Entretiens politiques et litteraires - anno II - n. 16 - luglio 1891

lJEUX.ll~MI!: A;'(Ni:!!:. - VOL. lll PRlX : CINQUANTE CENTIMES ENTRETIENS POLITIQUES & LITTÉRAIRES PUBLIÉS MENSUELLEMENT PAR M. FRANCIS V!ELÉ-GRIFFIN / ----,--- SOMMAIRE 1. Notes inédites de Laforgue sur Corbière et sur Bourget. 2. 111;. Francis Vielé-Griflln: Ob,jectionsraisonnées. 3. M. Paul Adam: Pour la Guerre. 4.. M. Théodore Randal : L'Encyclique. 5. M. Edmond Cousturier : L'A venir des Expositions de Peinture. 6. Notes et Notules. (Livres, Musique, Théâtre, etc.) PARIS 12, PASSAGE NOLLET, 12 Juillet 1891 I '

Eî-.1TRET IEÎ'~ S POLJTJQUES KI' LJTTÉRAJRES , Paraissant chaque mois. Abonnement: UN AN. • . • • • G francs. (Tirage restre\ut sur Hollande 20 francs, Pour ahonnt"ments, dépt•ts, etc., s':-..d1·esse1• dit•eetement à :u. He;•n:u•d Laz:n·ct t ::1 Passage Nollet. - Pour la ,•ente nu nu11u'..,,o ~•:ult•es~f>t• :1 la .,i!u·ai1•ie Charles (tléposilairfl généra 1), S l'UC i\lonis~eu1-..Je-Prinee, ____ _ E11, vente, au nunuiro chez: LfmuauE _o~ L'Ain;._ rnnEl'ENUAXil' \ . MAJU'ON et FLA.MMAHION id. ',id. id. 1d. id. id. id. id. LIBRAIRIE NOUV~LLE id. iù. 8Év1::,.: 'l'RUCHY DENTU SAU\"AlTRE 'l'.HUDE JAM.AT! Vu.DIER WEIL 'l'AILLE'FER ME.\ Cl-lAUMONT LECA.MPION BARANGER TRESSE et STOCK . Lmft!ÙRIE o'u"Mmi 'l'EILLmox: A. LE'.\fEfüŒ E. PAUL GRETTf: MARTL~ BRASSEGR AINÉ BRASSEUR JEUNE LÉON VANIER GAGNÉET BouuxmR li, Chaussée d'A1iti11, 10, Boulevard des Halicn:-.. li, Hue-Auber. 0, Boulenlrd St-Martin. 2, Rue }la.rengo. Galerie de l'Odéon. 15, Boulevard des l lalic1is. 3, rue de Ja Boëlie. 8, Boulevard des ltalif'ns. 2ti, Boulevt1rd dc:-. llalieu:::,. Avenue de J"üpéra. ·7•2, Boulevard HHussmann. 1o-18, Boulevard St-Denis. ?, Houleva..I:dHt-.\la.rlin. ~, Boulevard l)euain. !t, Hoe dn Havre. 6l, Houlentnl i\!ulesherbc:-;. L rtt{' du Havt·e. 48, hUl' de Hi ,·oli. :!. l 1a:-sage du Saumon. 13~, Hue Lafayette. :J-11-m. Gal. du 'l'.-Frani;ai:-. 2J, Hue de 'l'l'é\-i~c. · Pas~age Cl10L-;eul. 100, Paubourg ~,iint-Honoré. Passage Véro-Dodat. 9:3, Faubourg !::iaint-Honoré. 1J5, Chaussée d'Anlin. Galeries de l'Odéon. 10: Qtiai Saint-~licl1el. 19, Bou!evanl Saint-,Jiclfl•I. à BORDEAUX ; à NL\ŒS à BnUXELLES : à LIÈGE à Ja Libraitie Illustrée tle la Gironde. che7, A. Catelan, rue Thoumayne. che:i:L: ac1m1Jlez, rue de::; Parois:sicn~. 8111iio .ec" r 1ro ..,i 1re

ll"YÉDITS DE LAFORGUE [Ci-après: la fin de la série de trente-deux feuillets intitulée. - NOTES BAUDELAIRE - ETC - CORBIJ~RE - ETC - et clont les E:--TRETIENS POLITIQUES ET LITTÉRAIRES d'avril 1891 ont pitblié le commencement. Nous disposons ces ti·ei:::e derniei·s {euillets dans un ordre à peit près arbitrai1•e. - Description clemanuscrit. De 20 à 31 : papier Z1lancteinté jaune. Feuillet 32: papier blanc, vergé, filiu,·ané CUERZENICH BEI DUEREN. De 20 à 25: encre noire; 172 m,m,. x 214 mm,. De 26 à 29: enc:es noire et rouge,: 140 x 22G. Feuillet 30: crayon; meine format. Feuillet 31: enc1·enoire; 103 x 1G4. Feuillet 3.2: encre noire; 178 X 220.] ibhotec....GinoBianco

-2UNE ÉTUDE SUR CORBIÈRE [20] Bohême de l'océan - chantant le matelot breton libre et méprisant les terriens. - picaresque et falot - (a pris ce prénom Tristan : chevalier errant de la Triste figure) - - les Amours Jaunes. sur papier jaune gras (bon à eaux-fortes lumineuses) il fait de l'eau-forte, il la gribouille et la fait tirer en rouillé et il se fit tirer 9 ex. sur jonquille, souvenir sans Joute des genêts des landes natales. - il ne parle qu'une fois de l'Ennui (p. 89) - jamais du spleen. cassant, concis, cinglant le vers à la cravache - Sa préface porte en titre Ça noyé en une page blanche. - mais jamais d'ordures, d'obscénités voyantes de commis. - strident comme le cri des mouettes et comme elles jamais las. l'eau forte, un profil de satyre libidineux et falot, maigre, qui a bien roulé, inculte, trempé par l'averse du large qu'il regarde en face, attaché les mains au clos à un mât, près d'une borne, son feutre à terre - - vécu, mâché son cigare, clans le vent, les hamacs aux rafales, la mer sans routes. - à chaque sortie il avert.it : vous savez ! me prenez pas au sérieux. tout ça c'est fait de chic, je pose. Je vais même vous expliquer comment ça se fabrique. Les strophes-=- tout simplement cel1es des 0'1'ientales. Qu'est-ce qu'un poëte intéressant'? « léger peigneur de comètes >). BibliotecaGino Bianco

