Entretiens politiques et litteraires - anno I - n. 8 - 1 novembre 1890

PRE,IIÈRE A~Nl~E PRIX : VING'l'-CINQ CENTDIES ENTRETIENS. POLITIQUES & LITTJ;~RAIRES SOMMAIRE: 1. - t·nc Préface de Loub :\If::s;A1rn. JI. - Ueorg-cs LEco~rTE. - Rie Yos .... lll. - Henri DE Rf:c;:--;1gn.- lndulgence uourgeobe. J V. - Bernard L.\ZAHE. - La réglementation ,le la :rnerre. V. - Alphonse GEm1.-1.1:s;. - 1;Art et l'füat. VI. - Francis VIELf:-Gnr~'FJ:s;. - Le plus gran,l pui•l<•. YII. - Xotes et Xotules. PAHlS LLnlL\lHŒ DE L'ART l;'\Dl;:PE~D.\ST 11, rue ùc la Chaussée d'Antin, 11 Le 1er Novembre 1890

ENTRETIENS POLITIQUES ET LlTTJi:fü>.Jm;s Paraissant le 1"' du mois. Abonnements : six mois a fr. - un an: 5 francs I•our abonnen1ents, dépôts, ,·ente au nu1néro, e1c.u~ s'adresser• tlirecten1ent à 1\1. Edm.ond Dailly, 1 t, rue de la Chaussée-d' Antin. Tout abonnem,ent non pe1·çit di1·eclement J){t}' M. Bailly n'est pas i·alal1lc. On rend (I I'.lRJS clic,;: :ùlA1u)oNet FL.\i\Dumo~ : HouleYard des U.alirn::,;. lhie Anl;er. id. id. DENTU P. Sf:v1~ TrmssE et ~Tor:K A. Yenue de l'Opt,ra. Boule\·:nd tles Italiens. Place du Thèùlre-Franç:lis. A BORDEAUX: Librairie Illustrée de la (lil'ornlr. A NJME;, Cil!•;: A. CATELAX : Huo Thomnayue. ,-

PRÉFACE Jl y a dans chaque cidlisation en particulier, et clans rJrnmanité en général, des phases et des é,·olutions qui représentent celles de la vie humaine indi,·iduelle. Cette homologie du tout et de la partie est la grande loi de l'histoire qui répondit la loi du clivage en minéralogie. Aux pâles tlambeaux de la traduction et de la légende, nous Yoyons des races puissantes grandir et disparaitre. Ces races, étudiées isolément, ont eu Jeurs périodes de maturité et de Yieillesse; mais, comparées à celles qui les ont suiYies, elles repré~entent l'enfance de l'humanité! Avec cette Yilalité puissante, cette confiance infinie de renfant dans ra venir, elles creusent les montagnes et taillent le granit en monuments éternels. Comme l'enfant aussi, étonné et inquiet de la faiblesse de l'homme dernnt la tonte-puissante nature, qui l'étœint et l'écrase, l'antique Orient en adOl'e les forces énergiques et sauvages, formes multiples d·nne substance infinie toujours immuable sous ses mille incarnations, tantôt bienfaisante, tantôt funeste; le lion du désert et le mystérieux dragon ont des temples comme les astres impérissables qui Yersent d'en haut leur lumière sacrée et leurs occultes influences. Cette Yie, si mobile et si régulière, inconsciente et sùre d'elle-même, le frappe de respect et d'épournnte: tantôt il veut se dégager des bras de cette nature absor;bante et terrible, tantôt il se précipite tête baissée clans le tourbillon de la vie UIÜYerselle.La grande prostituée de Babylone comie aux fêtes de ~1ylitta les peuples sensuels de la Cnaldée. Les forêts vierges de l'Inde sont jonchées de pâles anachorètes qui, fermant les yeux au rêve divin, cherchent l'immuable caché sous l'illusion mobile des 81bliotecaGino Bianco .JD (--

- 24.2 - apparences, et s'~·noient comme dans une mer pour échapper au fardeau des métempsycoses. L'Egypte se couche le long de son fleuve, et dans ses temples de granit, où rugissent les monstres de l'Afrique, garde mystérieusement le secret du sphinx éternel. Mais les races belliqueuses de la haute Asie acceptent la Yie comme un combat et entrent armées dans l'arène oi:duttenl le bien et le mal, la lumière et les ténèbres, l'attraction et la répulsion, l'Etre et le néant; solution magnifique de cette antinomie naissante d'où résulte la Yie. Cependant l'enfant grandit; déjà dans les forêts il a dompté les monstres, et dans le sentiment de sa force il puise la notion de son droit. Les théocraties pétrifiantes des races agenouillées n@ prennent pas racine sur le sol béni de la Grèce : partout des législateurs au berceau des républiques. La fière jeunesse s'y fortifie par la lutte et par la conscience de sa dignité morale. Dans l'àpre Idumée, si Job se plaint de l'injustice de Jéhovah, le Dieu du désert lui répond : « Où étais-tu quand je semai les étoiles? ii Cet argument n'eût pas suffi en Grèce; l'homme y est si grand, qu'il traite les dieux en égaux. Œdipe se déclare innocent devant eux du crime involontaire, car il n'a pas Yiolé sciemment les lois dont parle Antigone, ces lois primitives, écrites dans la conscience humaine. Les dieux mêmes y sont soumis, ou plutôt ils sont eux-mêmes les lois de la nature et de l'esprit, ils sont l'ordre et la proportion de l'uniYers, ces dieux de l'harmonie incarnés dans le marbre, en vain blasphémés depuis par l'impiété des races barbares, et qui ont révélé au monde l'idée du droit clans la politique, l'idée du beau dans l'art; dieux indulgents, qu'on honore par le culte libre et facile de l'amour. comme il convient aux dieux de la beauté. Hélas! qu'il est court ce printemps bienheureux de l'humanité, cet âge toujours regrettable de l'adolescence du monde! Le lendemain du bonheur est d'une morne tristesse : Siirgit amare aliquid medio rie fonte leporuin. Le jour vient où la jeunesse, couronnée de fleurs, préfère aux faciles plaisirs de l'inconstance, les angoisses d'un exclusif et sombre amour. Nos forces se sont usées dans Brbhotec"G' ino Bianco

