B. SOUVARINE L , INTERVENTION DÉMONSTRATIVE des EtatsUnis à Saint-Domingue en pleine guerre civile, le 28 avril, a été d'abord motivée par l'urgence d'assurer la sécurité des résidents américains, puis de parer à la création d'un « nouveau Cuba » dans la mer des Antilles, c'est-à-dire d'un nouveau foyer de subversion dangereux pour les Amériques. Les deux motifs successifs ne sont pas contradictoires. Là encore, c'est la question des voies et moyens mis en œuvre que soulèvent la plupart des protestataires des deux mondes plutôt que le principe même, abstraction faite ici des criailleries communistes habituelles. La menace d'une prise du pouvoir par les politiciens apparentés à Staline, à Mao ou à Castro est fortement contestée, la disproportion entre le danger réel et l'ampleur de l'intervention est violemment dénoncée comme abusive, et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est invoqué avec une emphase sincère chez les uns, hypocrite chez les autres. Ces thèmes étroitement imbriqués alimentent un déluge de sophismes verbeux mêlés à des n1ensonges patents dont il sied de faire justice, sans entrer pour autant dans le détail des opérations armées proprement dites que d'aucuns peuvent critiquer tout en respectant la volonté directrice. Les communistes pouvaient-ils s'emparer du pouvoir à la faveur du chaos dominicain ? Sans aucun doute, si l'on sait qu'il n'existe pas moins de trois partis de leur couleur à Saint-Domingue, divisés dans l'opposition, mais capables de s'unir pour satisfaire leur commun appétit de domination tyrannique. Le Partido socialista popular (stalinien), le Movimiento popular dominicano (maoiste) et le Movimiento 14 de junio (castriste) ne s'excluent nullement l'un l'autre, ils s'additionnent aux moments décisifs. Aucun des trois n'a la franchise de se dénommer communiste, ce qui souligne la perfidie de leur activité mal camouBée et le réel danger qu'elle comporte dans un Etat minuscule où la jeunesse, les déclassés et les illettrés sont disponibles pour servir l'ambition des plus cyniques et violents démagogues. Selon le président Johnson, la « révolution populaire et démocratique » a été « confisquée par une bande de conspirateurs communistes et placée littéralement entre leurs mains ». Le New York Times du 29 avril citait un rapport indiquant qu' « au moins deux chefs de la rébellion, ou même sept ou huit selon d'autres sources, étaient des communistes ». Adlai Stevenson dit le 3 mai qu' « un petit groupe de communistes bien connus tenta de prendre un contrôle rapide de la révolution et des bandes Biblioteca Gino Bianco 217 armées qui tenaient la rue ». Le New York Times du 6 mai dénombrait cinquant~-cinq communistes à la tête des insurgés, chiffre porté à cinquante-huit par un autre correspondant, et ce dernier chiffre a fait le tour de la presse procommuniste pour servir de repoussoir aux forces américaines considérables débarquées dans l'île (par exemple, dans un éditorial du Monde, le 20 mai). En réalité il ne s'agissait pas de sept ou huit communistes, ni des cinquante-huit, mais de la capacité nocive des trois partis susnommés de noyauter et de confisquer un mouvement chaotique dépourvu de cadres, de tradition et de leaders authentiques. La disproportion apparente entre les antagonistes que le Monde et ses pareils ont tenté de ridiculiser pour verser leur eau au moulin communiste ne se laisse pas juger en termes numériques. Le pire danger que présentent les communistes actuels consiste dans leur aptitude de « sans scrupules conscients » à n'être nullement communistes, à violer leurs théories captieuses pour parvenir à leurs fins pratiques, à se faufiler aux postes d'oppression et de répression sous n'importe quel masque. On ne doit jamais oublier que le Partido socialista popular (stalinien) n'a pas craint de s'acoquiner avec l'infâme Trujillo dans les années 40, de même que le parti communiste à Cuba s'était acoquiné avec Batista de 1938 à 1944, et que ce Partido dominicain a soutenu l'Union civica nacional (conservatrice), laquelle collaborait aussi avec le Movimiento 14 de junio (castriste). Comment cette Union conservatrice put-elle, en 1962, expulser dix-huit communistes sur vingtquatre membres de son Comité exécutif, cela pafaît inexplicable à des Européens qui raisonne~t sur des notions classiques complètement dépaysées aux Antilles. Mais des anomalies aussi scabreuses, qui relèvent du banditisme politique, prouvent assez que l'infection communiste à Saint-Dotningue n'a rien d'imaginaire et que d'énergiques mesures prophylactiques s'imposaient au plus fort des troubles meurtriers déchaînés en avril. Devant une telle évidence, les critiques du modus operandi s'avèrent secondaires, quelque part de vérité qu'elles comportent, comme dans l'exposé de Theodore Draper publié à New York par le New Leader socialiste. Cet article (reproduit dans Preuves du mois d'août) dont l'auteur n'est pas suspect de complaisance envers le communisme, a surtout l'allure d'un plaidoyer en faveur de l'ex-président dominicain Juan Bosch pour le disculper de toute connivence avec les communistes. Il ne s'ensuit nullement que le danger auquel
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