« méchant ferreur de cigales n vivre avec son imagination. le venttles côtes de bretagne lui a faü trouver et aimer le verbe plangorer. habité Montmartre - fréquenté les crémeries - et les bals de boulev. extérieur - fait de la peinture - dormi sur des di vans dans l'atelier de quelque artiste - discuté Galimard, Courbet et Manet. [21] Deux parties. Une où il raconte en vers sans armatures, ni volutes, qui se désagrégeraient sans le coup de fouet incessant de l'expression mordante et la poi~ne d'ensemble. - Sans esthétique - Tout, et surtout au Corbière - mais pas de la poésie et pas du vers, à peine de la littérature. L'autre plus intime, tout subjectif, replié sur soi ou à Paris ou sur l'eau et très-self aussi comme métier sans que ce métier soit riche, - non un art mais une manière - Une tenue très-chic non une esthétique_profonde. Quant à l'éternel f~minin qu'il appelle « l'éternel :VIadame » ma dame ce joli mot des cours d'amour dn moyenâge la femme qui fait des manières: En serez-V'Jus un peu moins nue, Les habits bas 'I (p. 131 il a connu la fille des congés à Paris - les exportations sous toutes les latitudes accablées - Don Juan mysogine de courte haleine - le mépris d'arBibliotecaGino Bianco

- l.1c - "'.:.'!t. tiste irrasasié de l'école Baudelaire << eunuque et recors » qui par dépit la cravache sensuel - il ne montre jamais la chair - miracle il n'y a pas un sein, une gorge - une (p. 36) - dans ses ve1·s - Encore moins des ventres et des cuisses - li n'indique que le coup de hanche, le tour de main, l'air de tête - ombrelle, éventail - un léger priapisme de barrière la femme de Montmartre qui n'a qu'un art la toilette, et qui ne la pousse que dans un sens, souligner son esthétique de pantin à la mode éphémère, pantin incassable comme les buscs de son corset. il écrit may avec un y d'antithèse inattendue jusque dans les dates - Bohême de chic daté de Jérusalem, Sonnet avec la manière de s'en servir Pic de la Maladetta, Ça - préfecture de police d'autres trois étoiles Charenton. Jamais Cabotin, jamais. · [22] Comme il aime à faire sonner le mot A.1rnon voyou et byronien. « Bâtard de Créole et breton » (p. 5). Il est Yenu à Paris. tirer des bordées. à Montmartre. connaissant d~s peintres, de~ cé_nacles à cÎ 0-Ioir_epas loin du boulevard a 1heure de 1·absmthe - es ecu~eurs, des BibliotecaGino Bianco

-5rufft~ns et d~s huissie1·s. Les sonnet p. 5, 6 et 7 dit bien sa fievre boheme et.brave de ces jours-là. la gloire? • « Voir les planches et puis mourir! » p. 10. Il faut lire l'amusant boniment de son épitaphe rime riche jamais rimée sans avoir été, ro,·cnu; se rctro"'·ant partout perdu. Prenant pour un trait le mot très. Ses vers faux furent ses seuls vrais. incompris, - surtout do lui-mèmc; Son naturel était la po;:e Flàneur au large, il la dérive Epave qui jamais n'arrive Ci-git cœur sans cœur, mal planté, Trop réussi comme raté. les ennuis de la mer (v. P. Loti) avec son chien manque de tenue - parfois, mais rarement de ces mauvais alexandrins d'étudiant sous l'influence des vers plaisantins de Boileau, du Lutrin. vers nuls de la plus basse cuisine « Vous qui ronncz auprès d'une épouse endormie (p. 166) Mais toujours le mot net - il n'est un autre artiste en vers, plus dégagé que lui du langage poétique. Chez les plus fol'ts vous pouvez glaner des chevilles images soldes poétiques. ici pas une - tout est passé au crible, à l'épreuve de la corde raide. · métier bête - strophes de tout le monde - oublis, réels oublis, dans les alternances des fëminines et des masculines, rimes ni riches ni pauvre, insuffisantes et quelconques, et ne se permettant d'ailleurs rien - sauf la paresse, l'inattention prouvant radicalement une incurable indélicatesse d'oreille, ~ par ex. ces tas d'alexan.- drins qui sans raison par ci par lit n'ont que 11 syllabes. BibllotecaGino Bianco

~-6--'- • l'assonance imprévue ne lui est pas invite it musique exotique. mais tremplin à coq-à-l'âne. Il n'est pas artiste mais on pardonne tout devant des plaintes parfaites et immortelles comme le poëte contumace - tout passé au crible ! On peut voir ça dans certaines pièces. 11 écrit le titre, le sujet, le mot-sujet. Et là il se prend la tête, et cogne contre ce mot, l'assaille, et alors c'est une grêle de définition~, de jappements brefs, ainsi dans le Sommeil où, en strophes inégales chacune sur une seule et même rime féminine, durant une litanie de 150 vers il le définit, une définition par vers, quelquefois, toujours avec point d'exclamation. C'est étourdissant - c'est de la folie à vide - mettez-vous à sa place. C'est assurément après une de ces parties qu'il a dû se jeter à la mer comme point d'exclamation final. une lanterne magique montrant sous mille facettes colorées la même lumière qui est au centre - à la façon de Hugo, mais Hugo tourne comme un cyclone large symphonique à son aise, ici c'est un petit albatros. [23] a une influence romantique, picaresque dans sa jeunesse - pour le reste dans son volume pas la moindre trace de parnassien, de Baitdelairien il a un méHer sans intérêt plastique - l'intérêt, l'effet est dans le cinglé, la pointe-sèche, le calembour, la fringance, la haché romantique. Il est à l'étroit dans le vers - il abonde en - en! en .... en parenthèses, - en monosyllabes. - pas un vers à détacher comme beau poétiquement - rien que curieux de formule . . autre(ois la rime et la raison était le difficile, - alors BibliotecaGinoBianco

