250 . élus et créer un régime despotique qui dure encore. Si quelqu'un en 1871. pouvait faire penser à Lénine, ce serait M. Thiers, qui s'entendait avec l'ennemi extérieur pour triompher de ses adversaires politiques. Que penser du retournement politique de la Commune,• passée d'un proudhonisme quasi unanime à un jacobinisme exacerbé? C'est une création de M. Rougerie. Notre auteur voit une Commune « très proudhonienne » écarter un premier projet de programme, parce que (penset-il) ce projet était sans doute « trop jacobin ». Mais il n'est que de lire le procès-verbal de la première séance du 18 avril (Procès-verbaux de la Commune de 1871, I, 273) pour se convaincre que cette hypothèse est fausse : Billioray, auteur du projet, accuse Protot, adversaire du projet, de concevoir la Commune comme « un pouvoir dictatorial gouvernant la France », et il affirme : « Quels que soient les événements qui doivent survenir, nous ne devons pas sortir des attributions d'une Commune de Paris. » En réalité il n'y eut pas de projet « jacobin », et le projet « proudhonien » qui fut voté quelques heures plus tard, en séance de nuit, triompha sans opposition. Parce que la Commune était tout entière proudhonienne ? Certes non. Mais peut-être parce qu'il n'y avait pas, à ce momentlà, d'idéologie de rechange. Il est notamment remarquable que Marx - M. Rougerie le rappelle - ait commenté favorablement ce progra.mme, et longuement, dans La Guerre civile en France. Il est non moins remarquable que, vingt ans plus tard, préfaçant cet ouvrage, Engels ait donné la Commune pour un modèle de « dictature du prolétariat ». Cela suffirait à démontrer que les mots ont changé de sens _depuis que l'expérience historique de notre siècle les a chargés d'un contenu à tout le moins imprévu. La Commune est-elle, entre le 19 avril et le 1er mai, passée du proudhonisme au jacobinisme ? Certainement pas. Arnould (cité dans les Procès-verbaux, II, 375) présente les choses à l'inverse, et de façon bien plus vraisemblable : ce n'est pas la majorité jacobine qui s'est formée tout à coup au sein d'une Commune proudhonienne, mais la minorité qui a lentement pris conscience d'elle-même avant de formuler son non possumus. C'est d'ailleurs ce qu'avaient, dès 1871, exposé Lefrançais (Etude sur le mouvement communaliste, p. 306) et Benoît Malon ( La Troisième Défaite du prolétariat français, p. 138). Ce dernier remarque d'ailleurs que les « jacobins » ne s'opposèrent jamais aux mesures socialistes : seul était en cause le principe d'une concentration du pouvoir à l'intérieur de la collectivité communale. Quoi qu'il en soit, il faut Bi.bliotecaGino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES constater que les élus furent, non versatiles, mais divisés, comme il est normal tant que n'est pas intervenue une terreur unificatrice - robespierriste ou stalinienne. La lâcheté des chefs de la Commune devant le conseil de guerre n'est pas moins imaginaire que les autres griefs de M. Rougerie. Lui-même observe d'ailleurs que huit membres de la Commune avaient été tués, que quarante-huit étaient contumax, et il n'y a pas de raison de penser que ceux-là auraient été les moins énergiques. Vingtdeux comparurent devant la justice. M. Rougerie cite seulement huit de ceux-là, et parmi eux Ferré et Trinquet qui, selon lui, eurent seuls une attitude digne devant les juges. Cela ne semble pas exact. D'autres - Urbain, par exemple, ou Assi - semblent avoir assez bien gardé leurs distances. Assi (non cité par l'auteur) déclare : « Il est certaines accusations dont je tiens à me justifier ici devant mes amis politiques bien plutôt que devant le conseil 11 • » C'est-à-dire qu'il se place délibérément dans un monde différent de celui de ses accusateurs, comme font aussi, avec plus de grandeur, Théophile Ferré et l'ardente Louise Michel 12 • Que, sur vingtdeux qui ne sont pas choisis parmi les meilleurs, quelques-uns aient été héroïques, ou du moins courageux, cela n'est pas négligeable, et en scrutant les choses, peut-être trouverait-on que le procès des chefs de la Commune ne fait pas trop mauvaise figure dans l'histoire des procès politiques. Et il n'est pas surprenant que d'autres aient cherché à délimiter leurs responsabilités. D'abord parce que la Commune ne faisait pas un tout cohérent, et que la plupart de ses membres n'avaient aucune raison d'assumer une responsabilité collective. Mais surtout parce qu'ils n'étaient pas membres d'un parti. Chargés inopinément de responsabilités qu'ils n'étaient guère préparés à assumer, beaucoup se sont tout naturellement efforcés de se mettre en règle avec un monde social auquel les circonstances . les avaient opposés, mais dont ils n'étaient sortis ni par l'appartenance à un parti-église solidement constitué ni (chose rare et malaisée) par les propres forces de leur esprit. Le monde des juges était leur monde, tandis que les héros vivaient dans le monde de la Promesse. M. Rougerie, en vérité, n'a ni compris ni cherché à comprendre les chefs de la Commune. Ce qu'il dit de la foule communarde ne vaut pas mieux. Cbmme il arrive souvent, les statistiques et les archives inédites lui servent à se donner 11. Le Procès de la Commune. Paris 1871, 1, p. 37. 12. Il va de soi que Louise Michel n'était pas membre de la Commune. Et c'est évidemment par inadvertance qu'un hors-texte mêle son portrait - ainsi que ceux d'Élisabeth Rétiffe, de Rossel et de Gaillard père - à ceux des membres de la Commune.
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