YVES LÉVY singerie du jacobinisme de 1793. Ce sont des pleutres qui ont renié leurs idées et leurs actes devant le 3c conseil de guerre. Ecœuré, M. Rougerie ne cesse de se détourner de ces individus assez méprisables : « Ils sont pour l'historien moins intéressants peut-être que la masse révolutionnaire,. la foule des humbles, le petit gibier de conseil de guerre » (p. 99). « Historiquement, le vrai problème n'est-il pas : que pensait, pendant ce temps, que faisait le Parisien moyen, le communard d'en bas ? » (p. 163 ). Et dans sa conclusion, il écrit (p. 240) : « Pour nous, c'est la foule communarde, en 1871, que nous avons cherché à comprendre. » Qu'est-elle donc, cette foule communarde? L'auteur nous la présente, au premier chapitre, telle que la voient ses adversaires. Il cite le commandant Gaveau, commissaire du gouvernement, dont il résume l'opinion en disant que, pour lui, « toute l'histoire de la Commune ne peut être que celle d'un long crime, abominablement perpétré » (p. 51). Il complète les ~citations de Gaveau en reproduisant un très long passage de Paul de Saint-Victor, qui ne doit cet honneur qu'à la virulence des injures qu'il lance aux communards. Tout cela est introduit par un sous-titre dont on va bientôt retrouver les termes : « Classes laborieuses, classes dangereuses ». Au second chapitre nous voyons, au jour du jugement, le « petit gibier de conseil de guerre » nier autant qu'il peut toute participation aux événements, ou du moins toute initiative. Parmi les femmes, il y eut quelques «· militantes authentiquement socialistes ». Les autres étaient aux yeux des juges militaires « un étonnant ramassis de prostituées, de criminelles, et bien entendu de pétroleuses » (p. 114). Le rapporteur a-t-il exagéré ? Sans doute. Mais, dit l'auteur, « moins peut-être qu'il ne le paraît », et se posant la question : « Révolutionnaires ou prostituées ? », il répond (p. 118) qu'après tout, pour l'ouvrière de ce temps-là (et pour son conjoint), « le salaire de la prostitution est volontiers considéré encore comme le cinquième quart de la journée de travail ». Mais la qualification de « pétroleuses » lui semble excessive. Passons sur un procès d'enfants mineurs, sinon pour nous étonner que M. Rougerie oublie de mentionner le verdict : ils ont été acquittés en bloc comme ayant agi sans discernement 7 • Ce chapitre se termine par un portrait statistique de l'insurgé de 1871. Après avoir indiqué, de façon insuffisamment convaincante, qu'il s'agit essentiellement de salariés qui ne sont « ni 7. MaJs ceux que pcnonne ne r6clamait furent envoyu en malaon de correction. Biblioteca Gino Bianco 247 vrais artisans ni vraie prolétaires », l'auteur se réfère à Louis Chevalier, auteur d'un roman absurde sur les ouvriers parisiens de la pre1nière moitié du siècle 8, et remarque qu' « incontestablement le " crime " est présent dans les rangs de l'insurrection » : 21 % des détenus sont en effet des repris de justice. M. Rougerie observe cependant qu'il est impossible « de comparer ces proportions à celles d'une population normale : les recensements de population ne tiennent pas compte des casiers judiciaires ». Et il présente une statistique où « l'insurrection ne va pas exactement de pair avec le crime ». Il n'en conclut pas moins, contre sa propre statistique, mais « tenant compte de cette proportion indéniablement forte qu'on rencontre de repris de justice dans les rangs des insurgés » - or il vient précisément de dire qu'il ne pouvait rien affirmer là-dessus, faute de point de comparaison - il n'en conclut pas moins à « l'identité au moins partielle des classes laborieuses, des classes dangereuses, et des classes insurgées ». Conclusion dont nous montrerons l'arbitraire, mais qui permet de faire du communard une survivance de l'ouvrier criminel inventé par Louis Chevalier : « il appartient à la première moitié du XIXe siècle, à la préhistoire du mouvement ouvrier et socialiste ». Dans le troisième chapitre, l'auteur cite, tirés des archives du ministère de la Guerre, nombre d'inédits des communards du rang. Il en déduit qu' « une minorité seulement d'ouvriers et d'ouvrières » sont « dotés d'une véritable conscience de classe » (p. 215), la plupart des communards relevant « du sans-culottisme le plus rétrograde » (p. 229). L'auteur, enfin, donne ses conclusions. Il commenèe par soutenir que Lissagaray « n'ose pas rappeler que cette foule furieuse » qui hurlait à la mort contre Varlin « devait compter bien des communeux de la veille ». Et ce trait ne peut manquer de nous donner une bonne idée de la versatilité et de la lâcheté des troupes communardes. Puis il pose que « la tradition proudhonienne, si elle ne fut pas nulle » ne fut cependant ni grande ni déterminante, car « ce peuple était d'abord sans-culotte » (pp. 239240), la Commune fut l' « ultime sursaut d'un sans-culottisme révolu » (p. 243 ). Après quoi M. Rougerie applique aux communards - sans donner (abstention curieuse) aucune référence d'auteur ni d'ouvrage - un passage de Malraux relatif aux anarchistes espagnols. On ne voit guère le rapport entre le sans-culottisme et 8. Loui1 Chevalier : Class~s laborl~uus "' rlnsus danR,rt'uscs à Paris p~ndant la premlir~ moltll du XIX• sltclt', Paria 1958. Sur cet ouvrap, cr. le compte rendu de Fernand Braudel (Annnl,s mai~ juin 1960) et Je nôtre (l'r~uv~s, n° 102, aoOt 1959). '
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