-7011 mettait le mot origi'nal dans le corps du vers, et la rime arrivait comme elle pouvait, banale, et le plus souvent cheYille, - on passait sur la rime - on tôchait de se tirer de ses rimes voilà tout. Ensuite, on réagit contre cette école et toute la révolution se porta sur leur point faible, la rime. Vous allez voir tout le dictionnaire va passer à la rime! - et en effet. On fit des vers, en ayant l'œil surtout sur le bout des vers, - le reste était oublié - Ce qui fait que les seules idées, les seuls mots personnels, étaient les mots appelés par la rime, - il n'y avait d'effet que dans la rime. Corbière lui rime, comme ça - prêter et rimer, cousu et décousu, maison el non,jour avec jour - deux quatrains d'un sonnet faits avec 4 verbes en ser et q_ substantifs en elle! Un autre sonnet sur deux rimes! - La rime ne lui est jamais tremplin. les entrelacements de féminines et de masculines - il les bouscule - par paresse - dans une pièce 6 masculines viennent après deux féminines puis la pièce reprend son alterné régulier. - Souvent ses vers ont une syllabe en trop ou en pas asse~ - Cependant jamais une pièce tout en féminines ou tout en masculines - les moLs en ion ont tantôt une tantôt deux syllabes - cependant il n'osera jamais faire rimer un singulier avec un pluriel - rien de rythmes voulus, sauf un sonnet renversé p. 71. • Il est trop tiraillé et a trop l'amour de l'ubiquité et des facettes et du papillotant insaisissable et la peur de pouvoir être défini, - pour se laisser aller au long vers musical qui a toute sa valeur en soi - la moitié de son vers est dans l'intonation, le g~ste et les grimaces du diseur - et alors il $'ingénie dans son texte à multiplier les lignes de points de suspension, de réticence et d'en allé •.• les BibliotecaGinoBianco

-8tirets d'arrêt, les virgules, les : d'attention ! et doubles .points d'exclamation. tout lui est tremplin ... il vit de tremplins. sa logique et son art ont pour devise au petit bonheur des tremplins d'idées ou de mots. (p. 53) Il voyait trop - et voir est un ayeuglcmcnt. Une pièce (p. H.9) ou dans l'espace de cinq vers - le mot vers prête à trois calembours. [25] s0,1 tremplin d'antithèse souvent s'étale naïrnment dans la fabrication élémentaire - Et si par erreur ou par aventure Tu ne me trompais - je serais trompé. déjeuner de jeùne - son éphitaphe est bâti exclusivement sur ces pointes. D'ailleurs tous ces gongorismes d'antithèse ne sont pas un jeu en l'air - il y a des racines - C'est l'homme qui déclare son amour et qui est dépité si on l'écoute. L'enfant gâté qui ne sait ce qu'il veut reruse sa soupe parce qu'on la lui prêche et pleurniche dès qu'on la lui enlève. Qui fuit la société et se lamente qu'on le laisse seul. Au fond ce sentiment incurable de la déroute de rabsolu et du libre arbitre et de la logique que [1] a soufflé partout. · La lune reste pour lui, la lune des vieilles estampes - romantique - des truands noctambules - Tantale évoquant l'absence d'un écu de 100 sous. - Il n'a pas été empoigné au cœur par les cosmologies modernes, les astres morts, les déserts stellaires sans échos. Biblioteca Gino Bianco

-9bien-aimée vient sous sa plume - Si je mettais mal aimée C'est cela. (;'est une idée. il gambille, fait des moulinets, fait le borgne, le lépreux, l'amateur, le feu-follet des mares de bretagne, narguant tous les octrois de la littérature, tous les douaniers de la critique, il croise le long des côtes, le long des corbières, pour l'amour de l'art Il a peur des ridicule lyriques, apocalyptique, fatal, poitrinaire, hystérique, lunaire, prudhomme, musicaux, sentimentaux, naïfs, etc. - et se pose un peu partout, rature, dit non... lyrique moi? jamais eten effet le vers suiYant est voyou - moi digne d'être aimé? voyez : moi, moi voyou? sans-cœur ! mais mettez donc la main et sentez! - Et arrivé au refrain naïvard de biniou breton - il veut être indéfinissable, incatalogable, pas être aimé, pas être haï - bref déclassé de toute les latitudes, de toutes les mœurs, en deça et au delà des pyrénées. Très réussi comme raté. Il ne montre pas qu'il aime tel ou tel poète - Ce serait donner prise - Il raille Millevoye, Moreau, Musset, Lamartine, Baudelaire, Hugo, Murger, Escousse, Gilbert, Lacenaire, Chénier, Byron. Goncourt (pour l'emporte-pièce des définitions) les odes funambulesques de Th. de Banville. comme calembours -maisletremplin du calemboULy' est déplacé-il ne vient pas de la rime très-riche - mais au petit bonheur, à propos de bottes- et sans la discipline prosodique deBanville. - calembour - d'images - psychologiq~e : p. 73. Après? suis-je donc pas légère Pour me relever d'un faux pas? Et l'on sait amuser avec une dragée haute, un animal ombrageux (p. 74). BibliotecaGino Bianco

