Le Contrat Social - anno IX - n. 4 - lug.-ago. 1965

226 Les biologistes et les médecins devaient lutter contre l'appréciation incompétente de la valeur des recherches sur la physiologie de l'activité nerveuse supérieure (Courrier de l'Académie des sciences, mars 1965, n° 3, p. 68). Plusieurs académiciens, qui avaient eux-mêmes eu à pâtir sous la dictature de Lyssenko, n'ont point adopté le ton modéré de Keldych lors de la discussion du rapport Sissakian. Ils ont tenu à mettre les points sur les « i » et à préciser les méfaits de Lyssenko. Ainsi, le vénérable botaniste V. N. Soukatchev, né en 1880 et resté fidèle,.contre vents et marées, aux belles traditions des savants russes d'avant la révolution, n'avait jamais accepté la dictature de Lyssenko 2 et il prononça un sévère réquisitoire: Il est certain que la situation défavorable de notre biologie s'est manifestée directement ou indirectement dans tous les domaines. Voici deux exemples frappants qui me touchent de près. Le premier, c'est le problème de l'évolution du monde organique et de la formation des espèces. Les conceptions, dénuées de tout fondement scientifique, de l'académicien Lyssenko et de ses disciples, ont nui énormément à l'étude de cette question. Lyssenko affirme que les modifications qui surviennent dans l'organisme sous l'influence des facteurs extérieurs sont héréditaires et consécutives à cette influence. Il affirme aussi que, dans les organismes d'une espèce donnée, sous l'influence des facteurs extérieurs, apparaissent des particules d'une autre espèce, qui peut appartenir à un genre différent, parfois fort éloigné de l'espèce originelle, dans la systématique botanique. Pour lui, le charme peut engendrer le coudrier, le froment produire le seigle, l'avoine donner naissance à la folle avoine, etc. Malgré les faits solidement établis depuis longtemps déjà, Lyssenko nie l'existence de la lutte pour la vie entre les individus à l'intérieur d'une même espèce, c'est-à-dire de la concurrence des organismes. Cela conduit à nier le rôle de la sélection naturelle dans la formation de l'espèce, facteur le plus important de l'évolution du monde vivant, fondement du darwinisme. Ces thèses, imposées dogmatiquement sous le couvert du nom de Mitchourine, ont retardé considérablement l'étude de ce problème biologique essentiel, qui a une grande importance théorique et une grande valeur pratique pour la sélection et l'acclimatation. En particulier, l'affirmation de Lyssenko selon qui les mauvaises herbes peuvent être engendrées par les plantes cultivées elles-mêmes, a fait prendre une fausse route à la lutte contre les herbes adventices (ibid.). Chemin faisant, Soukatchev donne un magistral coup de griffe aux philosophes Mitine et consorts, thuriféraires de Lyssenko : Il est regrettable que nos philosophes, mal informés de la biologie, aient accepté sans critique aucune des thèses de Lyssenko qui, au fond, contredisaient le matérialisme dialectique. Dans leurs ouvrages, parfois publiés par notre académie elle-même, dans leurs conférences publiques et dans leurs discours, ces philosophes ont contribué à propager ces conceptions nuisibles qui discréditent la science soviétique. 2. Cf. notre article « Le retour de Lyssenko », in Contrat ~ocial, mars 1960. B-ibliotecaGino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE Le second problème concerne une jeune science, la biocœnologie, qui a également subi un grand dommage du fait de l'influence puissante des idées de Lyssenko. La cytocœnologie, branche qui s'occupe des relations mutuelles entre les plantes qui croissent en commun, fut particulièrement atteinte. Elle est en rapport direct avec le problème de l'exploitation pratique du milieu végétal et la création des associations artificielles de plantes, c'est-à-dire avec l'agriculture et les plantations forestières. Lyssenko, qui se fait du caractère des relations entre les plantes pendant leur croissance en commun une idée entièrement fausse, avait proclamé que la cytocœnologie, qui étudie la lutte pour la vie entre les espèces et à l'intérieur d'une même espèce, ainsi que la biogéocœnologie, ne sont que des manifestations du malthusianisme en biologie. Or ses conceptions servirent de fondement théorique au procédé, préconisé par lui, de plantation en nids des bandes forestières destinées à protéger les champs cultivés. De 1948 à 1956, on a planté dans notre pays deux fois et demie plus de forêts que pendant les deux cent cinquante années précédentes. La majorité de ces plantations a été faite par le procédé en nids. Dès l'automne de 1954, une bonne part avait péri; en automne 1956, il n'en restait plus que 15,6 %, sur lesquels 4,3 % seulement étaient en bon état. Elles n'avaient réchappé que grâce aux soins donnés par les travailleurs agricoles, en dépit des recommandations de Lyssenko. Les fonds, dépensés en pure perte pour les plantations forestières en nids, représentent une somme énorme. D'autre part, si l'on tient compte du fait que ces plantations, là où elles ont survécu, accrQissent la récolte de céréales de deux quintaux par hectare en moyenne et augmentent la résistance à la sécheresse des terrains protégés, la perte des jeunes plantations, imputable à la méthode des nids, doit être considérée comme un dommage colossal infligé à l'agriculture. Bien d'autres recommandations agronomiques de Lyssenko connurent le même sort. J'estime que notre session doit souligner que, du fait de l'activité exercée pendant très longtemps par l'académicien Lyssenko, une situation anormale s'est créée dans la biologie soviétique ; cette activité a nui non seulement au développement des branches les plus importantes de cette science, mais aussi à la formation de jeunes cadres et à la pratique agricole et forestière (ibid., pp. 97-98). Ast~ourov, membre correspondant de l'académie, en qui Jean Rostand avait salué en 1959, un peu prématurément, l'annonciateur de la renaissance de la génétique soviétique ( d. Contrat social, mai 1959, p. 159), exposa à l'assemblée, avec force détails, les difficultés rencontrées pendant tant d'années par ceux qui, comme lui, travaillaient dans la génétique et la sélection du ver à soie. Ces difficultés étaient un miroir fidèle de ce qui se passait dans les grands domaines de la sélection, l'agriculture et l'élevage. Le très pudique Courrier de l'Académie des sciences préféra d'ailleurs passer ces détails sous silence, ce qui laisse supposer qu'ils avaient une saveur toute particulière. Astaourov souligna ensuite :

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