Le Contrat Social - anno IX - n. 4 - lug.-ago. 1965

252 des criminels. Mais il faut d'abord prendre garde que ce que M. Rougerie appelle crime, ce sont, pour l'essentiel, des délits. Sous·un régime autoritaire, un policier est prompt à manifester son pouvoir, et les magistrats ne manquent guère de lui donner raison. Bien des condamnations sont abusives, d'autres sanctionnent .des vétilles. Elisabeth Rétiffe, de qui nous parlions plus haut, et qui est condamnée à l'âge de vingt ans à la suite d'un crêpage de chignon, :figure donc à quarante ans parmi les repris de justice. A Jourde, qui ~st la probité incarnée, le tribunal n'oublie pas de rappeler qu'il a, dans sa jeunesse, subi une condamnation : c'était pour tapage nocturne. Trinquet est un repris de justice : pris dans une manifestation politique, il a été condamné pour port d'arme. Pourtant, dit l'auteur, 21 % ... « Ces chiffres paraissent élevés. » Sans doute. Mais l'historien doit se garder de juger d'après ses impressions. Et l'examen des chiffres qu'on possède ne donne pas le sentiment que cette proportion soit anormale. Paul Cère (op. cit.) pp. 26 et 27) donne, pour l'année 1868, 3.613 comparutions aux assises, 177.187 condamnations en correctionnelle, 37.071 peines de prison infligées par les juges de paix. Pour l'année 1869, les chiffres sont respectivement 4.189, 157.652 et 33.306, soit au total environ 218.000 condamnations pour 1868, 195.000 pour 1869. La délinquance féminine étant faible, et faible le· nombre des femmes parmi les prisonniers des Versaillais, il faudrait, des deux côtés, ne retenir que les chiffres concernant les hommes. Il faudrait ensuite, du nombre des condamnés, déduire les récidivistes, puis comparer le chiffre moyen annuel des délinquants ou criminels primaires du sexe masculin - qui ne doit guère être inférieur à 150 000 - au nombre des Français du sexe masculin ayant dépassé seize ans, ·âge de la majorité pénale - c'est-àdire environ treize millions - ce qui donnerait à peu près 1,15 % . Ce pourcentage devrait être majoré par l'application d'un coefficient local, la délinquance étant alors, à Paris, plus forte que dans le reste du pays. Enfin il faudrait le multiplier par le nombre moyen d'années qu'avaient, au-dessus de la majorité pénale, les prisonniers fédérés. Or ce nombre est très élevé, car M. Rougerie observe (p. 125) que« ce n'est pas un homme très jeune que le communard moyen » : près d'un tiers a dépassé la quarantaine, c'est-à-dire a dû, en moyenne, dépasser la majorité pénale d'au moins vingthuit ans. Pour 55 %, qui ont de 20 à 40 ans, le dépassement moyen doit être d'une quinzaine d'années. Le reste compte un dépassement moyen de deux à trois ans. La moyenne générale doit avoisiner dix-sept ou dix-huit ans. A vue Biblioteca Gino Bîanco -.. , DÉBATS ET RECHERCHES de pays, le calcul nous conduit au-dessus des 21 % de repris de justice relevés parmi les fédérés. Et sans doute notre calcul est-il extrêmement grossier. Mais il donne un ordre de grandeur, et permet de voir que les impressions sur lesquelles M. Rougerie fonde ses conclusions sont issues de ses préjugés, et non d'une connaissance vraie' de la 1natière dont il traite. Il n'a pas, sur les communards du rang, des opinions plus exactes que sur leurs chefs. Quant aux réflexions sur Marx qui terminent l'ouvrage, leur seul mérite est de nous faire entrevoir la source du travestissement historique de M. Rougerie. Nous nous garderons de discuter certaines affirmations audacieuses de l'auteur, et nous nous bornerons à remarquer que, pour situer Marx par rapport au socialisme proudhonien et au blanquisme, M. Rougerie ne se sert pas de textes de Marx, mais d'un écrit tardif d'Engels. La précision n'est pas son fort. M HENRI LEFEBVREest un professeur de • philosophie mué en historien. Sa vocation de professeur de philosophie lui a-t-elle paru incertaine ? Depuis qu'il s'est mêlé d'écrire un livre d'histoire, on peut affirmer qu'elle ne dissimule pas une vocation ignorée d'historien. Son livre est parfois prétentieux, souvent obscur, toujours confus. On y trouve une logomachie curieuse, où la « praxis » joue le rôle d'un abracadabra marxiste : l'ayant proclamée une « notion difficile à saisir et à définir », l'auteur lui fait signifier tant de choses que cela fait penser au « goddam » de Figaro. Mais la praxis est en bonne compagnie. Le livre commence par un délire philosophico-sociologico-poétique, et vers la fin de l'ouvrage, l'auteur déclare que .l'expérience de la Commune est « transhistorique, ou encore poétique, philosophique, ontologique (dans un sens rénové de ces termes) ». On voit que la Commune est si prodigieusement indescriptible qu'elle exige des mots tout neufs, qui n'aient encore jamais servi. D'ailleurs on aura remarqué ce terme de « transhistorique » qui suffirait à nous faire comprendre que la Commune n'est pas une matière pour ces pauvres gens ,que sont les historiens. Il faut, pour en parler, monter sur le trépied prophétique. Laissons-yM. Lefebvre, qui n'en redescend que pour démarquer alternativement Lissagaray et Da Costa, au point que s'il se pose des questions, ce sont souvent celles que ces auteurs se sont posées avant lui. Notons enfin que M. Lefebvre,

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