- 10 - J'ai fait des ricochets sur son cœu1' en lempète - (p. 81). Une femme qu'il appelle rose-mousseuse - le fait ajouter _, « dans la mousse de l' Aï, du bock.» très-rarement la rime lui fournit l'esprit.. et alors c'est toujours le même moule - Un mot poétique ù. qui l'on donne ~n rime un mot vulo-aire, du pa\'é - et c'est le drame de deux mots presque homonymes et à mille lieux l'un de l'autre en tant que synonimie, le charme d'être vraiment attiré puis remballé comme une balle - coquelicot et calicot pastille du sérail et ail ).;aradis et radis. Espagnole et Batignolles. il va du tremplin gongoriste des Goncourt au tremplin funambulesque de Banville. Et gardons à la pomme jadis verte Sa peau sous son fard de fruit défendu (p. 56.) [!] Ici l~ mot Hegel raturé. r26J Il a pris la fleur de la Bohême - par escapades - nmtrant ensuite dans la discipline lointaine - ne conservant de la bohême de Paris qu'une fleur nostalgique - « la male fleurette» dit-il Des bordées de temps en temps. - la femme un temps de mouillage - ' A tout ce qui est oui - il dit non - et le contraire. Pour être insaisissable et déclassé quand même Le myosotis est le n'oubliez pas. BibliotecaGino Bianco

- 11 -- dit-il. El les myosotis ces fleurs d'oublielles - les bordées it terre ( : pachas de relâche - Une porte s·ounil, c'est la sale allumée (citer jusqu'i'.t écume du ragoùt.) . p. 269-2ï0.) [2ïj Jes gens de mer métier nul, déchiqueté, essoufflé, piétinant, lésiné. mal bourré. - du raconté au pain sec sans envolée ni langueurs. - chantez! la vie est courte el drôlement cardée! ... Il n'y a décidément pas trace de réminiscences dans ces poésies - ni sujets, ni métier. Ce n'èst pas de l'originalité de quelqu'un revenu des romantiques et des parnassiens successivement - mais du pri1nesaut à la diable, Il a lu, il le dit, il les nomme - on n'en retrouve rien. Dans son poème sur le douanier garde côte, il le déguste cet oiseau de mer avec sa poésie au large, faisant ses cent _pas, pipe, caban gris-bleu, dunes, horizons, comme il l'aime, et alors comme il l'admire d'être : Poète trop senti pom· être poétique - èe fut l'art de Corbière. Lui pas de couchants, pas de poésie de la m,er, pas de ciels, pas de spleens pantoumés - Nous sommes tous poétiques - nous avons beau faire - nous montrons toujours un bout du panache azur. - lui n'est pas de chez nous - c'est un insaisissable et boucané corsaire hardi à la course. - Il adore le mot contumace, on le lui surprend à plusieurs endroits, quand il BibliotecaGino Bianco

-12veut frapper un coup et tout dire d'un mot- contumace .. . contumace ... vivre par contumace ... poëte contumace .. . artiste de proie ... son suicide(?) pique une tête - 11 finit comme ra, simple en sa grande allure, D'ttn bloc; - Un trou dans l'eau, quoi!. .. pas cle foriture. [28) Dans Mirliton (338) une des rares pièces où l'énervement sans moëlles ,,_ . t· . décadent cLll me ie1. partout il a du nerf, - et des détentes de flamberges. - pied (de 2 syllabes) p. 259.) vieux de 2 syll. p. 260. - cle comme césure (p. 260) - et le (v. 268) (même pièce un vers de 11 et un de 13) miroite 4 syllah. 26!1. ma1·iéede 2 syl. Toujours sec, insaisissable, épave, sans cœur d-echic. - Quand il parle des matelots bien qu'il s'acharne sur leur rude coque comme on n'en fait plus, leur vie de forbans, le vieux d'autrefois qui mangeait de l'anglais, de lupanar, de goëlands, mettant tous les terriens dans le même sac, il devient parfois romance, très-romance, mobile breton. C'est raconté avec une PR0DIGmusEépuration (Bitor), c'es.t condensé, ça pétille, tout est à prendre, la rime ne compte pas comme rime, on ne la sent pas. - Il fait de la peine à Yoircompter ses syllabes, alterner ses distiques par masculines et féminines, scander ses césures - que n'a-t-il fait cela en prose - c'est impossible à chanter, ce texte. BibliotecaGino Bianco

-13 - l29J la plus fine, la plus ténue, la plus plll'e pa1-tiecomme art. Rondels pour après - de fines mauves pâle filigranées d'ironie sur un ton posthume. Biographie )lais il fut flottant mon berceau Fait co:nme le nid de l'oiseau Qui couve ses œufs sur la houle Mon lit d"amom· ful un hamac El pour tantôt j'espère un sac Lesté d'un bon ca1llou qui coule - Dès quïl est dans ce Paris rêvé, il est mélancolard, il a le mal de mer jetant sa solde a,•ec son trop plein de tendresse . A tout vent. Biblioteca Gino Bianco

- 14 - '"30' L - L'étude sur Bourget - 1° la Beauté - 2° Pessimisme - f31] / « Il flotte dans votre cœur comme des cristaux préalable 3 qui ne demandent qu·;"t se prendre autour du premier ra1:1eaufleuri qu:On y jettera » - (Mme Bressuire) « Visage passionné jusqu'à en être dur - et pour moi marqué de vice. » - « son pied fin qu'elle posait un peu üop en dehors » (EveRose !) « Une femme charmante » - votre reine, une femme adorable )) (Ruy Blas) « Le miroir (l'âme) était plus précieux (valait mieux) que les images» (Eve-Rose). « N'avais-je pas devant moi une foi de plus une créature supérieure à sa vie, supérieure même à ses sentiments? >> BibliotecaGino Bianco

- 15 - « Et la simplicité de son être semblait n'avoir pas été touchée, malg1·é Paris » - « C,esmaisons à cinq étages dont l'architecture monotone se multiplie intarissableme1it. » - « Ils auront témoigné une fois de plus qu'il y a clans la créature humaine un appétit insatiable et indestructible de ce pain mystérieux dont les miettes se multiplient à l'infini comme sur la montagne de l'Evangile - la Beauté!..-» « Et voici que toutes les images colorées et charmantes, grandioses et délicates sortent soudain du mot technique où elles étaient enferm~es com:ne un millier de roses clans une petite graine. » cc nature démesurée » (l'Inde). cc par une ineffable incantation. » <c Notre père qui étiez aux cieux ... (B.) cc la foi n~ se commande pas plus que la santé >) (B) cc Il y a quelque chose de plus effrayant que les espaces infinis dont s'épouvantait Pascal, c'est le silence des âmes qui s'en sont allées - on ne sait où » (Geor&esSand la gde optimiste et son mai l◄ laubert le nihiliste) BibliotecaGino Bianco

