YVES LÉVY qu'ils ne s'expliquent pas sur ce point, il est aisé de comprendre pourquoi ils s'expriment ainsi : ce n'est que dans le Cri du peuple du 27 mars que Vallès publia cette liste (en même temps que le « manifeste » mentionné ci-dessus). Il ne s'agissait d'ailleurs que d'une liste de préférences parmi des candidats dont beaucoup étaient étrangers au comité, et l'on remarquera que la seule affiche des Murailles politiques qui indique le patronage du Comité central des vingt arrondissements (p. 113) donne trois noms, dont deux sont absents de la liste du Cri du peuple, et que d'ailleurs, malgré ce patronage, aucun des trois candidats ne fut élu. Contrairement, donc, à ce que pense M. Rougerie, la Commune ne fut pas une équipe révolutionnaire qui se serait montrée inégale à sa mission et instable dans sa doctrine avant de s'effondrer devant le conseil de guerre. Ce fut une réunion de gens que rien ne prédisposait à gouverner ensemble, gens que les hasards de circonstances troublées avaient mis en relief, que les hasards de l'élection avaient rassemblés. Les contemporains sont unanimes sur le caractère de ces élections improvisées, « consultation peu ordinaire, singulièrement spontanée, où il n'y avait eu ni professions de foi d'affichées, ni programmes discutés, ni candidats présentés par des comités ». Cette affirmation de Lepelletier 10 est partiellement infirmée par les affiches des ltJ.urailles politiques, mais c'est un témoin qui parle, et son impression d'ensemble est d'autant plus à retenir que les autres témoins la confirment. En 1879, Fiaux écrit que « les élections se firent avec une entière liberté, avec un ordre matériel incontestable, mais dans la confusion morale la plus grande » (Histoire de la guerre civile de 1871, p. 148). Dès 1871, Lanjalley et Corriez remarquent (Histoire de la révolution du 18 mars, p. 139) que c'est dans la soirée du 25 mars que « les comités électoraux constitués dans chaque arrondissement s'occupaient de former des listes de candidats pour le vote du lendemain ». Ils peuvent donc à bon droit parler d' « extrême précipitation ». Les affiches reproduites dans les Murailles politiques ( tome II, pp. 97 à 116) ne portent guère que des noms, hormis les quelques lignes par où Varlin et quatre autres Internationaux se réclament de « nos pères de 1793 ». Que, dans cette assemblée gouvernementale de quatre-vingts et quelques membres que fut la Commune, il y ait eu des médiocres, cela va de soi. On ne rassemble pas tant de gens sans qu'il y ait un gros déchet, quand bien même ils 10. E. Lepelletier : Hl1tolre d• la Commun, de 1871. Pari■ 1912, Il, 441. Biblioteca Gino Bianco 249 sortiraient tous de nos grandes écoles. Et il y en avait là qui n'avaient fait leurs preuves que comme membres du « conseil de famille » d'un bataillon de la garde nationale. Ceci dit, on peut aussi considérer, avec M. Rougerie, que tous les chefs de la Commune furent des médiocres. Vallès était un médiocre, et Varlin un médiocre, et Benoît Malon un médiocre, comme aussi Vaillant, et Pottier, et Clémence et Vermorel et ' ' Courbet, et tant d'autres. Mais l'auteur accordera, j'imagine, que Vallès n'était pas écrivain ~édi?cre, ni y arlin _médiocremilitant de l 'organ1sat1onouvr1ere, n1 Courbet peintre médiocre, et que, de même, bien d'autres membres de la Commune faisaient preuve, dans tel domaine particulier,. de talents qui ne permettent guère de les qualifier sans réserve de médiocres. Il est même évident qu'ils n'ont été spécifiquement médiocres qu'en tant que chefs de la Commune et plus précisément dans la mesure où ils on~ méconnu le caractère primordial et les conditions de la défense militaire. Mais il faut ici for,muler de~x o?servations. La première, c'est qu on !le voit guere un gouvernement s'occuper collectivement de la défense militaire. C1est là en général une activité qui est abandonnée à un ministre spécialisé, lequel fait confiance à quelque technicien - un Soubise un Bazaine un Nivelle, un Gamelin - quitte 'à le changer Îorsqu'il échoue ou paraît avoir échoué, si du moins le technicien n'a pas encore acculé l'armée à la capitulation. De sorte que, sur ce point, on ne peut guère faire un reproche particulier à la Commune. L'autre observation, c1est que M. Rougerie ne dit nulle part que ce soit en matière militaire que la Commune ait été mal gouvernée. Et l'on se demande où il situe au ju~ 1~.mauva~sgouvernement et la médiocrité. On a l1mpress1on que le tort essentiel des membres de la Commune est de n'avoir pas parfaitement compris « ce que devait être la dictature du prolétariat » (p. 163). Or il s'agit là d'une expression dont Marx, sauf erreur, n'avait alors usé q~'une seule fois, dans une lettre privée, et dont 11usa de nouveau quelques années plus tard, sans que les exégètes soient d'accord sut ce qu'il entendait par là. M. Rougerie sen1blet-il, aurait (comme quelques autres) v~ulu que les membres de la Commune inventassent la théorie et la pratique révolutionnaire de Lénine Si telle est son idée, il est difficile de pousse; plus loin _l'anachronisme des concepts et leur inadéquation : la Commune était une assemblée d'élus dont les membres socialistes - minoritaires - étaient spécialement soucieux de faire prévaloi~ les mé~odes démocratiques, tandis que Lénine, chef d un complot blanquiste a pris le pouvoir en usant de la force pour cha~ser les
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