Le Contrat Social - anno IX - n. 4 - lug.-ago. 1965

262 Léon Blum n'était pas homme à reculer devant la difficulté ; en aurait-il eu envie, que la nécessité l'eût contraint à affronter l'obstacle. Il consacra donc au Plan du travail dix articles du Populaire. Le titre qu'il donna à la série : « Au-delà du réformisme », traduisait avec bonheur l'intention d'Henri de Man, avec d'autant plus de bonheur qu'elle était un rappel discret de son Au-delà du marxisme. Hors ce titre, tout, dans ces dix articles, trahit autant d'incompréhension que d'hostilité. Par moments, on a le sentiment que. Blum ne veut pas comprendre : il semble parfois tout proche de la compréhension, mais c'est pour s'en écarter à l'instant où l'on croit qu'il va y parvenir. Et puis force est bientôt d'admettre que mauvaise volonté ou mauvaise foi n'ont guère à voir avec son attitude : ce monde d'idées lui est trop_étranger pour qu'il s'y retrouve. Il s'employa d'abord à montrer qu'il n'y avait rien de commun entre les néo-socialistes et Henri de Man. Si l'on voulait trouver en France quelque chose qui ressemblât au Plan du travail, il fallait le chercher du côté de ce qu'on appelait les « Cahiers de ..f-Iuyghens », du nom de la salle où s'était tenu, en 1932, le congrès du parti socialiste qui les avait adoptés (d'ailleurs simple programme électoral du style le plus classique), ou encore du côté du contre-projet fiscal et du grand projet sur la protection de l'épargne publique rédigés par Vincent Auriol. Blum consacra trois articles à cette première partie de sa démonstration : « Au-delà du réformisme », le 4 janvier 1934; « Appel à une bataille de classe », le 5 ; « Le Plan de travail et le parti français », le 6. On remarquera qu'il écrivait : « Plan de travail » ; ce n'est que quelques jours plus tard qu'il s'aperçut que le nom véritable était : Plan du travail. Le scandale Stavisky le força .à changer de propos. Il revint au « plan de Man » le 17 janvier et lui consacra sept nouveaux articles (le dernier parut le 26 janvier, Blum ayant dû suspen~e son examen une seconde fois le 23 et le 24 ). A eux seuls, les titres indiquent l'importance des problèmes traités : « Plan et programme », le 17; « Les grandes lignes du Plan », le 18 ; « La résorption du chômage », le 19 ; « Le sens véritable du Plan du travail », le 21 ; « La socialisation par étapes », le 22 ; « Le secteur privé », le 25 ; « Socialisations et socialisme », le 26. Aux yeux de Blum, on pouvait admettre que le « Plan » fût un moyen de marcher plus rapidement au socialisme, en ce sens qu'il était un merveilleux instrument de propagande électorale, susceptible de rassembler autour de ses auteurs « la classe Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL ouvrière belge et les classes ambiantes » (26 janv.).·« Son but immédiat reste la conquête du pouvoir politique par le rassemblement d'une majorité (...). Une fois installé au pouvoir avec le mandat populaire, il faudra bien que le socialisme obéisse à son destin » (25 janv.). C'était par sa capacité de rassembler les masses que, selon Blum, le Plan du travail se situait « au-delà du réformisme », mais par cela seulement. Car, si les nationalisations qui y étaient prévues valaient « moralement, psychologi9uement, politiquement en tant qu'elles exalteraient la confiance de la classe ouvrière en elle-même », elles ne valaient pas « comme mode de réalisation partielle du socialisme » (26 janv.). En etfet, on ne peut socialiser par étapes. Le socialisme, c'est la suppression de la plus-value que le capitalisme prélève sur les salariés. Or la nationalisation ne supprimera pas ce prélève• ment. Le travailleur ne recouvrera pas, par l'effet des socialisations partielles, le produit intégral de son travail : La gestion d'Etat ou le contrôle d'Etat exercés sur de grandes industries pourront sans doute améliorer les salaires et les conditions du travail, mais dans la mesure où le fait une législation sociale du type ordinaire. Le travailleur des services ou industries nationalisés restera soumis, pour l'essentiel, à la loi capitaliste (26 janv.). Cela d'autant plus que l'Etat devra indemniser les actionnaires expropriés, et que c'est tout un pour les salariés (et ici Blum citait Jaurès) que d'être « tenus de fournir le dividende du capital privé ou l'intérêt des emprunts d'Etat ». De plus, le Plan du travail instaurerait une économie mixte, où un secteur socialisé et un secteur privé coexisteraient de façon durable. Sans doute cette coexistence ne serait-elle pas définitive, puisque le P.0.B. maintenait l'ensemble de son programme. Toutefois, il semblait à Léon Blum (et sans doute ne se trompait-il · pas) que le Plan n'envisageait pas « le rétrécissement progressif et l'élimination finale du secteur libre » ; il tendait plutôt « à le consolider, ' 1 ' " '' l' ' a e preserver, en meme temps qua amenager » ; il s'ingéniait même « à le soustraire au processus d'évolution capitaliste qui, par la concentration régulière, le rendrait mûr à son tour pour la socialisation » (25 janv.). Ainsi le plan consoliderait le capitalisme dans le secteur privé, et ïl instituerait dans le secteur « socialisé » un régime qui ne serait pas le socialisme : Les socialisations partielles n'ont donc pas et ne peuvent pas avoir pour effet de démanteler un pan du système capitaliste. (...) Un plan de socialisation partielle n'est même pas une réforme de structure en ce sens qu'il ne modifie pas la structure capitaliste ; il serait

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==