- 16 - ( - l'Inconscient. le principe, après l'effort, l'apothéo,se de la conscience artistique parnassienne se consolant dans des prntestations boudhiques, - le principe en poésie du bégaiement, de l'en allé. ChezM. Mallarmé contemporain des parnassiens à facture raisonnée et du premier engouement de la poésie faisant de la psychologie descriptive et didactique (Sully-Prudhomme Bourget), ce n'est pas le bégaiement et l'enfant qui a mal, mais le Sage qui divague, - ce n'est jamais une divagation d'images comme dans le rêve et l'extase inconsciente, c. à cl. de sentiments exprimés avec l'immédiat de l'enfant qui n'a à sa disposition que le répertoire de ses besoins, mais de la divagation raisonneuse. Sa technique est également raisonnée consciente et l'on voit souvent qu'elle n'est pas de premier jet. toujours concret, jamais impalpable. Rimbaud fleur hâtive et absolue sans avant ni après - Jamais de strophes, de facture, de rimes- Tout est dans la richesse inouïe du pouvoir de confession, et l'inépuisable imprévu des images toujours adéquates. Dans ce sens il est le seul isom,ère de Baudelaire. Ce n'est qu'à la 3° lecture qu'on se dit. tiens : mais ce sont des quatrains quelconques, des rimes platement alternées, les rimes ne sont ni riches ni pauvres. - nul effet de césures - nulle combinaisons de féminines et de masculines. le genre somnambule - divagation d'un cœur magnétisé par la paresse, l'été, l'ennui, une digestion copieuse. On peut hardiment l'avouer. · , Une poésie n'est pas un sentiment que l'on communique BibliotecaGino Bianco

- 17 - tel que conçu avant la plume - Avouons le petit bonheur 9-e la rime, et les déviations occasionnées par les trouvailles, la symphonie imprévue vient escorter le ,natif. tout comme un peintre est amené là - à ce gris perle à propos de bottes, à ce géranium sans nécessité, de l'humeur de la mise en œuvre de son motif .. Tel le musicien· avec ses harmonies qui ont l'air parasites - BibliotecaGinoBianco

OBJECTIONRSAISONNÉES « Les écoles littéraires, promises ù la durée, s'affirment d'ordinaire par des huées dont le public ent.ier les accueille: elles le troublent dans ses habitudes, lui enseignent l'effort, veulent éclipser les ainés. Depuis Honsard et Boileau, tous ont eu leurs débuts sifflés: romantiques, naturalistes et parnassiens. Cette consécration a manqué aux décadents ou '>ymbolistes. )> Ainsi, de ravis de M. Psichari, les huées sont une consécration littéraire; soit; mais alors dénier aux« Symbolistes» le putatif bénéfice de toutes les âneries et de toutes les ordures dont,depuis cinq ans, leurs contemporains les Yeulent accabler, deYient un acte de la plus prodigieu,-e mauvaise foi et, vraiment, le flus byzantin et le plus machiavélique déni de justice. i\!. Psichari-empressonsnous d'affirmer cette conviction - a fréquenté un monde de généreux esthètes, esprits ouverts à toutes les manifestations de l'art vivant, prêts (ce fut-il à leur détriment), à accueillir les idées nouvelles ou ressucitées, gracieux et souriant dans l'accueil, amènes et profonds dans la discussion. Où vit, où agit ce monde d'élite, en quels organes exprime-t-il sa noble pensée? Kons l'ignorons, comme nous ignorions son existence. Car, certes, le juvénil optimisme de M. Leconte de Lisle, qui lui laisse voir en tout jeune poète « un fumiste », ne doit pas faire de son salon du Luxembourg le rendez-vous de cette grave aristocratie de la pensée chez qui M. Psichari a formé sa bonne opinion des mœurs littéraires contemporaines; et rorgane de ce groupe ne saurait être, non plus, la Revue Blette, où M. Lemaitre écrit sans égard pour la dignité de la critique et sans ménagement pour son bon renom littéraire. - Non pas la Revue Bleue, sans doute, où M. Psichari, lui-même, peut dire des « Symbolistes » - qu'il Biblioteca Gino Bianco

- Hl - traite (est-ce gracieuseti:?) plus volontiers de « Décadents n - : « Ils ont trois formules, ce ne sont encore que trois velléités » .... « Il serait long et peut-être inutile de parler, à l'heure qu'il est, de la conception symboliste. Les idées (1) 8ont encore troubles .'Lcesujet» .... « ün seul résultat semble acquis: il est nérratif ».... «On aclit en vérité, de toutes les écoles,iLleurs cÎébuts, qu'elles écrivaient de façon inintelligible. :\fais ici la nuit est complète.,. « Les connaissances grammaticales, la partie érudition sont. encore faibles chez les syu1bolistes .... » « On n'aLtend plus que le poète ... » Et ainsi, :M. Psichari (si bie·nveillant pourtant) clément par son article même l'affirmation par quoi il cléb~1tait. Car, sans contredit, c·cst là tout au moins de la né~ation, si ce ne sont des huées dont nous privent, à ne pas ([Outer, le caractère seul de :\'L Psichari, mais que d'autres ne nous ont pas refusées - elles sont, en effet, fournies (il notre jeune gloire, s'il faut en croire M. Psichal'i) par tout ce que le journalisme quotidien emploi d'expéditionnaires, hors quelques chroniqueurs dont, troublés encore par l'affirmation initiale de M. Psichari, nous commençons fr regretter la pourtant dis,:rète louange. Quand au fond de l'article spécieux que nous aYons sous les yeux et qui, au résumé, Youclrait constater que l'e muet n'existe plus en français - il suscite en nous un absolu septicisme: le jeu des E muets nous ayant toujours frappé comme étant la suprême subtibilité d'une langue accomplie et divinement musicale, dontla brntale abrogation des muettes fernit, pour employer une expression de M. de Hegnier, « quelque chose de moins qu'un patois britannique » •- Nous aurions aimé discuter l'argumentation de :'II. Psichari, mais, si sa conclusion est en contrndiction, non seulement avec nos habitudes d'oreille, mais aYec toute notre foi esthétique, ·ses prémices ne sont pas moins hazardeusement posées. . Nous mettrons en doute, par exemple qu'il faille dire en public (sans !"excuse d'une émotion nerveuse de récitant inexpérimenté) : Ma fl,ll' va v1·ier; vois la nuit est v'mt' (1) De qui? • BibliotecaGino Bianco

