214 Somme toute les Etats-Unis pratiquent. un conseil émis en public par Dean Acheson, celui d'agir selon leur conscience sans tenir aucun compte du qu'en-dira-t-on à l'intérieur ou à l'extérieur, mais en fait ils se sentent contraints tôt ou tard d'en tenir plus ou moins compte, dans les pires conditions, incapables qu'ils sont de compenser un déluge de diffamation empoisonnée par quelques gouttes tardives d'antidote. D'autre part le défaitisme savamment répandu et cultivé par les maîtres-fourbes du communisme et leurs satellites, défaitisme auquel font écho d'innombrables dupes, induit à confondre le bien-fondé de l'intervention américaine avec les chances de réussite, et désormais c'est à qui se rangera du côté des vainqueurs présumés probables : or l'Oncle Sam s'abstient comme à plaisir de réfuter la thèse courante qui dénie toute éventualité de solution militaire au Vietnam et par conséquent donne partie gagnée aux communistes, sous quelque forme de neutralisation qu'on la présente .. I L EST DIFFICILE de croire que les tenants de la neutralisation du Vietnam méconnaissent qu'elle équivaudrait à l'annexion communiste à bref délai, puis à la création d'une nouvelle base de départ pour de nouvelles conquêtes. Cela signifie que selon leurs vues, l'expansion du communisme en Asie est une fatalité inexorable. On aimerait savoir comment, dès lors, ils conçoivent la sauvegarde future de l'Europe occidentale, prolongement du continent euro-asiatique dont la France n'est que le cap extrême. Les milieux officiels et officieux français esquissent un commencement de réponse en professant à cet égard une théorie restée longtemps nébuleuse, mais qui peu à peu se dessirie et s'éclaire, celle qui tient dans la formule gaulliste sur l'Europe constituée « de l'Atlantique à l'Oural » : rompant l'alliance américaine, l'Europe se mettrait à couvert derrière l'éternelle Russie amputée de ses colonies transouraliennes. Bien que de Gaulle ne se soit jamais expliqué sur ce concept de son cru, des gloses récentes aident enfin à le comprendre. D'une part, de Gaulle prévoit qu'à coup sûr les Américains seront défaits au Vietnam conformément au précédent de la défaite française et, de plus, à en juger sur leur façon de conduire la guerre. Ce qui revient à admettre l'avance irrésistible du communisme en Asie. Sur ce point, son avis longtemps discret est ouvertement confirmé sans ambiguïté par une déclaration de Soekarno après la visite de celui-ci à l'Elysée BibliotecaGino Bian-co LE CONTRAT SOCIAL (cf. dépêche Reuter du 2 août dernier, que nul démenti n'a contredite). D'autre part, il considère la mainmise des Chinois sur la Sibérie et le Turkestan comme inscrite dans la perspective historique, d'après notamment M. Sulzberger, du New York Times, renseigné à des sources qui nous sont inaccessibles. L'Oural tracerait donc la frontière naturelle de la Russie européenne et, partant, serait donc celle de l'Europe, limite au-delà de laquelle les vastes territoires actuellement soviétiques qoivent se soumettre à la Clriineun jour ou l'autre. Ainsi la formule « de l'Atlantique à l'Oural » deviendrait intelligible, sinon convaincante. Pourquoi de Gaulle, adoptant le déterminisme « biologique » de feu le Dr Starlinger en faisant abstraction de tout argument technologique, suppose-t-il que les Russes se croiseraient les bras devant le péril jaune concrétisé par la ruée chinoise ? Peut-être est-il frappé de la faiblesse dont ils font preuve sous les coups que Mao et son équipe leur assènent en paroles, en attendant de passer aux actes. Nul autre que lui n'a sur ce chapitre le secret de sa pensée mouvante qu'à son habitude il ne dévoilera sans doute que peu à peu, sous l'inspiration des circonstances 3 • Pour l'heure on s'interroge en vain sur le comportement des Etats-Unis qui ne cherchent pas plus à se faire approuver ou comprendre de leurs alliés traditionnels qu'à se faire respecter de leurs ennemis jurés, blancs ou jaunes. Au lieu de quoi l'on assiste à des choses stupéfiantes qui ne rappellent que trop les pires aspects de la guerre de Corée. Les leaders politiques, les généraux et les diplomates américains ne cessent de révéler au public, donc à l'ennemi, tout ce qù'ils ont par définition le devoir de taire. Les journaux rivalisent de zèle pour débal3. Lord Gladwyn, ancien ambassadeur de GrandeBretagne en France, dans un discours public prononcé. le 8 mars à Lyon, s'est exprimé en ces termes sur « le fameux schéma international de l'Atlantique à l'Oural dans lequel. par définition, ni l'Amérique ni la GrandeBretagne ne joueraient le moindre rôle » : [Le concept] « de quelque Etat monstrueux s'étendant de Brest à Magnitogorsk me paraît tout bonnement horrifiant. Où, je vous le demande, serait le centre de cette étrange union ? Berlin, on peut le supposer, serait la capitale la plus appropriée. Peut-on réellement imaginer que les Français ou les Russes souscriraient à un tel choix? D'autre part, comment amener les Russes à céder volontairement les 15 millions de kilomètres carrés de lèur territoire compris entre l'Oural et Vladivostok ? Et quel serait le rôle exact des 150 millions de Russes de ce côté-ci de l'Oural, qui constitueraient sans doute le groupe le plus puissant de la nouvelle confédération ainsi agrandie, même coupés de leur arrièrepays asiatique ? » Ces questions du lord libéral anglais sont restées sans réponse.
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