Le Contrat Social - anno IX - n. 4 - lug.-ago. 1965

B. SOUVARINE Staline, les leaders de l'alliance atlantique ne faisaient que suivre l'exemple désastreux des ministres anglais et français qui s'étaient rendus, au double sens du terme, à Munich pour y subir les prétentions exorbitantes d'Hitler. On se demande à quoi servent les ambassadeurs, les plénipotentiaires, les conseillers diplomatiques et militaires, si les chefs d'Etat en personne se substituent à la légère au personnel qualifié pour déterminer le sort des peuples sans préparation ni expérience suffisantes, sans prendre le temps de la réflexion et des consultations nécessaires. D'autres conférences internationales ont eu lieu par la suite, du même type vulgairement dénommé « au sommet », de plus en plus absurdes, toujours pour « apaiser » le despotisme oriental, dégénérant en spectacles sur la place publique, dans le tumulte de la publicité multiforme qui avilit et déshonore la civilisation moderne. Seuls les fauteurs de troubles et les entrepreneurs de subversion y trouvent leur compte et, pour cette raison parmi bien d'autres, on ne doit pas s'étonner que tout aille de mal en pis dans un monde privé de guides politiques et de directions spirituelles. Truman avait poussé l'inconscience à Potsdam jusqu'à dire à l'un de ses proches qu' « il ne trouvait pas difficile de s'entendre avec Staline ». C'était en effet d'autant plus facile que Staline, ayant obtenu plus qu'il n'osait l'espérer, était bien résolu à prendre le reste sans se soucier des « chiffons de papier », à renier sa signature autant de fois que cela lui paraîtrait pr.ofitable. Des millions de victimes attestent la non-difficulté d'ententes de ce genre. Pour donner une idée de l'information et de la compétence des hommes d'Etat occidentaux en affaires communistes, il faut encore citer Truman déclarant trois ans après Potsdam, dans un discours prononcé à Eugene, dans l'Oregon : « J'ai fait ample connaissance avec Joe Staline, et j'aime ce vieux Joe, c'est un type convenable. Mais Joe est prisonnier du Politburo. Il ne peut pas faire ce qu'il veut. Il prend des engagements et, s'il pouvait, il les tiendrait, mais les membres du gouvernement [?] disent très nettement qu'il ne peut pas les tenir. » La version d'après laquelle un Staline débonnaire, modéré, conciliant, tenait tête à son entourage fanatique et belliqueux, a longtemps prévalu à Washington, les variantes ne valant guère mieux à Paris et à Londres. Il fallut en 1948 le « coup de Prague » pour ramener les divagateurs aux aures réalités d'ici-bas. Encore l'armée soviétique n'eut-elle pas à intervenir directement pour liquider le régime pro-communiste de Benès : il lui suffisait de faire sentir à proximité sa présence. Ce dont Biblioteca Gino Bianco 211 Staline put s'abstenir à Prague, Khrouchtchev le fera en usant d'engins blindés contre les ouvriers et les étudiants de Budapest dix ans plus tard. Mais en 1948, les démocraties d'Occident eurent la révélation soudaine d'un danger latent à l'Est et, renonçant à la démobilisation générale qui était leur souci majeur, surtout aux EtatsUnis, elles envisagèrent les mesures militaires propres à parer aux éventualités les moins probables. Mesures pleinement justifiées par les armements formidables de l'Union soviétique, mais qui ne dispensaient pas de recourir aux voies et moyens politiques pour riposter à la guerre politique déchaînée par Staline et ses acolytes. Du moins comprit-on à l'époque, de ce côté-ci du « rideau de fer », qu'un ennemi implacable se tenait embusqué de l'autre côté, prêt à profiter de toute défaillance apparaissant chez les gardiens de la paix froide. Ce qui ne fut pas compris, c'est qu'en aucun cas cet ennemi ne prendrait le risque d'une conflagration générale entraînant de nos jours l'emploi des armes atomiques. Il en advint le traité de l'AtlantiqueNord et son organisation centrale correspondante (Nato) qui ne pouvait et ne peut empêcher l'expansion du communisme par des procédés tout autres que ceux de la conquête classique. Devant un ennemi omniprésent sous le camouflagede la coexistence pacifique, rien ne s'oppose à sa prolifération cancéreuse, avec ou sans violences, faute d'intelligence et d'action politiques appropriées au mal à combattre. Staline a pourri la paix, à l'instar d'Hitler qui avait dit : « Je pourrirai leur guerre. » * ,,.,,. L,\ÉE FAUSSE d'une menace de guerre mondiale et nucléaire au moindre prétexte, équivalant à un suicide collectif, devait laisser le champ libre à Staline, à ses émules et à ses successeurs déjà très avantagés par le secret de leur stratégie ainsi que de leurs tactiques, la constance de leurs opérations, la permanence de leurs initiatives, tandis que les démocraties débiles étalent au grand jour leur désarroi et leurs incertitudes, révèlent à tout venant leurs craintes et leurs scrupules, bavardent à l'infini pour conclure à l'urgence de ne rien faire. Le blocus de Berlin sous Staline et le mur de Berlin sous Khrouchtchev illustrent tristement ce cours de l'histoire récente qu'il eût été facile de détourner dans un meilleur sens à condition de ne pas s'attendre pour si peu à une guerre-suicide. Quand l'ennemi se sentit capable de tâter, sans risque majeur, les gardiens de la paix armée, en Corée, « il s'agissait d'un premier défi ,

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