222 du Parti, - la suite des événements paralysa tout autant les organes locaux du pouvoir d'Etat. La seule mesure pratique consista à envoyer dans les tues des mouchards de la police secrète ayant pour instructions de se mêler aux manifestants, de prendre des photos et de se rappeler le plus grand nombre de visages possible. · Cette tentative elle-même donna un fruit étrange, au moins dans une circonstance remarquable. Après que tout fut fini, l'homme qui dans l'esprit des citoyens de Pilsen était apparu comme le -héros de leur révolution était un certain Josef Fencl, bien connu dans la ville pour ses sentiments anticommunistes (il avait été naguère président de la société d'amitié Tchécoslovaquie-U.S.A., depuis l~gtemps dissoute). Comme je l'appris par'' la suite au cours des procès, Fencl avait été recruté par la police secrète, probablement sous la contrainte, pour faire le provocateur et le délateur, et envoyé à ce titre à l'hôtel de ville afin d'observer l'émeute. Or, une fois sur place, il oublia bien vite sa répugnante mission pour devenir le rebelle le plus actif. Il fut condamné à sept ans de prison - verdict exceptionnellement clément étant donné les circonstances - mais, en fait, il resta peu de temps sous les verrous. En 1.956, je le croisai dans la rue : il était de nouveau libre. LORSQUELARÉBELLIONfut enfin étouffée, le deuxième jour, ce fut le fait non pas des autorités de Pilsen, mais d'unités de la Garde intérieure (V nitrni straz, branche du ministère de l'Intérieur) et d'un contingent de la milice ouvrière, tous deux venus de Prague. Le couvrefeu et la loi martiale furent décrétés et environ deux mille personnes arrêtées. Le châtiment des rebelles posait un problème délicat. D'une part, les autorités locales, dans leur humiliation, criaient vengeance. D'autre part, comment présenter au public le fait « non historique » d'une révolte d'ouvriers contre un « gouvernement ouvrier » ? La première idée qui consistait à interpréter la rébellion en fonction de la tradition social-démocrate de Pilsen ou encore de la présence de l'armée américaine en 194 5 fut écartée comme inadéquate. Après quelques semaines d'hésitation, le secrétariat du Comité central du Parti à Prague avança une formule : les rebelles n'étaient pas des ouvriers, mais des bourgeois affublés d'un bleu de travail. Le châtiment deviendrait, par là même, une punition infligée à l'ennemi de classe. En outre, il fut décidé qu'on donnerait à toute l'affaire le moins de publicité possible : il n'y aurait ni Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL procès pour la galerie ni sentences draconiennes. Dans la même veine, la terminologie officielle fut édulcorée : à Pilsen, il n'y avait pas eu de soulèvement, de révolution, de révolte ou de manifestation, mais simplement des « événements ». Les délinquants n'étaient pas accusés de haute. trahison, mais de fautes beaucoup moins graves : « violences envers les autorités » (paragraphe 154 du code pénal de 1950) et « violences envers les fonctionnaires publics » (paragraphe 177). Les peines étaient, en moyenne, de cinq ans de détention. La peine la plus sévère (quinze ans de travaux forcés) fut infligée à un jeune homme qui, sans avoir participé directement aux émeutes, avait été pris alors qu'il transportait quelques grenades à main de son pavillon de banlieue à Pilsen. Si les représailles ne furent pas rigoureuses " « verticalement », il y eut compensation grâce à la « méthode horizontale » qui permettait une interprétation extensive de la notion de culpabilité. Quiconque avait été vu à proximité de l'hôtel de ville ou du palais de justice était censé, par sa seule présence, avoir encouragé les rebelles, et était puni en conséquence. La raison d'être profonde de cette politique était parfaitement claire : puisque ceux qui avaient mené la révolte étaient des membres de la classe ouvrière, il importait avant tout d'impliquer autant de spectateurs bourgeois que possible, afin de justifier la théorie suivant 1aquelle seul l'ennemi de classe était responsable des « événements ». La classe ouvrière en tant que telle était disculpée a priori, et les ouvriers qui avaient été pris sur le fait furent baptisés ennemis de classe camouflés ou complices. DANSSA QUÊTEde coupables bourgeois, le Parti remua ciel et terre. Un certain Zenkl, par exemple, prétendument parent de l'ancien vice-président du Conseil Petr Zenkl, homme politique bien connu dans l'émigration, fut condamné à quatre ans de prison. Son seul crime : le nom qu'il portait. Ludmila Brozova, vieille fille et procureur de sinistre réputation (elle représentait, à Prague, le ministère public dans le fameux procès politique de Jarmila Horakova et autres, à l'issue duquel des sentences de mort furent prononcées contre les principaux accusés), essaya même de faire du procès du malheureux Zenkl une « cause célèbre » en voyant dans la rébellion la main de Washington. Une autre victime fut Bohumil Ulc, un de mes oncles éloignés, qui tenait un magasin d'articles
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