- 243 - la lutte, il nous faut le repos, fùt-ce dans l'esclaYage; et puis nos joies d'hier nous pèsent comme un remords, et le sang d'un dieu suffirait à peine à laver nos souillures. Où est le rédempteur, le dieu nouveau qui doit succéder à Zeus, d'après les vieux oracles! Est-ce le dieu des mystiques orgies, Eleuthère, le libérateur, l'endormeur des soucis de l'âme? Non: pour comprendre les souffrances lrnmainesil faut être homme et avoir souffert. ôera-ce le dompteur des monstres, celui qui enchaîne Cerbère et délivre Prométhée'? Hélas! le serpent qui nous ronge est plus vivace que l'hydre de Lerne, et nos remords sont plus lancinants que les vautours du Caucase. Interrogeons l'Orient qui depuis si longtemps incarne ses dieux pour le salut du monde. · Alors s'ouvrent les sanctuaires de L-\.sie, berceau des races divines, et la terre voit apparaître les sauveurs attendus, les vertus vivantes. c·est Kriçna, l'incarnation de Viçnou; c'est Çakya :.vrouni,l'essénien de l'Inde, qui Yit au désert et nivelle les castes; c'est Jésus de Nazareth, le Bouddha juif, qui annonce la vie éternelle au seul peuple matérialiste de l'antiquité. Voilà vraiment des dieux humains, puisqu'ils souffrent et meurent. Dans la Palestine ou clans la haute Asie, ils sont nés de Yierges immaculée::; car c'est la pureté de l'âme qui engendre l'idée divine. Les mages invoquaient :'.11ithrasl,e médiateur entre Ormuzd et Ahriman, celui qui doit concilier le dualisme éternel; et, guidés par une de ces étoiles mystérieuses qu'adoraient leurs pères, ils arrivent devant une crèche, et présentent l'or,l'encens et la myrrhe au Dieu nouveau-né. Pui,; sa mère le conduit en Egypte. Le reconnaissez-vous? dit-elle aux prêtres. Depuis longtemps vous ravez vu entre mes bras chrns Yos temples; c'est de lui que je disais : le fruit que jf' porte est le soleil. - Nous le recon- .naissons aussi, disent les sages de la Grèce, c'est le Verbe de la sagesse incréée, celte lnmière qui illumine tout homme venant en ce monde, et qui était apparue sous la forme d'une vierge armée, sortie du front de Zeus, avant de s'incarner dans le sein d'une vierge juive. C'est bi-en lui qu'annonçait la prophétie de Virgile, écho des anciens oracles; nous reconnaissons la vierge et le nouveau-né B"bliotec.:Gino Bianco

.- 2V1 - +: qui descend des hauteurs du ciel pour ramener l'ùge d·or. Voici ce renou,·ellementdu monde. !If agnus ab integ1·0 saectorwn nascitur ordo. Le serpent va mourir; partout se montre l'agneau reYêtu de la pourpre, partout germe l"amomum d'Assyrie, le pain céleste, Hom, le dieu de l'anti.qne Ariane, qui nourrissait tous les êtres aux agapes de l'a communion primitive. , Et le Dieu nouveau prend possession des temples; son royaume n'est pas de ce monde, il est roi du monde intérieur, et il révèle les mystèrés de l'ùme, l'Eden de l'enfance, le serpent des passions humaines, et la rédemption sur le calvaire de la Yie, et l"ascension clans le ciel mystique de la conscience, La /Jlanclle ascension des se1·eines ve1·tits Mais la Loi nouvelle est séYère; loi de devoir, de renoncement et de sacrifice. Le faible s'y soumet et souffre, le fort la brave et opprime. La vie est condamnée, les saints Yont s'enterrer aux solitudes, et les dieux heureux, les dieux de la jeunesse et de l'amom, se changent en démons tentateurs . .Nous demandions un Dieu humain, et clrj;'t le médiateur est trop haut pour nos humbles prières; qui les portera jusqu'à lui? ce sera sa ~1ère, lïdéal féminin des races chevaleresques du moyen âge, la divinité propice et lumineuse que nul n'invoque en vain. Qu'elle règne dans le ciel de son Jils, couronnée de rayons et cl"étoiles, les pieds sur le croissant de la lune, écrasant le front humilié du serpent. Cependant le Dieu ennemi des prêtres et crucifié par eux courbe l'occident sou:; le joug de la théocratie. Il prêche la douceur et le pardon, etla terre, sous sc,n règne, :;e couvre de cachots, de gibets et des bùchers. 11annonce la délivrance, et l'esclavage envahit le nouveau monde a·,ec sa doctrine. Il ordonne l'humilité et le renoncement aux biens du monde, et la richesse de son Eglise, la vente publique des grùces célestes sont le signal de la révolte. Ainsi l'éternel dualisme de-l'Asie se reproduit dans les étranges contradictions de l'histoire comme dans les luttes intérieures de l'Eglise. Le culte reproché aux ManiBibliotecaGinoBianco

- 24.3 - chéens, aux Albigeois, aux Hussites, serait-il le dernier terme du triomphe de l'hérésie? Quand nos défaillances appellent une ré,·élation nou,·elle, ce Parnclet promis à l'avenir, cet esprit de Yérité et clïntelligence qui doit cléYoiler les derniers mystèrns, serait-il donc l'archanie révolté, le Titnn cloué au Caucase, le serpent condamne clans J'Eclen, qui fit cueillir it EYe le fruit de la science et enseigna les arts et lïndustrie it la rnce maudite de Caïn? Quelque nom qn'on lui donne la science s'affirme aujourd·hui reine du monde ... 11 est dif1icile de caractériser d'arnnce cette ère nom·elle qui seral'ùgeYirildel'humanité, mais la foi dans raYenir n'autorise pa~ à bla phémer le le passé. La Yieillesse et l'àge mùr sont-ils un progrès sur l'enfance et la jeunesse? Chacun répondra selon son tempérament, et, si les philosophes comprennent mieux la vérité ::;ousune forme algébrique, les artistes aimeront mieux la receYoir sous l'enveloppe palpable du symbole. La science moderne, qui admet des molécules indiYisibles mais étendues, qui croit aux deux fluides électriques, qui personifie le calorique, qui expl_ique la Yie minérale par l'affinité, comme si un mot expliquait un fait, sourit dédaigneusement des Grecs, qui r~,-aient une Dryade dans chacun des chène.s de Dodone, et une Océanide dans chaque flot de la mer; pourtant les conceptions antic1ues renferment une notion plu::;juste de la Yie uniYerselle que toutes nos abstractions mortes, et ont de plus• rarnntage de fournir des types .'t la pt:inture et it la statuaire. Lit où nous Yoyons des forces et des pt·incipes, les anciens Yoyaient des dieux; nous appelons l'attraction ce qu'ils appelaient Yénus; c'est une question de m.ots, et l'un n·est, pa::;plusclair que rautre. Selon la difl'érnnce des formes données aux mèmes idées, on formule des lois physiques on ron crée des œu,Tes d'art. Il est permis, je crois, d·être ù. la fois de l'aYis de Newt.on et de l'ads de Phidias. La Yérité est aussi nécessaire à la vie de !'Esprit que Lt lumière à la vie des êtrns organisés; cessons donc de croit'e qu·e11eda.te d'hier, et de proscrire les formes que le passé lui a données. En métaphysique surtout la proscri pt.ion est un signe de faiblesse. C'est la rnyopie de notre esprit qui nous enchaine ~l des formes exclusiYes et à des BibliotecaGinoBianco

