248 · l'anarcho-syndicalisme, tnjÎs on voit très bien que l'auteur réunit ainsi au sans-culottisme le socialisme d'inspiration proudhonienne pour les classer ensemble dans le passé révolu. Et voici monter au zénith l'étoile nouvelle, pour guider l'humanité. vers l'avenir : les huit dernières pages - huit pages d'un si petit livre - sont consacrées à Marx, Marx qui n'a rien à voir avec les procès de la Commune, qui n'a pas eu l'ombre d'une influence sur les événements ni sur ceux qui s'y trouvaient mêlés. Si l'on a pris soin, ici, de résumer l'essentiel de ce petit ouvrage, c'est qu'on y discerne assez bien les méfaits de la philosophie de l'histoire. La philosophie de M. Rougerie, à vrai dire, est simple, et mêine simplette. Il distingue, dans le socialisme, une préhistoire et une histoire, cellelà allant jusqu'à Marx, celle-ci commençant avec Marx. Les choses n'ont donc d'importance historique que dans la mesure où elles concernent Marx. Et la Comn1une, précisément, ne compte que dans la mesure où elle fut « un incident » dans la pensée de Marx et dans sa conception de la stratégie révolutionnaire, comme le dit explicitement l'auteur, de qui ce sont les derniers mots. Marx seul est doué d'une authentique vérité historique, d'une vérité historique hégélienne. Pour avoir échappé à son influence, les communards et leurs chefs ont pataugé dans le bourbier de l'inconscience, de la confusion et de l'immoralité : dans la préhistoire. Ce qu'il y a de plus fâcheux dans cette philosophie de l'histoire - comme dans toute philosophie de l'histoire - c'est qu'elle conduit l'auteur à déformer presque nécessairement les faits, pis encore : à les aborder d'une façon tout à fait erronée, et proprement antihistorique. Les chefs de la Commune ont été jugés. Ils ont été jugés par les conseils de guerre. Ils ont été jugés par les survivants de la grande aventure. Ils ont été jugés par bien des gens qui n'avaient aucun titre à le faire. M. Rougerie les juge à son tour, et continuera sans doute à les juger dans la thèse qu'il prépare sur l'histoire de la Commune. « Juger c'est beau ! » écrivait ironiquement Louise Michel. C'est si beau que le. premier venu a hâte de descendre au niveau des juges, avec ce que cela implique nécessairement de préjugés et d'incompréhension. Car il faut choisir de juger ou de comprendre. Et si le juge fait métier de juger, on attend plutôt de l'historien qu'il fasse métier de comprendre. M. Rougerie, lui, a besoin de disqualifier les chefs de la Commune pour se tourner vers la foule communarde. Cette foule, il l'accable à son tour, la rejette dans les ténèbres de la préhistoire. Pendant ce temps, Marx médite, Marx BibliotecaGino Bian.co DÉBATS ET RECHERCHES comprend, et trente ans plus tard naîtra le « prolétaire moderne », conscient, pur, combattant de la vraie foi. M. Rougerie en effet parle du « prolétaire moderne », qu'il oppose à celui de 1830, de 1848, de 1871. Et ce qui est singulier, c'est qu'il admet une certaine évolution au cours de cette « préhistoire », mais paraît ignorer que le « prolétaire moderne » lui aussi est différent selon les temps. Il semble, à le lire, qu'il y ait, si l'on peut dire, une histoire de la préhistoire, mais non une histoire de l'histoire. A l'instar du baptême chrétien, le baptême marxiste est une transformation essentielle qui rend secondaires toutes les différences humaines. Mais revenons à la Commune et à ce qu'en dit notre auteur. Les membres de la Commune, selon lui, furent des médiocres, des girouettes et des pleutres. Et leur abjection entraîne celle des idéologies les plus avancées de leur temps puisqu'ils furent, dans leur majorité, désignés par « les vrais révolutionnaires, les techniciens de la révolution ». Commençons par examiner ce dernier point. « Le comité des vingt arrondissements, dit M. Rougerie (p. 147), va diriger presque totalement la courte campagne pour les élections du 26 mars ( ...). Il fut le seul à proposer aux électeurs un programme à peu près cohérent et surtout des listes de candidats et des bulletins de vote. La grande majorité des candidats qu'il présenta furent élus à la Commune. » Il précise un peu plus loin (p. 151) que la Commune est composée, en grande majorité, d'anciens membres du Comité des vingt arrondissements, ou des candidats de ce comité. Toutes ces affirmations sont fausses. L'auteur reproduit (pp. 147-148) un texte dont il se garde de donner la date, et qu'il qualifie de « manifeste électoral », alors qu'il s'agit d'un manifeste politique paru au plus tôt dans l'après-midi du 26 mars, c'est-à-dire peu avant la clôture du scrutin (les bureaux· de vote furent ouverts de 8 h à 18 h). Quant aux candidats, Dautry et Schéler - de qui s'inspire évidemment M. Rougerie - cherchent à donner l'impression que le Comité des vingt arrondisséments en présenta partout, lorsqu'ils reproduisent une liste établie, semble-t-il, par ce Comité, et où figurent les noms de cinquante membres de la Commune 9, mais ils reconnaissent (p. 242) « qu'il s'agit moins d'une preuve d'influence que d'une preuve d'intelligence, de la part du Comité central des vingt arrondissements, des voies où s'engageraient les électeurs ». Et bien 9. Dautry et Schéler : Le Comitê central républicain des vingt arrondissements de Paris. Paris 1960, pp. 240-241.
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