- 20 - Il est vrai qu'un vieux colonel célèbre pratique ainsi l'apocope; mais la crânerie militaire a ses prérogatives sur quoi nous n'avons pas à empiéter. L'exemple des comédiens n·est pas plus concluant, le français étant la langue de Hugo et de Verlaine avant d'être celle de Paulus et de Coquelin. Quant à admettre que tout cocher parisien dise Pla:: Venclonie, nous ne_le saurion3; bien que, depuis la guerre, nom·bre d'honnêtes alsaciens aient pris place sur le. siège des roulants observatoires et diraient Yolontiers, Blû~ Fentom et la Mattléne (il y a même depuis l'exposition au haut des hansom cabs des sujets britanniques idoines iLprononcer Vanneclôme); mais nous ne saurions accepter qu'on généralise ces cas d'exception, parcequ'une corporation composée pour la moitié de bacheliers et pour un quart d'anciens écclésiastiques nous semhlerait, par là, incriminée sans raison cl'alitérature et cl'asmatique apho11ie,parce que le pourboire doit rester (parmi tant de ruines accumulées) le symbole crune haute et cordiale estime, parce que enfin, l'e muet est la La.se musicale de la langue fran<;aise. Que M. Psichari, affirme après M. Toussaint des i\1ornes que « il ost rare que deux.syllabes soient uaiment de même valeur, et que, par conséquent un vers de huit pieds et un vers de dix pieds non seulement pell\·ent avoir la même Yaleur numérique, mais le vers de huit. pieds peut être plus long quo celui de dix » (1) - il y a tout lieu de Ju.i en savoir gré. - .Mais qu'il n ·aille pas, par l'amour cl un duoclecapodeYirtuel, jusqu'iL supprimer nos demis-tons : 1fa-t-il pas le Yers Yolapuk qui ne comporte que dos syllabes longues, jamais muenes, et toujours isopliones '! Xous remeri;ions :.\I. Psichari de son article qui n'aura pas été, croyons•nous, inutile; mais nous ne pouYons nous empêcher de regretter le ton poli de sa discertation : par une bordée do gros mots et quelques insinuations diffamatoires (c'est trop demander peut-ètre d'un homme bien (,JeYé)i ! lui eut été pom tant si facile de con- :-;acrer<lé!inith·emont notre incertain aYcnir. F1H:-.-c1s YrnLJ::-ÔlUFFJ~ (1) Entretiens politiques el littéraires, l" ::llars 1890.• BibliotecaGino Bianco

POURLAGUERRE Il faut la guerre. 11la faut immédiate, acharnée, définiti\·e. Elle est int'luctablc, préparée depuis vingt ans par l'entretien <les troupes et la surcharge J.es impôts. Les gens de compétence s·accordent pour affirmer la nleur de nos armements, el l'Allemagne ne cache point qu'elle redoute raction parallèle de la Russie, action d'autant plus sûre que des intérêts génér_auxd'équilibre la commandent, non des tl'aités t>quivoques signés pour l'urgence d'un moment et selon la lubie passagère des diplomates. ll faut la guerre parce qu'il importe de sortir de la sittrntion sinistre et stupide où étouffe l'Europe. Le souci d'équ ipct· et d'abrutir la jennesse clans les giou rmes réglementaires exige des millions indispensables it rœune de rénoYation sociale: et il est idiot de dépenser cet argent pour apprendre, d'ailleurs fort mal, le m(,tier de honrreau aux citoyens, alors qu'.'t chaque heure des hommes crèvent de misè•re ou se suicident pour hftter du moins une fin irrémédiable. Si la guerre esl faite sérieusement, une nation l'emportera une fois pour toutes; et le désarmement général sera par clic imposé aux alliances hostiles. Les millards huùgétaires, au lieu de payer des shakos et des brnndebourgs, serYiront it rmgêcher les gens de momir aux foss(•s des grandes routes, lorsque fùge les rend impropres il un travail de douze ou quinze heures par jour dans des ateliers méphitiques. En outre, et c·esl la plus grande espérance, le peuple rninqueur qui se trouYera en arme aYec munitions et bagages, le peuple qui possédera la Force aura BibliotecaGino Bianco