- 2'16 - hiérarchies artificielles. Pendant deux mille ans !"homme a condamné la matière et immolé l'art et la beauté sur les autels de la morale. ~fais la beauté est aussi divine que la vertu, et ù ceux qui trou vent rnau vais que Vénus soit moins chaste que la vierge i\Iarie, on pourrait objecter que le Christ est moins beau qu'.-\.pollon et Bacchus; autant vaudrait se plaindre que la gravitation ne soit pas assez morale. Aujourd"hui que le règne du Saint-Esp1·it comn1e11cec, ·est la science qui veut astreindre l'art et la morale .:tses lois, comme si ce n'était pas l.:t trois mondes distincts. :\Ioraliser la beauté ou la vérité, soumettre l'art et la morale au raisonnement et juger un théorème par le sentiment esthétique ou par la conscience, ce sont trois tentatives de la même force, et qui rappellent la condamnation de Galilée. Nous avons passé au creuset toutes les fleurs du voile d'Isis, nous avons voulu épeler les oracles obscurs de ses sphinx, mais nons ne pouvons définir ni la matière, ni l'esprit, ni la substance, ni la cause, ni le temps, ni l'espace.La science, comme lafoi,élaboredes conceptions subjectiYes, sans jamais pénétrer l'essenr.e des choses. t-;a sphère est le présent, die se tait sur les origines des mondes, de la vie organisée, de l'homme et des langues humaines. Si les mythes des races cli\·ines et des amours .des anges sont d'obscurs hiéroglyphes, la génération spontanée et la transmutation des espèces sont de Yagues hypothèses, et, mystères pour m,ystères, tes grandes traditions de l'humanité valent bien tes opinions éclosesclans tetoutel cerveau inclividuet. D'ailleurs les théories scientifiques sont encore plus mobiles que les dogmes religieux; les lois de la chimie varient tous les dix ans comme les classifications de !"histoire naturelle. La nature anarchique et multiforme se rit de nos systèmes, lits de Procuste de la Yérilé. En elle le centre est partout, et tout s'enchaine sans hiérarchie. La science débute par un acte de foi, puisqu'elle ac- -cepte les axiomes de la raison, comme la morale accepte les lois innées de la conscience, comme l'art accepte ces notions primitirns de beauté qui n·ont jamais été définies par une langue humaine. Ces conceptions originelles, ces idées que chacun comprend et que nul n'explique, ces BibliotecaGino Bianco

- 247 - mots écrits en lumière dans le sanctuaire intérieur et :iue nul ne peut lire, ne sont-ils pas Yos noms, ô Elohim? Comme les faces d'un prisme, comme 4ls rayons de la lumière blanche, la force, la loi et l'amour, confondus seulementdans l'unité abstraite du pan théisne primordial, se révèlent dans la science, dans l'art et dans la morale par le vrai, par le juste et par le beau, et ces rérélations sont multiples comme la n11ture et comme l'esprit humain. L'ldéal divin apparait sous des formes appropriées au génie des peuples chez qui et par qui il se réYèle. Ainsi le princire féminin, la mère féconde et bienfaisante, s'appelle Rhéa, en Phrygie; Héra, à Argos; Demeter, à Eleusis; Persephoné, en Sicile; Artemis, il EphèRe; Aphrodité, à Cypre; Astarté, en Syrie; :Mylitta, en Chaldée. C'est toujours la mobile Màyâ, l'illusion divine, ou la grande Isis, qui écrivait au seuil de son temple: .Je suis tout ce qui est, tout ce qui a été, tout ce qui sera. L'étude consciencieuse du passé, qui est le meilleur côté de notre époque, la conduira, je l'espère, non pas à un éclectisme acceptant ceci et rejetant cela, mais à la synthèse générale des dogmes et à la conciliation des contradictoires. Les races européennes en sont à leur période Alexandrine. L'Orient ouvre de nouveau ses écluses. Le zend et le sanscrit évoquent dernnt nous de grandes civilisations éteintes, comme les débris fossiles nous aident à reconstituer des périodes géologiques. La part du passé est assez belle pour qu'il n'ait pas à envier à rarnnir cette compensation suprême d'amener sur la terre la réconciliation de$ races ennemies, et dans le monde idéal la grande paix des dieux. La science admet plusieurs infinis, l'art reconnait les caractères de la beauté dans Homère et dans Shakespeare, dans Rembrandt et dans Phidias; pourquoi la foi n'aurait-elle pas plusieurs types divins, régnant sans ombrage dans des cieux différents? Les idées pures ces types qui Yivent indistincts, latents, virtuels au sein de la Nuit primitive, mère des dieux, ne peuveni se réréler qu'à la condition de s'incarner dans une forme qui les détermine, qui les limite. La forme unit la matière et l'esprit, elle est la parole qui donne un corps ,·t la pensée, le méclialeur entre le fini et l'infini. Aux époques mystérieuses de ces révélations premières, l'uBibloteca G1rioBianco

- 2118nion est intime et complète; les idées se présentent sous les expressions qui peuvent le mieux les rendre, les opérations de l'esprit se traduisent par des images palpables les dogm,es s'énoncent en symboles, les dieux ont un corps. L'éloignement de notre époque pour tout ce qui ressemble ù de la poésie nous empêche de chercher l'origine et le sens de certaines métaphores : pourquoi tous les peuples et tous les ùges ont-ils représenté les dieux sous forme d'essences luminenses, pourquoi dans toutes les langues les mots d'esprit et d'àrne sont-ils etymologiq uernent synonymes de souffle et de vapeur? Avons-nous une définition assez nftte de la matière et de l'esprit pour nier avec dédain l'analogie rrne semble indiquer un instinct aussi universel? . Tant qtw les dogmes viYent danslacroyance.des peuples. les dieux ont une vie propre, et en quelque- sorte aussi personnelle que celle de l'homme, qui les conçoit ,l son image parce quïl est fait it la leur: Finxit in e{figiem, moderantum cimcta cleorwn Leurs attributs sont multiples comme nos facultés. Ain$i nous disions plus hant qu' Aphrodi té estl'attraction, mais elle est aussi la fécondité, elle est aussi la beauté: etc .. Zens n'est pas seulement l'air vital qni nourrit tou:; les êtres, ethersiclera vascit, le dieu dont les mille hymens se retrouvent dans lrs innombrables combinaisons del'oxygène, le roi de la fondre, qui descend en rosée bienfaisante dans le sein de la terre féconde, coniugis in g1·e11iiwntactae ctescPndit: il est aussi le prillcipe de la vie comme l'indique son nom, le vainqueur des Titans, c'est-àclire le modérateur des forces premières, et, dans un sens plus exclusivement humain, il est le principe de la j nstice, base de toutes les sociétés, source de tonies les Yertu~ morales. Le:;mythes sont vrais dans quelquesensqn·onles prenne; comme les éléments chimiquessubsistent, quoique latents et Yoilés, dans leurs combinaisons innombrables, ainsi les types vivent inaltérables dans chacune de leurs manifestations. C'est ainsi que, d'après le dogme catholique, ,Jésus-Christ est présent ù la fois dans chaque hostie. Mais selon le caractère des peuples, des époques et des indiviBibliotecaGinoBianco

