246 définition plus subtile de ce que fut la Commune. Les procès faits aux communards ne sont que le prétexte de cet essai historique. Les chapitres s'appellent « L'acte d'accusation », « Les accusés parlent », « Pièces à conviction », et la conclusion a nom « Verdict ? », mais ces titres ne sont qu'un trompe-l'œil. Seuls les deux pren1iers chapitres se réfèrent aux pièces du procès, et ils ne sont là que pour orienter l'esprit du lecteur, pour le conduire au troisième chapitre et à la conclusion. Car ce petit ouvrage est un livre à thèse. Et non seulement c'est un livre à thèse, mais l'un des plus systématiques qu'on puisse imaginer. Chacun des trois chapitres est composé de deux parties, la première destinée à montrer que la Commune n'eut, à proprement parler, pas de chefs, la seconde consacrée à établir que les communards du rang furent une tourbe de criminels et de prostituées, d'où - rari nantes - quelques militants é1nergent, humble préfiguration de la conscience prolétarienne qu'allait faire naître le marxisme. Il n'y avait pas de chefs dignes de ce nom. L'auteur le dira trois fois. Au premier chapitre, il montre l'action, pendant le siège, du Comité central des vingt arrondissements, qui « se voulait, avec plus ou moins de fermeté, révolutionnaire et socialiste », mais qui, en février 1871, « n'est à peu près plus qu'une ombre » : c'est qu'il ne représentait « qu'une très petite élite révolutionnaire, qui n'avait su ou pu trouver qu'une audience très limitée dans la population parisienne ». A ce moment se forme le Comité central de la garde nationale, qui ne comprend guère que des « inconnus », « plutôt d'ailleurs des petits bourgeois que des prolétaires ». Le 18 mars, ce Comité central est incapable de rien diriger :· « Réactions bien lentes, et à peu près nulles. Le comité n'a pu ou n'a su agir que sur place, mettant en défense le seul faubourg SaintAntoine où il siégeait. » Dès les premières lignes du second chapitre, l'auteur nous apprend que, devant les juges du 3e conseil de guerre, « les membres de la Commune ont fait, sauf ex~eptions, plutôt pâle figure ( ...). Ce fut à qui esquiverait les responsabilités, quand il ne tentait pas de les rejeter sur le voisin. » Et relevant « l'extraordinaire manque d'envergure » de « ces médiocres », l'auteur écrit que « les faiblesses ou les défaillances furent vraiment générales ». Les premières lignes du troisième chapitre évoquent de nouveau - on ne tape jamais trop sur le même clou - « ces chefs qui ont fait figure si piètre devant le tribunal, après avoir si mal gouverné la Commune ». Ces chefs, BibliotecaGino Bianco / DÉBATS ET RECHERCHES se demande l'auteur, que voulaient-ils ? N'oublions pas - l'auteur le redit - que l'insurrection du 18 mars n'est pas née d'une décision révolutionnaire, mais du « pourrissement de la situation ». L'auteur voit cependant le Comité des vingt arrondissements - ce comité révolutionnaire et socialiste du temps du siège - ressusciter ·pour les élections, les organiser, et faire élire la majorité des membres de la Commune. La Commune est donc socialiste, c'est-àdire proudhonienne. « Très proudhonienne » (p. 151) lors du vote du programme intitulé « Déclaration au peuple français » - c'est-àdire dans la nuit du 18 au 19 avril - la Commune, selon M. Rougerie, subit en quelques jours une mutation brusque : « le jacobinisme revécut soudain lorsqu'il fut question de pratlque et de combat » (p. 155). Dès la fin du mois, devenue jacobine, la Commune discute de la création d'un « Comité de salut public ». « La scission ( ...) s'accomplit définitivement à la séance du 1er mai. » L'auteur se joint à la minorité pour condamner ce Comité de salut public : « Consciencieusement, et en toute inutilité, les majoritaires plagièrent 93 jusqu'à la fin » (pp. 158-159). Mais ce n'est pas pour approuver la minorité socialiste. Celle-ci, le 15 mai, publie une « déclaration » par où elle rompt avec la majorité et décide de ne plus assister aux séances de la Commune 6 : ce sont là, aux yeux de l'auteur, de « chinoises querelles ». Il reparle ensuite (p. 162) de cette « caricature dangereusement anachronique » que fut le Comité de salut public et il se dit d'accord avec la minorité pour y voir une« vieillerie ressuscitée »,une« défroque mal retapée ». Il fallait une dictature, mais non celle-là : « Il se peut, au fond, conclut l'auteur (p. 163 ), que ce soient alors les minoritaires qui aient le mieux compris ce que devait être la dictature du prolétariat. » Mais il ajoute aussitôt qu'il ne songe nullement à « réhabiliter la minorité ». M. Rougerie, on le voit, juge les chefs de la Commune, et son jugement est sévère. Ce sont des médiocres. Ce sont des girouettes qu'un comité socialiste et révolutionnaire a fait élire comme proudhoniens, et que les périls de la situation militaire ont bientôt convertis à une 6. M. Rougerie (p. 159) date cette déclaration du 7 mai : c'est évidemment un lapsus. Il donne la liste des signatures, mais oublie celle de Benoît Malon. Il groupe à part les signatures des membres de l'Internationale, mais il inscrit parmi eux Vermorel, ce qui est sans doute une erreur, et il n'y met ni Beslay, ni Lefrançais, ni Victor Clément, ni Ostyn, ce qui est étrange, surtout s'agissant des deux premiers. L'auteur ne semble familier ni avec le temps, ni avec les faits, ni avec les personnes. En ce qui concerne Victor Clément, on peut remarquer que son nom ne figure pas sur la liste de Bruhat (La Commune de 1871, p. 148). Mais d'autres noms -Babick, Verduresont également omis par Bruhat, qui semble procéder à une épuration rétrospective.
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