- :22 - sans doute alors, l'énergie de l'ut.iliser pour s'affranchir de l'oligarchie bourgeoise et Stlcouer le joug tyrannique de l' Argent. Car, lorsqu'un homme de volonté propose aux prolétaires d'aoiir, on énumère aussitôt les impossibilités matér·ielles, e manque de moyens et d'organisation. Au cas où les marchands qui nous goll\·ernent se jugeraient contraints, malgré leur énorme couardise, de mobiliser pour défendre la propriété et les avantages des échanges commerciaux,l'ohjection qui arrête l'élan révolutionnaire tomberait immédiatement. Le peuple en armes n'aurnit plus qu'à dicter la Loi. La seule chance de réussil' une ré\'olution, c·est donc la guene. Voilà pourquoi il importe de défendre contre quiconque l'attaque, l'idée laPatrie. La patrie d'ailleurs, n'est pas seulement le territoire; c'est surtout la Race. Quand, pendant quelque dix siècles, des hommes liés par des intérêt::; de horde ont ensemble souffert, travaillé, aimé, combattu et pensé, une soli<larité s'est faite entre tous, consolidée de génération en générntion. De grands mouvements politique_s les animent; <les ambitions spéciales les séduisent, des préjugés et des vertus particulières lent· sont venus; et sïl fallait, du jour au lendemain, à la suite de la défaite, subir la politique, les ambitions, l'intolérance différentes d'une autre race, ce ser~it un extrême supplice moral, je ne dis pas dans les campagnes (le rustre s·accommode facilement de n'importe quel joug), mais dans les cités où Yeillent l'intelligence et la force spirituelle. Certes, le monde ne pourra se croire hors l'état de barbarie avant qu'ait disparu le dernier soldat. Tant que la force demetu·cr,t une manière admissible de régler les conflits civiques ou internationaux, l'ère de la ciYili-,ation ne sera pas ouverte. Si certains naïfs aiment dire que la morale et les sentiments d'humanité progressent, il leur suffira de lire les comptes rendus des expériences coloniales pour ~e défaire de cette opinion simple mais vaniteuse. Nos pror,édés de conquête 110 le cèdent en rien aux cruautés traditionnelles des monarchies antiques. Mais tant que les défenseurs des Pouvoirs seront les BibliotecaGinoBianco

- 23 - trafiquants et les soldats nous ne saurions espérer sortir de la barbarie. Les premiers lutteront toujours pour la concurrence; ils s'efforceront de se ruiner par des tarifs do douane, de s'appauvrir les uns les autres, et cet état je conflit pécunin.ire finira toujours par devenir un conflit armé. Quant aux soldats, la guerre est,pour eux un sport et un motif de fortune. Le désn.rmement se réalisera dès que le Peuple _lui-même tiendra la Force. Le peuple comospolite et socialiste aspire it la paix parce qu'il n'estime pas que la saignée des guerres soit un remêde moral pour supprimer l'affluence des bras laborieux, et la surproduction d'un pays! Mais il n'obtiendra la Force qu'avec les armes; et ·pour qu'on rarme, il faut la guerre. . Aussi semble-t-elle très mauvaise la stratégie de la politique révolutionnaire, qui livre, dès maintenant l'assaut cont1·e les préjugés militaiœs et patriotiques. C'est presque se priver de l'unique chance d'affranchissement. La .l◄'rnnce avant toutes les nations, promulgue les idées contraires au militarisme. Elles y prennent rapidement et franchement une haute importance sociale. Nous voilit le premier peuple capable de propager ou d'imposer le •désarme!nent uni verse!. Même d'ici à qnelques années, la théorie humanitaire aura fait un progrès si grand qu'elle aura absorbé en soi presque toutes les émotions politiques ordinaires. La France se divisera en adversaires et partisans du militarisme. Qu'il advienne brusquement un conflit :irmé contre la quadruple alliance; si jamais, la Yictoire nous était donnée, le désarmement général serait la conséquence immédiate de notre triomphe, parce qu'avant tout autre condition de paix future, l'opinion publique exigerait cette garantie. Le désarmement et l'union douanière européenne deviendront bientôt les deux grandes idées à soutenir dans l'ordre pratique. Sans soldats et sans douanes, sans militarisme et sans système de protection, l'ar~ent sera près de perdre tout prestige et toute efficacité.Lère de l'économie collective s'inaugurera. Notre vœu actuel, à nous autres révolutionnaires, doit être la guenequand même et le militarisme quand même, parce qu'il nous faut la victoire pour imposer au monde ces deux idées mères, la justice nouvelle. Et r1u'on ne se Biblioteca Gino Bianco

- 211hasarde pas à soup~onner la Yictoire impossible. Si avec un armement défectueux, un nombre très restreint de défenseurs, et des généraux abêtis par des riYalités de cour, nous avons pu retarder sept mois le triomJ:'he définitif del' Allemagne, ce n'est point une affirmation folle de prétendre que nous puissions aujourd'hui avec l'armement supérieur et le nombre égal, dominer le sort. Ceci seul nous peut inquiéter que des vieillards cacochymes et Y::ilétnclniai res dirigeant encore les marches des armées. L'esprit du temps YeuLque le vieillard règne et clomioe. On ne parvlent aux postes d'initiative et de vigueur qu'au moment où le sang commence à se fige1·dans les veines et les idées à Yaciller ,jans le cerveau sénile. Des sexagénaires chamarrés guideront les troupes. Dieu Yeuille qu'une influenza propice nous débarasse à la Yeille de la guene, de tous les grognards qui ont dépassé la cinquantaine. On n·accomplit de grandes choses, il y a un siècle, qu'avec des capitaines âgés de vingt à trente ans. Mais la valeur dn peuple-soldat ne saurait-elle suppléèr à l'abrutissement des chefs? Il ne s'agit pas ici seulement de l'Alsace-Lorraine et de la H.ernnche; la nécessité s'impose de réduire à l'.impuissance la race germanique, dont les allures hostiles contraignent ;\ l'esclavage régimentaire les européens, et enrayent ainsi les aspirations altruistes. Le socialisme r~commandé par les Bebel et les Liebnecht n'est pas extrêmement supérieur aux idées de :\<I.Clémenceau et de M. l◄'loquet; et ils erreraient fort, ceux qui. toute idée dP. patrie à part, voudraient YOir clans ces prophètes d'outre-Rhin les promoteurs de l'arnnir rhé. Rien ne peut Yenir de l'Est qui ne soit néfaste. L'état de guerre subsistera entre l'Allemagne et nous tant que les forces demeureront ,'d'une et à l'autre nation. C'est là une nécessité géographique et ethnographique. . Il convient de croire encore un siècle ou deux à la Patrie. Ensuite, nos fils supprimeront cette entité temporaire, qui caractérise une période barbare de l'érnlution des sociétés. Quand l'idée d'altruisme sera plus puissante que l'idée d'égoïsme les frontières s'effaceront d'elles-mêmes. En attendant., et afin que la révolution naisse qui nous BibliotecaGino Bianco