- 24.9 ùus tel aspect des types divins prend plus de relief quo tel autre. Le sens des mythes parait tan tût plw, matériel, tantûtplus moral, cadïdéal ne Y,lrie pas seulement d'une race il l'autl'e, il :;e transforme selon la nature des intelligences indi1·icl11elles. La foi naï,·e et spontanée des masses se contente du côté palpable et poétique des symboles; pour les esprits plus réfléchis, il faut une doctrine plus métaphysique; qu'ils prouYent leur force ctlcur courage en trarnrsant les épreU1·es imposées aux initiés, el ils pénètl'eront les mystères. Aux fêtes d'Apis, le peuple adorait le symbole vivant du travail, l'animal bienfaisant et fort qui l'aide à féconder la tene. Pour les prêtres et les sages, Apis était le ~il, le soleil, le taureau équinoxial, et pour les initiés, dans le sanctuaire du Sérapéon, c·était le principe créateur. Quand le peuple d'Athènes allait en pèlerinage au temple des deux grandes déesses d'Eleusis, les poètes lui racontaient l"enlhement de Persephoné pal' Hadès, la. douleur de sa mère et le retour de Persephoné à la lumière céleste. Celte légende suf!lsai t au peuple, qui se retirait en remerciant la mère bienfaisante à laquelle il devait le blé nourricier de l'homme. Elle suffisait aussi à Praxitèle qui, au lieu ù\1llerjusqu'au temple, s·arrêtait en route pour regarder Phryné se baignant dans la mer, et reYenait sculpter une .-\.phrodité anaclyomène. J\-Iaisil y a.mit alors comme aujourd"hui des esprits plus curieux de science que d'art. L'hiérophante leur expliquait que Persephatta, fille de Zeus et de Déméter, était la végétation, Jille de la terre et de l'air, enfermée pendant l"hiver dans les royaumes souterrains de Hadès, et renaissant au printemps pour charmer le ciel et consoler la terre. Il y arnit aussi des esprits inquiets de la destinée de l'homme. Persephoné leur apparaissait comme la nocturne Hécaté, reine des ombres, et leur réYélait les mystères de la vie et de la mort, la transmigration et r épuration successiYe des tunes. C'était la grande initiation : on s'y préparait par une vie pure, par la continence et par le jeùne. Aux jours de leur toute-puissance, les césars romains n'osaient braver ni les lois austères de Lycurgue, ni les anathèmes des prêtres d'Eleusis contre les profanes. Ce souvenir aurait dû suffire pour réfuter tant de sottes BibliotecaGino Bianco

- 250 - calomnies débitées depuis sur l'immoralité du paganisme. Mais les initiés doivent se garder de révéler les mystères : les artistes ne reconnaitraient plus leurs types rêvés, dans les abstractions de l'ontologie; le peuple perdrait sa foi sans trou,·ei· dans la mètaphysique une compensation aux croyances poétiques qu'il aurait perdues. Nul ne peut me voir face à face sans mourir, dit le Dieu de Moïse. Sémélé fut foudroyée pour avoir voulu voir Zeus dans sa gloire. ~falheur à ceux qui présument trop de leurs forces! Parmi les initiés quisortaientdel'antred' Hermès Trophonios, il y en eut qu'on ne qu'on ne vit plus jamais rire. Cependant les races vieillissent; alors l'esprit se sépare du corps, les mots se dédoublent, l'idée, pour se dégager, rejette l'image, la science brise l'urne du symbole où s'abreuvaient les peuples jeunes et forts En quittant leur enveloppe, les vérités d'intuition arrivent à la conscience d'elles-mêmes. Est-ce une mort, est-ce· une résurrection? Il n'est pas un bien au monde qui ne se mesure par un regret; mais potl\'ons-nous pleurer la mort de nos dieux et affirmer notre existence, nous, formes fugitives, incarnations passagères de leur éternelle pensée? Où étions-nous hier, où serons-nous demain? mais les forces di\·ines qui vi,·aient aYant nous renaitront après nous dans d'autres organes; les idées, qui se réYèlent aujour1l'hui en nous, écloront demain dans d'autres intelligences, comme ce flambeau qu'on se passait de main en main dans les mystères. Ainsi, chaque hiver, la terre prend le jeuil du soleil; mais, tant que ces sphères amoureuses poursuinont dans l'éther leurs éclipses divines, tanl que la terre épanouira ses feuilles et ses fleurs aux baisers du pl'intemps, tous les êtres chanteront en chœurla résurrection d'Adonis et le retour de l'agneau équinoxial. Si l'art doit disparaître du monde, comme au temps où les dieux de la Grèce furent chassés de leurs temples, ils vivront cependant d'une éternelle jeunesse tant que la beauté sera désirable, et qu'on n'aura pas arraché l'amour du cœur de l'homme. Et le Dieu crnci1ié du moyen ùge, fùt-il calomnié par les docteurs et les prêtres, bafoué par le peuple, abandonné par BrbliotecaGrnoBranco

- 251 - ses amis et renié pnr son apôtre. aura toujours un autel dans les funes épurées par la douleur et sanctifiées par le sar.rifice. Car les dieux ne peuYent mourir. et, quand on croît avoir scellé la pierre de leur sépulcre, ils rcssucitent dans leur gloire, et nwmanité se prosterne et adore, comme aux jours où, dcYant celle él.Jlonissantc lumière du X Y Je siècle, elle a salué la renaissance des anciens dieux. Comme le réel est le minoir de l'idéal, les formes politiques répondent aux idées religieuses. Les hiérarchies célestes se traduisent par les castes, le monothéisme par la monarchie, le polythéisme par la république. Si, au lieu de s'arrêter aux mots, on pénètre dans l'essence des choses, on suina ces analogies sous l'infinie nriété de leurs manifestations. Ainsi la république juive devient monarchie en même temps queJehoYah se dégage du milieu des Elohim. L'Oiympe anarchique de la Grèce et de Rome se range sous la suprématie de Zeus à mesure que les républiques se perdent dans l'unité de l'Empire. La religion populaire du moyen âge avec ses légions de saints et d'anges, est un paganisme féodal réglementé, non sans résistance, par la théocratie unitaire des grands papes. Les peuples musulmans, dont le monothéisme est seul radical et absolu, n'ont jamais eu d'autre gouYernemeut que la monarchie. Les religions peuYent prendre des formes philosophiques sans que ces rapports disparaissent : la république des Etats-Unis ne saurait compter le nombre de ses communions religieuses; c'est un polythéisme saupoudré d'unité, sans légendes ni symboles, aussi abstrait que le déisme de Housseau, personnifié dans la dictature de Robespierre. Quant aux républiques espagnoles elles sont catholiques et partant dictatoriales. La France catholique d'habitude et révolutionnaire par saccades, n·a pu s'accoutumer au régime parlementaire des peuples protestants dont le dieu constitutionnel règne au moyen d'une charte octroyée. Qu'on suive les tran~figurations des dogmes à travers le Lemps, on les Yena coïncidel' avec les révolutions dans la vie des peuples. Puis, le passé rebond tt, le présent se recueille, l'avenir s'élabore: alternatiTes d'énergie et d'afBb ,otecaGinoBianco

- 232 - faissement, pulsations inégales du sang ùans le cœnr des races malades; c'est le temps des compromis et des trêves, la prostration après les crises; périodes fiévreuses et malsaines.11 est vrai que ceux pour qui la vie réelle est mauYaise peuvent se retirer au désert, et., clans leur solitude intérieure, conserver un autel à leur culte proscrit..,. Lov1s MÉ~AM. N. B. - Ces belles pagas, trop peu con nues, sont ex tr,i iles <lela pl'éfnce, placée par ~r. :!\IL-narden tète de ses Poèmes (Charpentier, 2· édit., 18G3); leur actualité e,;t telle qne nos lecteur,; nous sauront gré ,le les avoir l'eproduites i, leur intention. BibliotecaGino Bianco

