la révolution et des bandes Biblioteca Gino Bianco 217 armées qui tenaient la rue ». Le New York Times du 6 mai dénombrait cinquant~-cinq communistes à la tête des insurgés, chiffre porté à cinquante-huit par un autre correspondant, et ce dernier chiffre a fait le tour de la presse procommuniste pour servir de repoussoir aux forces américaines considérables débarquées dans l'île (par exemple, dans un éditorial du Monde, le 20 mai). En réalité il ne s'agissait pas de sept ou huit communistes, ni des cinquante-huit, mais de la capacité nocive des trois partis susnommés de noyauter et de confisquer un mouvement chaotique dépourvu de cadres, de tradition et de leaders authentiques. La disproportion apparente entre les antagonistes que le Monde et ses pareils ont tenté de ridiculiser pour verser leur eau au moulin communiste ne se laisse pas juger en termes numériques. Le pire danger que présentent les communistes actuels consiste dans leur aptitude de « sans scrupules conscients » à n'être nullement communistes, à violer leurs théories captieuses pour parvenir à leurs fins pratiques, à se faufiler aux postes d'oppression et de répression sous n'importe quel masque. On ne doit jamais oublier que le Partido socialista popular (stalinien) n'a pas craint de s'acoquiner avec l'infâme Trujillo dans les années 40, de même que le parti communiste à Cuba s'était acoquiné avec Batista de 1938 à 1944, et que ce Partido dominicain a soutenu l'Union civica nacional (conservatrice), laquelle collaborait aussi avec le Movimiento 14 de junio (castriste). Comment cette Union conservatrice put-elle, en 1962, expulser dix-huit communistes sur vingtquatre membres de son Comité exécutif, cela pafaît inexplicable à des Européens qui raisonne~t sur des notions classiques complètement dépaysées aux Antilles. Mais des anomalies aussi scabreuses, qui relèvent du banditisme politique, prouvent assez que l'infection communiste à Saint-Dotningue n'a rien d'imaginaire et que d'énergiques mesures prophylactiques s'imposaient au plus fort des troubles meurtriers déchaînés en avril. Devant une telle évidence, les critiques du modus operandi s'avèrent secondaires, quelque part de vérité qu'elles comportent, comme dans l'exposé de Theodore Draper publié à New York par le New Leader socialiste. Cet article (reproduit dans Preuves du mois d'août) dont l'auteur n'est pas suspect de complaisance envers le communisme, a surtout l'allure d'un plaidoyer en faveur de l'ex-président dominicain Juan Bosch pour le disculper de toute connivence avec les communistes. Il ne s'ensuit nullement que le danger auquel
218 ·Washington a voulu parer fût inexistant. Theodore Draper rappelle que « les prédécesseurs immédiats de Bosch - aujourd'hui les plus acharnés des anticommunistes - avaient placé des communistes aux postes-clés de différentes administrations, dans les syndicats et ailleurs ». Aux postes-clés : qui parle encore des malheureux cinquante-huit communistes dont le Monde et ses succédanés soulignent !'insignifiance ? Et quant à la collusion des conservateurs avec les communistes, elle montre ce que valent les étiquettes dans ce pandémonium. Castro n'était pas plus communiste que Bosch à l'origine (ni qu'Edouard Benès), mais il « déclara publiquement, en décembre 1961, qu'il était marxisteléniniste » ( et c'est parce que Benès n'était pas communiste qu'il a pu livrer son pays à Staline; en tant que communiste, il n'aurait pas été chef de l'Etat). Theodore Draper note què la« vieille garde » communiste est relativement peu nombreuse et que « le plus grand danger venait du maquis insaisissable et remuant des sympathisants avoués ou camouflés de Castro ». Il ne prétend pas « que les méthodes employées par Bosch soient à l'abri de toute critique ». Il décharge même les services secrets américains, accusés de toutes les fautes possibles par la presse procommuniste européenne, et citant le New York Times du 15 mai, il enregistre que « la décision contre Bosch ( ...) fut prise par le State Department le 25 avril ». Toujours est-il que la responsabilité des faits déplorables à Saint-Domingue comme au Vietnam retombe entièrement sur les communistes, non sur les gardiens de la paix mondiale qui font leur devoir tant bien que mal. Quant au droit des peuples à disposer d'euxmêmes, il ne saurait se confondre avec le droit de disposer des autres, le droit de mettre à feu et à sang les pays d'alentour pour le compte des Bi-blioteca Gino- Bianco LE CONTRAT SOCIAL empires totalitaires qui aspirent à l'empire universel. En particulier le droit de Castro, fort .des subsides et des matériels alloués par Moscou et Pékin, de fomenter des désordres sanglants· à Saint-Domingue, des émeutes et des séditions et des guérillas et des maquis terroristes en Amérique .centrale et méridionale, ce droit n'a rien à voir avec le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Les vertueux défenseurs improvisés d'un droit aussi équivoque seront peut-être pris au sérieux quand ils commenceront par soutenir le droit des « nations captives » européennes de secouer le joug communiste qu'elles abhorrent, quand ils exigeront le respect des accords et traités signés par Staline et qui promettaient aux peuples délivrés du nazisme le droit de choisir sans contrainte la route de leur . avenir. Ce fameux droit des peuples inscrit dans les accords de Potsdam et dans la charte des Nations Unies dont le vingtième anniversaire coïncide avec celui, tragique, des bombardements atomiques au Japon, les Etats-Unis seuls de nos jours le défendent à grands frais et à grands sacrifices en vies humaines, là où le communisme s'avance en armes sous des déguisements multiples. Mais quelle que soit l'issue des batailles ou des marchandages en cours au Vietnam et à Saint-Domingue, l'expérience des dernières vingt années prouve que dans la troisième guerre mondiale maquillée en coexistence pacifique, les Américains ne pourront vaincre sans convaincre, par conséquent sans réviser profondément leurs conceptions et réformer leurs méthodes pour se mesurer sur l'arène politique avec un ennemi omniprésent qui n'a cessé de poursuivre sa guerre spécifique par les moyens de la politique. B. Souv ARINE. ,
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