Le Contrat Social - anno IX - n. 4 - lug.-ago. 1965

YVES LÉVY conversation roula beaucoup plus sur le tragique de la situation ». Or Dommanget a sans doute tort, et Vuillaume est formel : « La conversation, écrit-il, roule, pendant tout le déjeuner, sur les otages et l'échange contre Blanqui. » Mais pourquoi parla-t-on seulement de Blanqui? Sans doute parce que lui seul semblait avoir l'étoffe d'un « organisateur de la victoire ». Pour intelligents que fussent plusieurs d'entre eux, les membres de la Commune étaient inégaux à leur tâche, incapables de dominer l'ensemble des problèmes et d'en percevoir la hiérarchie et l'urgence. On rêvait de Blanqui comme du seul véritable acteur révolutionnaire, et ceux qui étaient là ne se sentaient peut-être que les spectateurs d'un drame dont un implacable destin ordonnait les phases 1 . * Jf Jf SUR LE MÊME SUJET de l'enseignement, le livre de S. Froumov est loin d'être de la même qualité.· S'il présente un intérêt, c'est que l'auteur a rassemblé 150 pages de documents divers - articles de journaux, circulaires officielles, affiches, etc. - relatifs à l'enseignement, à la culture et aux arts. Mais dans le texte qui précède ces documents - et qui renvoie à ceux-ci par des chiffres qui sont tous faux 2 - les erreurs ne manquent pas, ni les inconséquences. Plus que de recherche historique, l'auteur est préoccupé de déterminer qui détient « la ligne juste », et de montrer l'influence de Marx prévalant sur celle de Proudhon. C'est là un règlement de compte d'autant plus intempestif que les idées des deux champions ne semblent pas avoir joué un rôle déterminant sur l' œuvre de la Commune en matière scolaire, artistique ou culturelle, et il est fâcheux que cette querelle rétrospective (et à bien des égards, imaginaire) conduise l'auteur à reproduire pieusement les erreurs d'Engels. Il écrit en effet (p. 64) qu' « au sein du mouvement ouvrier français, l'on connaissait depuis longtemps la thèse du Manifeste du parti communiste sur la réunion de l'éducation et de la production matérielle », et précise que « la traduction française du Mani1. Cf. par exemple la curieuse p6roraison d'une allocution adress6e par Allemane aux enfanta d'une nouvelle kole : Quoi qu'il advienne, leur dilait--il, il• devraient, devenus hommes, d6fendre la m6moire des hommes de la Commune contre ceux qui les calomnieraient ( M,molres d'"" communard, p. 78) : il y a là le t6moianaae d'une ftranae 1'61ipatlon à la dtfaite. Sentiment 1an1 doute trh r6pandu : Liuapray (Hl1tolr• de la Commune, Bruxelles 1876, p. 231) krit que Delescluze r•ta membre de la Commune « pour attendre, non la victoire - aussi bien que Pyat il la savait impouible - mai• la mort qui s~me l'avenir •. 2. D elt vraisemblable qu'on a oubli6 de transposer pour l'fdition f nnçalae lei renvois aux papa de 1'6dition ruue. Biblioteca Gino Bianco 243 /este parut en 1848 ». Or, pour être signée de Marx et d'Engels (dans une préface au Manifeste écrite en 1872), cette affirmation n'en va 2as moins, jusqu'à preuve du contraire, à l'encontre de la vérité. Et quand par miracle on découvrirait un exemplaire authentique de cette traduction, il n'en serait pas moins faux qu'elle ait eu la moindre influence en France, puisque précisément, si depuis longtemps l'existence de cette traduction est niée, c'est à la fois parce qu'on n'en connait pas d'exemplaire et parce qu'aucune trace de l'influence du Manifeste n'a pu être décelée en France antérieurement à la défaite de la Commune. Ailleurs (p. 15), parlant de Vaillant, l'auteur affirme que « bien que blanquiste, il était membre de l'Internationale et correspondait avec Marx, dont il fit connaître la théorie aux blanquistes comme le constate Engels ». A plusieurs reprises l'auteur reparlera de cette influence de Marx sur la Commune par l'intermédiaire de Vaillant. Malheureusement, la « constatation » faite par Engels en 1891 est une erreur à peu près certaine. Dommanget, dans sa grande biographie de Vaillant 3 , invoque sur ce point le témoignage formel de Charles Longuet qui, dans !'Appendice de sa traduction de La Guerre civile en France, contredisant explicitement Engels, dit que c'est après la Commune « dans la première année de l'exil que Vaillant a été profondément influencé par la lecture du Capital et aussi par ses relations personnelles avec Marx ». On peut ajouter que ce témoignage - que Dommanget donne sous la date de 1925 - a d'abord été publié en 1901 4, c'est-à-dire du vivant d'Edouard Vaillant. !)'autres erreurs n'ont pas l'excuse d'être empruntées à Engels. En ce qui concerne Vaillant, l'auteur n'hésite pas à écrire (p. 64) que, connaissant bien l'allemand, il « avait évidemment lu Le Capital peu après sa parution ». C'est là une évidence de l'ordre de la foi, mais c'est, dans l'ordre de la science historique, une affirmation arbitraire, et vraisemblablement une erreur. Ailleurs, l'auteur accroît d'autorité le nombre des membres de la Commune : on s'étonne d'y voir inclus Elisée Reclus, qui ne fut qu'un fédéré du rang (p. 91), et on est surpris de lire (p. 78) une phrase où il est question de « Dezamy, Blanqui et autres membres de la Commune ». On sait assez que Blanqui, s'il fut en effet élu le 26 mars, n'en était pas moins en prison depuis le 17 mars précédent, n1ais il n'est 3. Edouard Val/lant, un Rrand soclallst,, 1840-1915. Paria 1956, pp. 52-53. 4. Date de la premi~re traduction de La Gu,rre civile ,n Franc-,, 1ou1 le titre de I.A Commun• de Parll (Appendice, pp. 119-120).

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