S.lC -vo.s.:.. L'homme avait alourdi ses membres dans une lévite dont la terne solennité s'était lustrée à maintes cérémonies familiales. De lourdes demi-bottes, en veau durci par les hn-ages, lui faisaient des pieds de statue colossale. Un melon noir dômait sa face toute E.n os. 11allait, le dos rond, l'œil terne, grognonnant de brèves paroles à l'adresse de son petit, un gosse hùve, cheveux couleur de cfianvre, dont les yeux glauques roulaient clans un cerne de misère. La mère, restée clans la mansarde pour l'achèvement d'une besogne, l'avait déharhouillé, peigné, vêtu de coutil tout blanc, puis cravaté d'un ruban ponceau. Le petiot, comme allégé par cette toilette, trottinait allègrement et, multipliant les petits pas de ses courts fuseaux, suivait son père qui marchait, marchait à lourdes et grandes enjambées, le regard fixé vers des horizons immatériels..... . - Pourquoi que tu me mènes promener aujourd'hui, papa, fit le marmot en leYant vers son père sa face blême, déjit ridée. - Parce que, le dimanche, l'atelier ferme. - T'as pas le droit de traYailler, alors? - Non, et puis, il faut que tu prennes l'air ... Ici, il y a du soleil. .. , tandis que chez nous ..... L'anguleux yi,;age de l'homme durcit. Sonrlnin, lui était appal'U cfans l'allégresse de cette clail·e journée d'été son taudis noir comme un foumeau de cuisine avec le grabat, la tabatière et les plombs. L'enfant regardait les gerbes du bassin s'arrondir en bouillonnantes arabesques dans un halo de Yapeurs irisées. Biblioteca Gino Bianco

- 254 - Entre des nuées d·or aux flamboyantes Yolutes sourdait une colonne de lumière; tel un rayon fortuit d'apothéose céleste. Ses irradiations blondissaient le ciel, l'air, les Yerdures. Des orangés et des roses, annonciateurs de dé- <:lin, déjà nuançaient les Yiolentes rutilances de l'astre. L'Arc de Triomphe, altier sarcophage d'une Kation, s'érigeait en ce poudroiement d'ambre : vision fabuleuse :'t travers des fumées <l'encens, féerique glorification de jour et de soleil ! Des arborescences dentelées, du fin Yelours drs gazons montaient une senteur fraîche de campagne. Mais l'homme, ù l'anguleux visage durci, distinctr.ment perceYait les relents gras des éYiers et fhumiclité visqueuse d'un fond de cour. . Que les Champs-Elysées resplendissaient dans l'ensoleillement de cette Yesprée ! Lf's panneaux vernis, les rais tournoyants .des caros es reflétaient en leur laque les rayon,; solaires et brillai~ l sur l'a.\'cnue comme des Yoltiges d'astres. De hauts cheYaux, .'t la robe de luisante éhène, lani;-aien t obliquement aYec des dandinements altiers leurs fines jambP-s, arrosaient de blanche éeume l'argent de leurs mors. -Pourquoi que t'as pas le droit de trarniller le dimanche, pap:l? reprit soudain l'enfant, persistant, malgré des intermittence,; et des distractions, dans la suite logique de sa curiosité. - C'est difficile .... Tu ne peux pas encore hien com- :prendre..... Ecoute ..... Los outils, aYecle$quels mes mains font des tas d'affaires, ne sont pas à. moi ... Des riches me les prêtent ... Je ne peux pas m·en servir quand je Yeux!. .. Si, avec ces outils, je faJ,riquais trop de choses, ces choses vaudraient très peu d"argent. .. ; alors les riches seraient moins riches ..... Aussi il y a des jours ... où ils m'empêchent de me serYir des outil· ... ; ils devraient pourtant être ù moi..., comme mes jambes et mes bras, puisque, sans moi, ils ne rapporteraient rien ... L'homme cessa de parler an petit, mais, tandis qu'il allait à lou-rdes et grandes enJambées, le regard fixe, le dos rond, la figure tout en os, 11remuait les lèvres et co11tinuait de penser ..... BibliotecaGino Bianco

- 255 - De:-;v1s1ons de femmes passaient, alanguies dans des coussins, déesses marmoréennes de nonchaloir, profils blafards où vague le clinquant d'un long œil noirci. Blanches (,toffes, tulles 1t,gers, ondulations de panaehes, bouffettes d'esearpins ..... Les chiens arnient des paletots et les messieurs des .ga~"lhnias. - Papa, tu m'achèteras une Yoiture, dis, avec un grand ehe,·,tl ..... - Tu sais bien que je no peux pas; nom; sommes trop pauYres..... - M,tis puisque tu trarnilles ..... - Va ... , j'aurai. beau être courbé du matin au soir sur rétabli, nous serons toujours des malheureux. L'homme se tut. Dans sa face noiràtre, ses yeux, enfoncés ::;ous leurs arcade:, par une dure contraction, ardaient. Avec une exaspération crispée qui, succédant au 1on douloureusement résigné de tout à l'heure, montrait le crescendo de ses pensées intimes, il dit, tirant par saccades la main du moutard : - Tu vois mes bras ... Tout le jour ils besognent... Le soir ... , mes reins sont brisés, mes épaules plient ..... Je produis aYecmes brns ... de quoi nourrir vingt bouches ... , rt la paye que j'apporte à la mère ne peut pas nous faire manger ..... Il faut encore qu'elle use ses poumons à la peine .... . Tandis que clans le soleil s'ébroue la chenrnchée fastueuse, une foule endimanchée emplit le trottoir de son t'légante procession. Cassures chatoyantes et froufrous de soies,luisance cleshauts de forme,pommeaux métalliques <les cannes, fumée bleue des cigares, terne orangé des gants. Les mains des dandies ont des ge tes maniérés où lnit l'éclat de diamants. Des craYates daires sur plastrons drginaux ('gaient les jaquettes. De lourds cheveux en grappe caressent les cols dénus. Sourires de femmes. Saint-Cyriens aux tons criards d'images cl'J!..pinal,élèH•s de Polytechnique, aux allures tristement vieillotes de séminaristes-policemen, cuirassiers largement gantés de plâtre, promènent leur architecture guindée. Des nourrices, que les Yolumineuses épingles de leurs bonnets font ressembler ù de jeunes ruminants à peine cornés, soupèBibliotecaGinoBianco

