238 . à imposer illégalement des sanctions trop graves. Cette tendance fâcheuse se manifeste parfois dans des affaires où des innocents se trouvent impliqués 8 • D'autres juristes soviétiques ayant participé à la discussion publique des réformes fournirent des preuves abondantes des erreurs et abus de pouvoir dus à une compréhension erronée de la fonction judiciaire. Nombre de cas concrets furent cités et décrits, dont l'examen suggérait que les tribunaux - peu qualifiés pour passer les preuves au crible et les estimer pour déterminer la culpabilité ou l'innocence - tendaient à infliger des sanctions d'une sévérité injustifiée et à qualifier de crimes graves de simples délits. Dans certains cas, les tribunaux appliquaient le droit à la lettre, sans tenir compte des faits particuliers ou des circonstances atténuantes. Un des exemples cités avait trait aux poursuites intentées contre des citoyens soviétiques pour avoir employé certains métaux prohibés, bien que des articles fabriqués avec ces mêmes métaux aient été alors disponibles dans les magasins de l'Etat 7 • En somme, malgré diverses innovations positives, les réformes judiciaires maintenaient les caractéristiques essentielles de l'ancien système, laissant ainsi la porte ouverte à un retour éventuel aux méthodes staliniennes. Dans le domaine du droit pénal, les réformes ne postulaient pas l'application uniforme des principes relatifs à la responsabilité criminelle à toutes les catégories de délits ; elles distinguaient certains crimes devant être jugés selon des normes tendant à la responsabilité absolue, sans tenir compte de l'intention ni des antécédents de l'accusé. En même temps, les caractéristiques essentielles du systèn1ejudiciaire de l'époque stalinienne étaient préservées. Les tribunaux et le droit pénal demeuraie1;1t,en puissance, des instruments de répression politique. Il suffisait de déplacer l'accent pour que le système judiciaire s'oriente à nouveau vers son ancien rôle. Vents nouveaux CE DÉPLACEMENT d'accent se produisit en 1959, lors du XXP Congrès. Faisant montre d'un zèle soudain, la direction du Parti annonça que le temps était venu de réorganiser la vie soviétique de fond en comble afin d'avancer sur la voie du communisme. Il était nécessaire, à cette fin, d'introduire de nouvelles normes de comportement social et individuel. Cette poli6. Voir l'article de S. O. Ourakov, in la Légalité socialiste Moscou, 1960, n° 7, pp. 12-16. · ' 7, V. M. Kozak : « Responsabilité pour avoir pris part à des industries illicites», in la Légalité socialiste, Moscou, 195\ n° 3, p. 37. BibliotecaGtnoBianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE tique eut immédiatement sur le programme de réformes juridiques un effet décisif. Selon les directives émises par le :xxe Congrès, la réforme avait surtout porté sur l'établissement de mesures judicaires garantissant le respect de la liberté individuelle ; cela demeurait certes dans le contexte du système judiciaire _soviétique, tout en faisant partie du mouvement général pour répudier le stalinisme. Le nouvel appel amena un brusque changement d'attitude envers le crime et la façon de traiter les criminels. En premier lieu, les théoriciens soviétiques commencèrent à trouver des justifications à la politique de répression sévère des délits, même durant la méthode de transition menant au « communisme intégral ». En second lieu, ils ranimèrent le concept essentiellement stalinien selon lequel toutes les causes de la criminalité n'étaient que des vestiges du passé, les survivances du capitalisme dans l'esprit dµ peuple. Selon les criminologistes qui s'efforçaient de mettre en œuvre les décisions du XXP Congrès, les attitudes menant au crime : cupidité, désir de vengeance, jalousie, etc., provenaient du fait que le développement de la conscience sociale retardait sur le développement social et économique. La société soviétique n'offrait aucun terrain à de tels crimes et, avec une politique pénale adéquate, ils étaient voués à disparaître 8 • Il apparaît certain que ce changement d'orientation fut causé en partie par l'apparition de nouvelles formes d'activité criminelle, liées au relâchement des contrôles économiques et au fait que les biens de consommation devenaient plus accessibles. Le régime jugeait impossible, dans ces conditions, de tenir les promesses contenues dans les Principes généraux de législation criminelle et d'appliquer les mesures du programme de réformes. Le premier manquement à ces promesses fut l'adoption d'une nouvelle méthode de surveillance de la vie privée, correspondant en fait à une répression d'ordre non judiciaire sans les garanties judiciaires usuelles (législation dirigée contre les parasites sociaux et loi sur la participation publique à la prévention du crime). Le second manquement fut la publication, en 1961-62, de plusieurs arrêtés spéciaux qui, quant au fond et à la forme, constituaient une entorse aux réformes de 1958. Le fait de recourir à des 'arrêtés spéciaux et de remplacer par des campagnes violentes destinées à défendre des intérêts particuliers le concept d'application . 8: Cf. G. E. Al~ksieI~v : « Le développement régulier de rEtat sov1ét1queet du droit», m l'Etat soviétique et le droit 1960 n° 3 pp. 34-38. Cf. également, dans la même revue, n° 11, 1960, pp.' 59-68:
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