B. SOUVARINE 1er ce que les personnalités dirigeantes omettent de raconter : plans stratégiques, mouvements de troupes, composition des effectifs, expéditions du matériel, aucun détail ne manque. Moyennant une dépense de 10 centimes par jour, les chefs communistes à Moscou, à Pékin, à Hanoï, à La Havane, et leurs complices à Djakarta, au Caire et ailleurs se tiennent au courant de tout ce qui se passe à la Maison-Blanche, au State Department, au Pentagone, au Sénat de Washington : ils en apprennent les décisions, les intentions, les opinions, les hésitations, les contradictions, les appréhensions, les évolutions, les suppositions, les oppositions, bref ils en collectionnent les informations qui inspirent leurs actions et fortifient leurs convictions quant à l'issue des opérations. Le défaitisme politique, moral et intellectuel qui se donne carrière aux Etats-Unis se propage au centuple dans les pays qui auraient le plus d'intérêt à la victoire américaine, défaitisme exploité au mieux par les Etats communistes, qu'ils soient d'obédience moscovite ou pékinoise. Et tout cela vis-à-vis d'un ennemi protéiforme dont les principaux atouts sont le secret et la surprise, outre l'unanimité disciplinaire des populations soumises à . ses pouvoirs. Nul ne peut plus ignorer que le président Johnson, de même qu'avant lui Truman, n'entend pas faire la guerre « comme on doit la faire : pour vaincre » (Mac Arthur dixit), mais ne vise qu'à une conclusion provisoire de compromis, confirmant ainsi les communistes dans leur confiance en soi et les incitant à redoubler de violence tant sur le terrain que sur les ondes. Ses démarches auprès des Nations Unies, ses multiples invites et sondages pour frayer une voie aux négociations, même si ce sont des feintes utiles en politique intérieure, ne servent qu'à stimuler l'ardeur de l'ennemi qui les interprète comme des signes répétés de faiblesse et de détresse. Les communistes ne respectent que la force. Ils ne respectent pas la force qui hésite. Le fastidieux cliché del' « escalade » que ressassent à l'envi la multitude des perroquets de la presse et de la politique n'a de portée qu'à la condition d'aller au plus vite jusqu'à frapper l'ennemi dans ses œuvres vives, faute de quoi il ne traduit que le « système des petits paquets » de triste mémoire dans l'armée française. « Il ne peut y avoir de guerre mondiale provoquée par la guerre au Vietnam. Seuls deux pays, à savoir l'Union soviétique et les EtatsUnis, pourraient en faire une guerre mondiale », dit Chou En-laï dans une interview exceptionnellement sincère avec Al Mussawar, journal du Biblioteca Gino Bianco 215 Caire (3 juin 1965), suivant sans le savoir un conseil de Bismarck qui suggérait, pour ne pas être cru, de dire tout simplement la vérité. En effet le général Earl Wheeler, chef de l'étatmajor interarmes américain, n'a pas l'air convaincu puisqu'il « s'est prononcé hier contre toute extension de la guerre au Nord-Vietnam ou à la Chine », dans une interview télévisée, rapporte une dépêche de Washington le 16 août. Non content de rassurer l'ennemi, « le général a reconnu que certains militaires ou membres du gouvernement penchent en faveur d'une attaque massive du Nord-Vietnam et des installations nucléaires en Chine communiste, toutefois en soulignant que ce courant d'opinion n'est pas très fort ». Ainsi les communistes sont fixés sur ce qu'ils n'ont pas à craindre. Le même jour, le général Maxwell Taylor, ex-ambassadeur à Saïgon, également interviewé à la télévision, assure que les communistes d'Hanoï ne redoutent rien tant que ceux de Pékin, par conséquent préfèrent se dispenser d'une aide militaire chinoise. D'autres propos de Mac Namara, de Dean Rusk et de leurs collègues n'offrent pas moins dé réconfort aux agresseurs « qui se croient en train de gagner la guerre », avoue le New York Times du 5 août dans un éditorial 4 • S I L'ON COMPARE la guerre du Vietnam à celle de Corée, les ressemblances l'emportent manifestement sur les différences ; il n'y manque même pas la notion insensée du « sanctuaire » intangible garantissant l'immunité aux Chinois. Mac Arthur, dont il faut écouter la voi~ d'outre-tombe, était en droit d'écrire dans ses Mémoires : « Si l'on me permettait de me servir sans restriction de toute la puissance militaire dont je disposais, je pourrais non seulement sauver la Corée, mais porter à la Chine rouge un coup tel qu'elle perdrait la capacité de troubler la paix en Asie pendant des générations. » Cela ne fut pas permis et ne l'est pas davantage maintenant que Mao ne se gêne plus de défier l'espèce humaine tout entière dont il envisage froidement l'extermination d'une bonne moitié, pour commencer, sans un regard pour la moitié moindre et survivante. M. Ralph Lapp, directeur de la Commission américaine de recherches pour 4. Sans parler ici, à dessein, de l'indescriptible tohubohu typiquement sud-vietnamien où les bouddhistes, les catholiques, les étudiants, les trublions de toutes sortes manifestent tour à tour dans les rues de Saïgon, où les coups d'Etat mensuels se suivent et se ressemblent au grand dommage du moral, tant des troupes sur les fronts que dans la population à l'arrière.
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