- 256 - sent aYec câline'rie des iLpeu près nt'·s piaulant sons des dentelles. · Une poussière d'or nimbe c~tte cohue <l'où émergent çiL et là, des thyrses fugaces de ballons rouges. Le père noir et l'enfant blanc, maladroits parmi ces gens qu ïls craignaient de frôler, allaient cleYant eux, au basa rel, las Mjù. La gaîté des habits et la rumeur joyeuse des haYardages n'arnient pas tLt<.:tion :-;tu leur couple triste. lb pass,üent irréfrangihles, faisant une ta<:hc nette dans c-e hlond, CP-hleu et dans cet or. Le petit, dom né par les hauts promeneurs, ne YO\ant que des jupes, des pantalons et des hottines, seml>lait regretter les horizons plus Yastes des espl.lnades faubouriennes. L'homme regardait la voiture anx chèn·cs, traînant des enfant~ sans gaîté, gaYés <U'jiLde leur opulence, l'es hentaires près desquels de coquets babies suçottaient négligemment des confiseries ou frnca::;saient :-;ansp1-t"ta-ution des gaufres fragiles, jùnchant lr sol de leurs Mlll'is. La conscience de son lomd héritage <lem isèrr racrnl>lait d"une pesante tristesse. Jamais son lils n'aurait toutes ees joies. Us s'assirent sur un banc. A côté c1·eu.x,un laquais fasc-inait une redondante nourrice qui, les lourds seins an Ycnt, les jambes écartées, allaitait un poupard. Le bambin, jouissant enün du spectacle de la r.ie ~,:."{•- gaya. - Oh! ce gros monsieur, papa, avec de 1·or sur son ,·entre et ce pan talon gris! - Oui ... c·est à des gens comme ça que profite le tnwail des ouvriers ... lls ne font pas œuvre de leurs dix. doigts ... Pourtant ils mangent ... ; nous leur donnons même de rargent pour faire la noce, et nous cre\"Ons de faim, Le larbin, las d"asticoter la nounou, eut d'al>0nl des hochements de tête railleurs, puis, avec une grimace fü, ses bajoues rasées, lentement, comme un diplomate patelin, il modula: - Vous aurez beau dire et beau faire, tant que le monde sera monde, il y aura des riches ... - Alors c'est juste que les travaiileurs s·esquintent ù la peine, pendant que les antres ripaillent avec des gadoues! L'homme qui, dans les réunions publiques, arnit pris BibliotecaGino Bianco

., rhabitude d'enfiler des phrases sur ce thème douloureux, et dont la combatiYité s'exacerbait en face d'un adver- :-;aire,poursuiùt avec Yirulence: - Tout ça ... , parce que leurs parents ont amassé des hiens ... , peut-être en trarnillant ... , peut-être en Yolant. J·,::;t-cequ'on sait? ..... Et puis, est-ce une raison? ... Pourquoi aussi y a-t-il des gens quï gagnent des mille et des cent sans rien créer. .. , en se jetant sur le produit de,notre trnYail..., quïls achètent une misère et qu'il~ revendent gros ... Des marchands, quoi!. .... Est-ce juste enfin ... , ce qu'ih; appellent les droits du capital? ... Mon trarnil aussi est un capit.al. .. Pourquoi qu'il n·est pas payé autant? ..... Si seulement les outils étaient à nous ... , l'ounier, au lieu de se tuer pour faire haffrer les riches ... , gagnerait en quatre ou cinq heures de quoi nourrir les siens ... - Hcgarcle donc, papa ... , glapit le môme très distrait par la rue ... , celui qui passe dans cette Yoiture et à qui tout le monde dit bonjour ... - C'est quelqu'un du gouvernement ... Ça venait boire aYec nous des saladiers de vin chaud, chez le troquet, à la sortie des métingues ... ; aujonrd'hui. .. ça nous fait piétiner par les cheveux de la garde ..... - 11 taut: bien un gouverne3nent... Par quoi voulezYOusle remplacer? objecta le valet. - Est-ce que nous ne pouvons pas régler nous-mêmes nos rapports .. , nous ... les ouvriers ... qui gavons cette en- ~~œ 1 . - Mais ... - Oui. .. nous seuls le~ nourrissons ... , les gens du pouvoir; si le riche paie l'impôt .. , c'est de notre tra mil que lui Yient l'argent ... Il y a des employés ... pour administrer la fortune publique dont nous ne jouissons pas ... , des magistrats ... qui nous condamnent ... , des soldats qul nous fusillent ... et c'est notre bras qui les nourrit .... ; même ... , c'est nous ... qui sommes les soldats ... , nous qu'on force it tirer sut· les pauvres gens ... , nos paL"Cil.s.... ou qu·on charge de défendre les biens des riches ... et leurs territoires ... alors que nou~ n'avons ... ni tenitoires ni biens!. .... Le:-;riches ... , eux ... , n'ont pas d'enfants ... ou ils s'arragent pour qu'ils n'aillent pas ù la guerre ..... - dan~ les ca::;ernes sur cent homme::; il n'y a pa~ 3 fils de Biblioteca Gmc 81anc.o

- 258 -- bourgeois- ..... ou ... , s'ils y Yont, pour quïls soient éternellement nos chefs ... , obtiennent de la gloire ... et des grades ... a\·ec notre sang ..... - leurs catéchismes de discipline le disent!. .... - Tu Yois... , })etiot ... , l'officier qui passe là.-bas ... si fier et tout doré .. ,, ce sont nos mains ... et celles des camarades ... qui peinent... pour le faire beau ... il est it notre solde ... , puisque c'est par nous qu'il mange ... ; demain ... , au régiment. .. il te traitera en esclave .. .-, toi ... son maitre ... , sous prétexte de Patrie ... , comme si la Patrie existait ... pour les pauvres diables comme nous ... qn i n·ont ni feu ni lieu! . L'enfant écoutant, sans bien comprendre, les paroles sifflantes de son père, regardait, en une admiration de ses yeux glauques, le svelte officier qui, rigide, avec un geste de matamore, soulevait son sabre den-ière lui comme une quene métallique. · Le soleil, clisparn derrière l'A.1·cde Triomphe, emplissait encore le pur ciel d'été des splendeurs de son magnifique déclin. - Permettez, protesta le domestique, nolœ corps cl"offici'Brs... L'homme, sans eu tendre, poursui rit. .. - C'est comme les curés ... c'est enco1·c nous qui les fatsons vivre!. .. lis sont les rcprésentan ts d'un Dieu qui aimait les panHes gens ... , ils clennientnous consoler .... . Ah, oui ..... ils s'agenouillent dcrnnt le Yfütu d'or ... , s'attablent chez les traitants ... , qui leur paient des messes .. . leur rembourrent des douillettes ... ou lenr brodent des chasubles ..... Une fois ... , on a sabré le peuple sur les bonleYards ... ils ont béni.. ... Et nous nous tuons pour le,; payei·! - Ah! Yous allez trop loin, la religion, la 1·eligion est ..... nécessaire. Si ... elle n'existait pas ... , il faudrait ... l'inventer. La nounice tassa ses mamelles dans son caraco, puis tout en berçant son petit, elle approurn d'un tremblottement de ses gras mentons. • L'homme eut un brutal haussement cl'(•paules puis continua d'exprimer ses colères, tandis que son ftls sui mit, aYcc une attention triste, les jeux d'élégants bambins entassant cl u sable aYec des pelles. BibliotecaGino Bianco

