220 · l'accoutumée, devinrent méfiants. Ils demandèrent des explications et des assurances sur la stabilité de la monnaie. Le porte-parole local du parti communiste s'efforça de noyer le poisson : « Notre monnaie est solide. Faites confiance au Parti, camarades ! Les bruits. concernant une réforme monétaire ne sont absolument pas justifiés ; ils sont répandus par l'ennemi de classe et l'impérialisme occidental afin de nuire à l'édification du socialisme. » Forts de cette garantie, les ouvriers rentrèrent chez eux pour apprendre par Radio-Prague, le samedi suivant, 30, dans le courant de l'aprèsmidi, qu'une loi sur l'échange des billets venait d'être promulguée. Le lundi 1er juin, les ouvriers de Skoda vinrent à l'usine, mais refusèrent de reprendre le travail avant d'avoir reçu une explication satisfaisante. Le Parti dépêcha alors des agitateurs formés à la hâte et chargés d'une tâche impossible : persuader les ouvriers qu'ils n'avaient pas été trompés par le gouvernement. Les propagandistes du Parti furent hués et des groupes compacts commencèrent à discuter avec animation. Dans de nombreux cas, la position de l'ouvrier fut présentée par des intellectuels qui avaient été relégués à l'établi : ils n'eurent aucun mal à ridiculiser les agitateurs. L'un de ceux qui réussirent à tourmenter le mieux ces derniers fut un ancien professeur de lycée, nommé Vrzal, qui fut, par la suite, sévèrement châtié. Mais la discussion ne donna rien, et comme personne n'était d'humeur à reprendre le travail, un mot d'ordre se répandit : allons exiger une explication convaincante du maire. (Remarquons ici qu'en 1953 le maire était encore considéré comme le centre du pouvoir politique local; aujourd'hui, les gens iraient tout droit au quartier général du Parti.) Tout le monde essaya alors de quitter l'usine, mais seuls 3.000 ouvriers y parvinrent : dans de nombreux ateliers, les portes étaient barricadées par la milice ouvrière. Certains miliciens perdirent leur sangfroid et tirèrent dans la foule, faisant les pre- .' . . m1eres v1ct1mes. Cependant, lorsque le cortège se mit en marche pour l'hôtel de ville, distant d'environ trois kilomètres, l'humeur rebelle des ouvriers, auxquels s'étaient joints quelques personnes qui assistaient au défilé, n'allait guère au-delà du ressentiment éprouvé par chacun devant ses économies perdues. Or, faisant partie d'une foule, les ouvriers redécouvrirent leur sens de la solidarité ; aux slogans du début contre la réforme monétaire, d'autres succédèrent bientôt qui s'en prenaient au régime lui-même. Les plus populaires semblent avoir été les cris de « Plzen Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL cerna,Benesovi verna (Pilsen la Noire est fidèle à Benès) » et de « Bude zase hej, prijdou hosi z U.S.A. (Nous aurons de nouveau du bon temps, les gars des U.S.A. vont revenir). » ,,*.,,. LORSQUE LES MANIFESTANTS atteignirent l'hôtel de ville, ils trouvèrent le lourd portail fermé à double tour. A ce moment, la multitude qui se pressait entre l'immeuble Renaissance abritant les bureaux du maire et la cathédrale gothique Saint-Barthélémy, sur la place de la République, comprenait des milliers de spectateurs attirés par le brouhaha. L'initiative fut alors prise par de jeunes ouvriers qui, pour beaucoup, n'avaient pas vingt ans. Quelques-uns parvinrent à se glisser dans le bâtiment et ouvrirent la porte de l'intérieur. La foule se pressa et des centaines de personnes s'engouffrèrent, exaltées par la victoire et avides ·de butin. Les affiches du Parti, le matériel de propagande, les bustes et les tableaux furent arrachés des murs et foulés au pied. Au bout de quelques minutes, les émeutiers s'emparèrent d'un micro : ils haranguèrent la foule et prononcèrent des paroles belliqueuses contre la fraude monétaire, le gouvernement et le communisme, tout en faisant acclamer le nom de Benès (à l'époque mort depuis cinq ans) et les troupes américaines qui avaient libéré la ville en 1945. La foule devint particulièrement enthousiaste lorsque les jeunes gens de l'intérieur eurent l'heureuse idée d'user d'une forme de protestation politique traditionnelle en Bohême - la défenestration. Ce jour-là, au lieu des deux gouverneurs catholiques et de leur secrétaire Fabricius, on vit des bustes de Staline et de Gottwald voler par la fenêtre. Tandis qu'à l'hôtel de ville cette liquidation du culte de la personnalité avant la lettre allait .bon train, un autre siège de l'autorité d'Etat était pris d'assaut : le bâtiment du tribunal, pompeusement nommé palais de justice, situé au 44 de la rue Veleslavinova, à quelques dizaines de mètres de là. Les manifestants, notons-le bien, n'étaient pas tant attirés vers le quartier général de l'appareil judiciaire par leur resssentiment envers les fonctionnaires qui l'occupaient que par la colère envers un seul individu nommé Votruba, 1 membre de la police secrète. Précédemment appréhendé au coin des rues Solni et Domipikanska, il avait été fort malmené par les manifestants, mais, étant solide sur ses jambes, il avait trouvé le moyen de s'échapper et de se réfugier au tribunal. Aussitôt après son arrivée précipitée, les portes furent fermées derrière lui,
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