240 ·déjà une infraction à l'article 6 des Principes généraux de législation criminelle, lequel décrétait : Un acte est criminel et passible de peine si la loi en vigueur au moment où il a été commis le détermine comme tel ( ...). La loi qui rend une action passible de peine ou qui aggrave la peine n'a pas force rétroactive. .Encore plus manifestement illégal fut l'appel introduit par le ministère public. Bien que les accusés aient été frappés de la sentence maximale aux termes de l'arrêté de mars, il avait fait appel a minima avant que ne soit pris l'arrêté de juillet autorisant des sanctions aggravées. Le tribunal municipal de Moscou avait déjà outrepassé ses pouvoirs et l'appel aurait dû être rejeté par la Cour suprême. Celleci entreprit néanmoins de réviser le procès, appliquant l'arrêté de juillet afin d'imposer la peine de mort. Il semble donc que la vieille habitude qui consiste à traiter la légalité de manière désinvolte ait du mal à disparaître et que, dans l'administration soviétique de la justice, il y ait un monde entre la lettre et l'application du droit. Si l'orientation générale du droit soviétique récent est décevante, voire inquiétante, il convient cependant de signaler un des bons côtés du tableau. Ceux qui, ne craignant pas de prêcher dans le désert, ont vigoureusement protesté contre la persistance des attitudes staliniennes et défendu les principes libéraux promis en 1958 ont, à l'occasion, marqué des points. L'un des faits les plus intéressants sous ce rapport fut un débat public qui entraîna par la suite une action en diffamation. Tout avait commencé par la publication, dans la Litératournaïa Gazeta, d'un échange de vues sur la question de savoir si l'accusé devait être présumé innocent ou coupable. Dans un article du 23 mai 1964, l'éminent juriste M. S. Strogovitch avait affirmé, en citant des cas concrets à l'appui, qu'à moins que la culpabilité ne soit pleinement prouvée, le tribunal devait déclarer l'accusé non coupable. Il ajoutait : · Au temps du culte de la personnalité, la « théorie » en cours parmi les praticiens et les théoriciens du droit voulait qu'un « maximum de probabilité » suffise pour déclarer un accusé coupable. Chacun sait le mal que cette « théorie » a causé à notre société. Fréquemment, la source des erreurs commises au cours des travaux d'instruction et au tribunal, réside dans le fait d'identifier accusé et coupable, de tenir la personne en jugement comme une personne convaincue de crime (...). Pareil raisonnement entraîne le préjugé, la méthode unilatéralement accusatrice dans la façon de juger l'affaire. Dans la Litératournaïa Gazeta du 16 août 1964, G. Filimonov, procureur adjoint du disBiblioteca Gino Bianco 1 L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE trict de Tchéliabinsk, réfutait l'argumentation de Strogovitch : La loi confère aux organes d'instruction le droit de porter accusation contre quelqu'un, de l'interroger en tant qu'accusé, donc de le reconnaître comme coupable. Et le ministère public fait passer en jugement et, lors de poursuites au criminel, accuse une personne déjà coupable aux yeux de l'instruction, c'est-à-dire aux yeux des autorités. Et le tribunal ne fait que vérifier dans quelle mesure est coupable l'individu que le ministère public fait passer en jugement et accuse... Filimonov décrivait là de façon adéquate la pratique courante des tribunaux soviétiques. Mais sa façon brutale d'exposer les faits était une invite à la critique. Le 10 septembre 1964, les Izvestia publiaient un article d'O. Tchaïkovskaïa, qui faisait remonter l'origine des vues de Filimonov à la période stalinienne et ajoutait qu'il était loin de. constituer un phénomène isolé : L'ignorance dont nous parlons est pernicieuse. Dans les années où régnait le culte de la personnalité, on venait chercher un homme la nuit, et le matin on le traitait déjà d'ennemi du peuple. Tchaïkovskaïa faisait suivre cette déclaration d'un bref traité des principes essentiels à l'équité de la procédure criminelle : nécessité d'un procès public, avec examen des chefs d'accusation et des preuves apportées contre l'accusé; rôle de la défense ; rôle des tribunaux et nécessité pour eux d'être indépendants. La thèse de Strogovitch et de Tchaïkovskaïa fut appuyée par A. Gorkin, président de la cour suprême de !'U.R.S.S., qui écrivait dans les Izvestia (1er déc. 1964) : Dans les conditions actuelles ( ...), réaffirmer les droits du citoyen et l'inviolabilité de la personne, la liberté, l'honneur et la dignité de l'homme constitue l'une des exigences les plus importantes du Parti. L'affaire aurait pu en rester là si Filimonov n'avait pas considéré l'article de Tchaïkovskaïa ·comme · une atteinte à son honneur et ne lui avait pas intenté, ainsi qu'aux Izvestia, un procès en diffamation. Comme de juste, il perdit ' . . , . son proces, car sa position eta1t nettement contraire aux principes fondamentaux de procédure criminelle adoptés en 1958. Les Izvestia, dans un compte rendu du procès (19 déc. 1964), lui reprochaient à nouveau ses fautes et lui enjoignaient de s'amender. J Strogovitch avait le dernier mot et, dans le numéro du 17 décembre de Litératournaïa Gazeta, il s'attaquait au fond de la controverse et en tirait des leçons. Strogovitch répétait que Filimonov n'était pas le seul de son espèce et qu'un grand nombre de ses collègues pensaient
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