- 259 - - Les riches sont Yoraces !. .... Non c,mtcnts de viue cln produit de notre traYail... ,ils Yculent tout accaparer ..... noni-;affamer ..... lls sont si goulus qu'ils ne tl"onYent jamais lenr part assez grosse; ... ils cherchent ù prnndre ... celle du riche ... , leur Yoisin..... Le plus riche ... ruine le moins ric-he... et ça s·appclle spéculer .. :....... . ... lls font de la politique ... , parlent de nolrc bien ... , nous promettent des con titn tions ... des droit::;... Est-cc que les affaires politiques nous regardent? ..... C'est toujours un réftime bourgeois ... qui uccède ù un régime bourgeois! ..... (,Juclsque que soient les maîtres, il faut les nourrir ..... et le tnn·ail estau8si dur ..... Leurs théâtre: ... , leurs lieux de plaisir. .. , c'est nous ... qui les bâtis. ons ... , qui payons des impôls ponr c-cla.!.. Quand le palais est fini ... , nncfoisparnn ... , snr dix million dctranlilleurs .... quatre mille peuYent YOit- ce qui s·y passe! Tant mieux clu reste ... , ils ne montrent que des choses fausses ... , la comédie de la Yic... des mensonges. v - Pardon ..... , le Théâtre ... est un ... grand..... éducateur ... populaire. Et la Yie... , la sacrée Yie... qui nous écrase ... , le froid ... , la faim ... , !:a n'apprend donc- rien ... , ça? ... Ah!. .. les ric-hcs !. .. où donc ont-ils le c-œurplacé ... poume pas penser ... aux maux des meurts•clc-faimr ..... Ah! si ... , ils y pcnsrnt ...... clans les hi ,·ei·sdurs ... on après une catastrophe .. . dont leur rapacité est souYe11tla cause ... , quand la misère rst trop grande ... ,qnand nos caclancs ... gênent les digestions; ..... alors ... , c-es gens pour qui nous a,·ons gagné des millions ... , nous font l'aumône ... , à nous ... les créafours de la richesse! ..... Pour ça ... , on insc:rit leurs noms dans les journaux .., Ils organisent aussi des fètes de chal"iH.'.. ; à foccasion de no$ souffrances ... ils batifolent ..... Puis ... , un jour ... , le pauue diable cl'ounier c-rève... , si la misère ... , la pourriture des ruelles ... et drs masures .. . ou une halle reçue en défendant la propriété des autres .. . ne l'ont p,lS tué arnnt ..... On Je charrie dans un cimetière ... , très loin ... , on renfouit a ,·ec mille malheureux c-ornmclui ... , et ... ,quan<l son petit et sa femme Yiennent lui apporter une fleur ... le dimanche, ils la jettent. .. an hasard ... sur Je tas ... ; au petit bonheur ...... ç,L.., c'est la société ... et il ne faut pas nous en plaindre ... puisquïl B1bhoteca Gino Bianco

260 - parait que c·cst nous ... qui l'aYons Yonlue ... et que nous axons signé un contrat ... c'est un homme très saYant qui l'a dit.... Ah! Ah! Ah! Ah ..... - Bah! la société n'est pas si matmüsc ... , quand on la prend comm.c elle est.... . - Tant micnx ... si les vases de nuit ne Yous donnent pas d'ampoules ... , mais laissez-moi tranquille ... J'aime pas les bénisseurs. Brusqucment,il tourna le dos au larbin écœuré, et plaquant sa large patte sur l'épaule de son petit : - Voila ... , mon honhomme ... , tu es né panne ... , tu \'Ïvras ... , et mourras pauvre ... ~t pourtant. .. toute ta \'ie tu traYailleras ... et c·est moi ... qui t'ai mis an monde ... - moi - ... et un jour ... tu me le reprocheras ... , mais tu comprendras aussi ... pourquoi ce sont les pauurs qui ont le plus d'enl'ants ...... Ah! misère de misère! ...... La lourde main se crispa sur l'épaule fragile. Le petiot, effrayé par la Yoixméchante de son père, par sa dure pression et cette tristesse dont il an1 it le sentiment confus, se mit à sangloter, plns blême encore parce que le soir et la füim Yenaient. L'homme se leva, prit la main dn petit, partit it grandes enjambées yei•s les quartiers noin; et Ycrs son taudis. Le deuil silencieux du crépnsculc, si poignant même pour les heurenx dn monde, raccablait de son mystère ... Mais la lampe, éclairnnt la mansarde et la soupe fumante, lui ragaillardit l'âme, peu à peu... . Le soir, il refit un enfant à sa femme parce que c'est son unique plaisir et qu ·ainsi le veut la loi des éternels recommencements, tandis que des millionnaires, sur les rlirnns de joie, délictueusement folâtraient, que la garde veillait it leur repos et incarcérait les ivrognes. Et, le lendemain matin, dès raurore triomphale, le fauboura du Temple déYcrsa sur la cité endormie son hahituel flot rle tra,·ailleurs. Dans les casernes, le clairon réveillait les fils du peuple pour les initier à la défense cl 11 bien des riches, tandis qne ceux-ci sommeillaient en l'attente d'un chocolat onctueux ..... (i1~0HGES LEcown:. BibliotecaGinoBianco

INDULGENBCOEURGEOISE Un des diYertissements les plus réels et les plus immanquables del' An 1890 aura été le simple fait de prononcer dans certains milieux, une première fois par inadvartence peut-être, ensuite intentionellement et avec délice car l'etfet sùr etimmédiatincite à renomelerlexpérience, le nom de M. Maurice Barrès. A ces syllabes, de sonorité non si particulière qu'elle explique à elle seule la commotion qu'elles produisent, correspond un sentiment unanime dont il est possible de déterminer assez bien le sens. Emi::; de l'angle obscur d'un fumoir où la journée vécue se pacifie en la détente du soir, à l'heure où les cigare,; nouent entre elles leurs arabesques de fumée comme en signe de concorde et quand la bouffée disperse une ombre errante aux fleurs des tentures sitôt rembrunies, énoneé en quelque salon, cher aux hommes de quarante ans, ce Yocable provoque d'abord un imperceptible tressaillement, anime les mains oisiYes, inquiète les calvities, et, en quelques minutes l'effort que faisaient les auditeurs du rien solonncl de leur pensée à ressembler à de digestifs tubes Yêtns d'apparences illusoires fait place à une rapide exaspération et transforme les plus quiets bourgeois en énergumènes et en maniaques. Le nom de Mam.ice Barrès, ~i cher aux lettrés pour qui il représente une façon méticuleuse et nalYe de s'analyser, un son rire :spécial à s'exalter et à qui il rappelle un jeu unique des circonstances et une aYenture politique inattendue, a la contraÎl'e Yertn d'affoler les prétendus gens sérieux et de les induire à des récriminations sans fin et vagues parmi lesquelles on démêle le reproche d'une jeunesse que le hasard a rendue l'égale, quelques heures par BibhotecaGinoBianco

