E. DEL/MARS La condition préalable, absolument indispensable pour assainir notre biologie dans son ensemble, en particulier la génétique et la sélection pratique, doit être de bien comprendre les causes de la situation actuelle. Ces raisons doivent être portées à la connaissance des milieux scientifiques soviétiques. Cette situation anormale est le résultat de l'activité de l'académicien Lyssenko et de ses partisans. Ceux-ci avaient adopté dans les questions fondamentales de la biologie générale, de la génétique et de la doctrine de l'évolution des thèses entièrement erronées, en substituant leurs propres dogmes à l'héritage de Mitchourine. Ils se prétendaient les seuls vrais mitchouriniens. Profitant du climat du culte de la personnalité, ils appliquaient contre tous ceux qui ne pensaient point comme eux des mesures de pression administrative, inadmissibles dans le domaine scientifique. En même temps, ils avaient rejeté sans raison aucune non seulement les découvertes les plus importantes de la science contemporaine, la théorie chromosomique de l'hérédité, les bases physiques et chimiques de l'hérédité, les nouvelles méthodes de sélection des animaux, plantes et microorganismes, mais aussi la doctrine de l'évolution de Darwin. Ils s'efforçaient de la remplacer par une théorie des sauts brusques dans la production d'une espèce par une autre. La longue activité de Lyssenko a infligé un immense dommage à la biologie soviétique, avant tout à la génétique et à la formation de jeunes cadres savants et de praticiens-spécialistes. Elle a aussi énormément nui à l'économie nationale, surtout à l'agriculture, en lui imposant des méthodes pseudo-scientifiques injustifiables au lieu de procédés scientifiquement établis et vérifiés par la pratique (ibid, pp. 101-104). Une autre victime de Lyssenko, A. R. Jebrak, membre de l'Académie des sciences de Biélorussie, ajouta de nouvelles pièces à ce réquisitoire : La polyploïdie expérimentale, science fondée dans notre pays par I. I. Guérassimov, professeur à l'université de Moscou, a subi le sort commun : depuis 1948 elle n'est plus étudiée chez nous. Une autre grande théorie est à la base de l'évolution et de la sélection, celle des « lignées pures ►> et l'application des lois de l'hérédité dans ces lignées (...). Elle constitue le fondement de la méthode de sélection individuelle par laquelle furent créées la plupart des variétés nouvelles de plantes à autopollinisation. Cette doctrine constitue également le fondement de l'inbreeding (élevage consanguin) chez les plantes à pollinisation croisée. L'emploi de cette dernière méthode a permis de découvrir l'hétérosis (développement intensif) chez les hybrides ... Aux Etats-Unis, l'emploi de ·semences hybrides de maïs a permis d'augmenter la récolte de 25 à 30 %, de gagner ainsi annuellement plus d'un milliard de pouds de grain. L'académicien N. I. Vavilov faisait, dès les années 30, une large propagande en faveur des hybrides de maïs. Mais, comme Lyssenko rejetait le concept des « lignées pures », l'implantation pratique des hybrides à haut rendement fut retardée de plus de vingt ans. Pour moi, le dommage infligé au pays par Lyssenko par l'arr~t de l'utilisation pratique de ces hybrides et, depuis 1948, de tous les travaux de polyploïdie exp6rimentale, est beaucoup plus considérable encore que celui dont a parlé ici l'académicien Soukatchev à propos des plantations foresti~res. Biblioteca Gino Bianco 227 D'autre part, les variétés triploïdes de la betterave à sucre contiennent de 15 à 20 % plus de sucre que l'espèce ordinaire. Or l'utilisation de ces variétés dans l'agriculture fut retardée chez nous du fait que Lyssenko rejetait la polyploïdie. Depuis la session de 1948, tout travail concernant la polyploïdie est devenu extrêmement difficile (ibid, p. 111). L'hallali fut sonné par la Pravda le 7 février 1965. Dans son article de tête, l'organe du Comité central du Parti entérinait la condamnation de Lyssenko en ces termes : On sait que le monopole d'un groupe de savants, qui rejetaient nombre de tendances parmi les plus importantes de la biologie et imposaient leurs propres vues, qui souvent n'étaient pas au niveau de la science actuelle, exerçait depuis longtemps un effet pernicieux sur le développement de la biologie. Cet effet se répercutait sur le développement des sciences biologiques, médicales et agronomiques dans leur ensemble. Ces dernières années, beaucoup a été fait pour rattraper ce retard. On ne peut, certes, conclure de cette condamnation à l'évolution fondamentale des dirigeants du Kremlin. Les conseils de Lyssenko, le maître à penser de Staline puis de Khrouchtchev en science économique, ont permis à ce dernier de jouer les pontifes en la matière, d'acculer le pays à un désastre économique et d'évoluer rapidement vers un nouveau « culte de la personnalité ». A travers Lyssenko, les attaques d'aujourd'hui visent, sans le nommer, l'ex-premier secrétaire du Parti, apportant de l'eau au moulin de ceux qui ont renversé Khrouchtchev. Ce qui importe à la « direction collégiale », c'est de justifier son coup d'Etat et non pas de voler au secours de la vérité scientifique. Cette dernière attitude constitue d'ailleurs un excellent motif de propagande, surtout pour l'étranger. Quoi QU'IL EN SOIT, Khrouchtchev limogé et Lyssenko éliminé, tout paraît pour le mieux dans le meilleur des mondes biologiques. Le Parti et son Comité central, ce parangon infaillible de toute sagesse marxiste-léniniste, aura mis près de dix-sept ans pour arriver, au sujet de cet académicien et de ses théories, à des conclusions que Jean Rostand, pour sa part, formulait dès 1951. Quelle peut être la réaction de l'ex-dictateur de la biologie soviétique, pris en flagrant délit de mensonge, mis au pilori, accusé de tous les méfaits et finalement condamné par le Parti ? La mentalité de la plupart des savants soviétiques ayant été façonnée par la sinistre époque stalinienne, cette réaction n'aura sans doute rien de commun avec celle d'un savant occidental. Lyssenko n'a rien d'un Kammerer. Son nom
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