- 262 ,- ., semaine en une Enceinte célèbre, des matnrités en usage, là. N'est-ce point illogique: ces mêmes hommes qni se récrient n'ont guère hésité à confier des intét'êts ponr eux Yitau:x à maints personnages notoirement ineapables et sou,·cnt peu exemplaires qui n'usent de lenr situation représentative d'autrui que pour penser à soi et se prornrer des pas~es de chemins de fer, des cigares à bon compte et garnir leurs caYeS des pots de Yins les plus grecs; et parcequc ~1. fü1rrès dispose d'une fraction clïnf!u('nce sur les destins du pays ils lni reprochent cette minime part dont, ils le savent hien, il n'usera que selon son bon sens et son intégrité. Je sais que cette hostilité ponrrait n'être qu'une des formes de l'envie car : Etre rlépitlé représente pom les esprits utilitaires cc que « arriver >> a de plus évident et de plus anrntagetrx. Cela, procure une sorte de considération en bloc, d'ensemble, cl-0ntchacun a sa part et qui existe en dehors de chacun sans qu'i I soit nécessaire pour enjouir de 1a renforcer cleson honnêteté personnelle et sans q_uc nulle inc,U'tade partielle en puisse compromettre le fonds eommun. De plus, il se joint à cela dans l'esp1·it de chacun le sentiment c1·une aptitude,\ cctt_e élastique fonclion où pent s'adapter la plus grossière incompétence comme la plus fine capacité. Et pnis, la députation ne concspond-e1lc pas sous une forme atrophire au sentiment secret que tout bourgeois a de la gloire, c'cst-à-cli1·e à l'idée qn'il a de l'importance de soi et cet état de mand<ltairo est une ùsôe familière où se plait et se dilate la vanit(, du médiocre et- dont qnclqncf'ois l'atteinte en hausse le détenteur jusqu'à une sorte de majesté de la sottise. · Tout cela fait qu'on est, parmi les g<'ns qu'irrite un qnadragénat·iat trnp priYé de l'honorifique, extrêmement séYèrc pour NI. Barrès en tant qu'ol>tcnteur adventiC"c d'une s.inécure dont plus d'un se suppute mentalement frustré; mais comme ces rêveurs pratiques respectent. le Succès en lui-même on se contente d'ohjecter, ù cel11iqui a réussi, sa jeunesse. Cela, on le lni reproche aY<'Ctoutes les attitndes fL1me BibliotecaGino 81ane,a

- 263 - que donnent le comptoir et le bureau, axec amertume, solennité ou fureur selon le tempéran'lent du détrnc-teur bourgeois ... Aussi, ce sentiment qne j'ai observé maintes fois iL son (,gard - toutes le:; fois que j'ai eu lïmpruclence de quitter ma lampe et ces quelques livres que doit sarnir par cœm un homme digne de soi-même pour m'aventurer une heure parmi ceux qui ignorent les pensers purs et abstrail·s et dont toute la liltrratureconsiste en de variables taux et de vague,; mercuriales -nl°a intére~s(>surtout par ce quïl r{'- <-èlede cachr et par son vrai sens quïl est facile de déterminer. K'<'st-ce point ceci : Il est surtout impardonnable que :.w. Barrès a.it eu raudace d·acquérir, en sortant de la. so1i1U<lcsongeus<' où s'était complu sa jeunesse, sans npprnntissage, et par Je,; seules ressources de son esprit, avec une iiwention<le moyens peu hahiLuels, tels que, une va: lenr personnelle, une manière it lui de plaire et cle convaincre, quïl ait ainsi par la simple application de son intelligence à un hnt déterminé atteint une situation offic-ielle en y restant lui-même c'est-à-dire quelqu'un de fin et de tlélicat. Si encore seulement - et c'est là la uaie objection, le grief - il amit consenti, en acquiesçant ainsi au commun il achete1· avec de l"argent simplement, ces votes qu'il a obtenus etqu ise vendent comme de quelconques denrées, l'emploi de ce moyen classique re.ùt rapproché du ni,·c,rn de ('eux qui, frm,tr{',; de pou,·oir incliner leur natiYe hassesse dernntrusuel el général J\Iôtal, inculpent :M. Barrès (r,woit' fait acte depréten1ieux. en remplaçant par du tact, de la conduite et de l'esprit C'equi équi,·aut pour tant d'aull'es, en de pareilles nrgociations avec le capl'ice de la foule électi\·e, à ces qualill's inaccessibles it leur stupidfü,. ~'est-ce clone point de raristocratisme que d·user de ce qui est hors de la portée de:tous et c'est en restant de !"Elite dont il est que ~l. Barrès a encourn la colère des ta- ('iles disgraciés du suffrage et lassé 11nclulgence Bourgeoise. Pom· nous, il est hicn qu'il en soit ainsi et :i\I. Barrès est une virnnte l't'plique de l'esprit à l"entregent et nux BibliotecaGino Bianco

- 264 - .!.~ captations monétaires si en honneur et sans aller à son égard jusqu'à l'admiration - sentiment quïl réprome1,ait et do.nt ne pourrait que s·offusquer sa délicatesse - on peut le goùter, l'apprécier.infiniment et reconnaître l'ingéniosit<" extrême aYec laquelle il a menr à bien son ::)xenture électorale et attendre de lui quelque loi utile au bien-être intellectuel ne fùt-ceque l'application immédiatr, forrée et intégrale des Bas-Bleus à la tenue des bureaux de Tabar. B1bhoteraGino Bianco

LARÉGLEAIENTATION DELAGUERRE .Je n'ni plu, un très lu<·iclesou\·enir du pELysou Je rencontrai ce Yieillard. Si je cherche ,\ resaisir mes f~1gaces et trop indécises impressions, il m'apparait, malgré mes efforts, tel un pnys de songe ou traînent par de frigides nnit drs hrnmes semblables à des Yoiles de Yierges. Les jours enx-mèmes, r<fairés d'un terne soleil impuissant,\ r{'r-hauffer l'ait·, plus encore à teinter autre1nent que de blanc lès fragiles calices des fleurs ténues qui ça et Ja sm·- gissent, les jours ont de lunaires aspects, et un paisible et perprtuel hil·er enYeloppe à jamais cette terre intertnine. Du Yieillard au contraire, l'image est demeurée très YiYc en ma mrmoi1·e, ainsi est- il ·du particulier jardin on je le Yis, par une matinée - fut-elle de printemps ou d'automne je ne le puis dire, car seuls lrs habitant'> de eette contrre sont assez subtils, pour distingurr les saisons ù Jeurs si indécises différences. - Penlètre ee jour-lit, à mon insu, les rayons de l'astre - je ne J'ose plus maintenant nommer soleil - furent-ils plus chauds et plus lumineux, ou, simplement, monesprit,excitL• rt animé par les choses dites, a-t-il pl us retenu: je ne sais. L'homme était grand et maigre, et sur des épaules erenses pottnit une petite tête d'oiseau au profil coupant et froid, il aYait des lunettes d'or et était Yêtn d'une Yastc redingole,j'anüs connu à Iéna un v1·iva clocentqui lui res~emhlait. na rnitdelongues jambes étiques, et il les clissinrnlait sous un plaid à carreaux, spécial, en ces temps, aux anglais; quand aux bras, serrés et amenuisés, par l'étroitesse des manehes, ils ne pouYaient se eourher en d'harmonieux. grstes, et seuls d'angulail'eS mournments leur étaient permis; ils se tel'minaient par des mains jaunes, d'un authentique parchemin, munies de doigts osseux, gonfü's de B"bhotE. c GinoBianco

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