\ - 2-5délivrera, faisons tous nos efforts pour pl'éparer la guerre, pour combattre, pour vaincre. Libre au peuple, le lendemain, de remarquer qu'il n'est qu'un officier sur cinquante hommes et de profiter de la Force en armes pour établir son Droit. PAUL ADA~[ Biblioteca Gino Bianco

L'ENCYCLIQUE La Curie romaine, bien que vierge jusqu'à présent de toute connaissance économique, a donné le jour récemment à un factum sur la condition des ouniers qui affiche des prétentions sal ,·atrices. Et déjà les monarques del' Europe se sont mis en route pour clépMer l'encens et la myrrhe clans le berceau d'où vient d'issir la nouYelle parole de vie. Nous ne ferions pas un crime au Souverain Pontife de la médiocre familiarité où il semble vivre avec les faits écono!~1iques. 1ous sommes disposés à reconnaître que des lèvres incompétentes pe11ventêtre des lèvres inspirées. Et nous inclinons à croire que lit vérité sociale, si elle venait à être formulée, sortirait de la bouche d'un petit enfant plutôt que de celle de :\II. Paul Leroy-Beaulieu. Mai8 ce dont nous arnns sujet de nous étonner et de n:)us plaindre, c'est de·rnir que Léon Xll[, si peu soucieux des faits, a subi une si profonde initiation aux plus vieux sophismes de l'économie bourgeoise et de la science matérialiste. Nous lui faisons un grief de l'esprit froidement positif et rationaliste qui lni a dicté ces trente pages rapides. Et quand il s'agit de la question la plus sérieuse de notre temps; de celle qui va jeter l'une sur l'autre dans une mêlée sanglante les cieux moitiés dont notre société est faite, les propriétaires et les prolétaires, nous éprouvons une légitime surprise de voir celui qui pal'le au nom du Christ se croiser les bras et faire l'éloge du statu quo, c'est-à-dire de l'injustice latente d'où sortiront fatalement les violences ouvertes de demain. Quand on dispose d'une source de connaissance surnaBiblioteca Gino Bianco

\ - 27 - turelle, comme esl le dogme chrétien, qu·on en est l'interprèle infaillible et reconnu comme tel par fü,s centaines de millions cl'hommes,on doit pouvoir faire mieux que de constate1· l'état de choses existant, de dire qu'il est déplorable, mais que la nature l'a fait ainsi, et que la 1-ciison démontre qn·on n'en peut sortir. Que nous venez-vous pa1-Ie'rde la nal'ure, vous qui êtes le délégué sur la terre d'un ordre surnaturel? Que nous wut votre 1·aison, puisque c·est une parole de foi que nous attendions de vous. Je le vois bien: Vous citez Thomas d'Aquin au bas de vos pages. Mais de la scolnslique vous n'avez gardé que l'aristolélisme rationaliste. Dans le Saint, Yous n·avez vu qne le païen. En réalité, ce ne sont pas les docteurs du xme siècle, ·ce sont les philosophes du xnn'- que vous devriez citer. Ce que vous nous deviez, c'est la déduction théologique dt-Jla misère et de l'opulence. Vous deviez nous montrer .comment la famine de ceux qni travaillent et le luxe des oisifs sont la preuve quïl y a un Dieu. Yous nons deviez l'exposé des raisonssupra-sensiblesqui font que Rothschild a él!"· dan:; les nies de l'Eternel. Nous attendions de vous la tévélation du crime mystérieux que nons expions par un laborieux opprobre, et des mérites, non moins inintel- .ligibles pour nous, qui ont valu à Rothschild tontes les bénédictions temporelles. Ou bien, si cet état de choseS' est injuste, vous nous deYiez le mot des répara lions futures. Il n'y a qu·une chose qne vous n·eussiez pas le droit de nous dire, et qui est précisément ht seule que vous nous ayez dite. Vous n'aviez pas le droit de nous dire: « Tout cela est nalurel, et Dieu même est impuissant contre la nature. Toutefois, vous ayez tort de croire que la nature est cruelle, elle n'est qu'incli/Iérente. La même terre, nourricière aux uns, est marâtre aux au Ires; et le même soleil qui fait YiHe tels êtres, à telsautres donnelamort. » Car, ô Saint Père, cela, nous le savions. Bastiat et M. Paul Leroy-Beaulieu nous l'aYaient déjà dit, et nous éprouvions tous les jours que toutes les moissons de la tene, étant accumulées dans un petit nombre de greniers qui ne nous appartiennent pas, ne nous empêchent pas de mourir de faim. :vrais ce que nous voulions savoir, c'est ce que pense l'Etemel de Bastiat, de M. Paul Leroy-Beaulieu et des BibliotecaGinoBianco

- 28 - accapareurs. Nous nous plaignons de ce que vons ne Yous soyez pas prononcé; de ce que Yous n'ayez eu le courage ni de la bénédiction ni de l'anathème. Les paroles mêmes de la consolation chrétienne, ô pontife incrédule, expirent sur vos lèvres. Vous nous dites bien que nous sommes immortels, mais vous invoquez la raison pour le prouver (p. 21). La raison? Médiocre autorité pour inviter à c1·oi1e ceux à qui leur prédestination au malheur fait paraître irrationnel le monde entier. Dites-nous plutôt pourquoi nous avons été condamnés à vivre dans un monde qui ne vit lui-même que de notre mort et de la succion perpétuelle de la moëlle de nos os et de la substance de nos âmes. Vous nous nJfi1·mez,que la propriété est un droit naturel (p. 6 et 8), parce que l'homme est doué de 1·aison; parce que, différent en cela des animaux, il prévoit ses besoins futur;:; et qu'il use dès lors légitimement des moyens _qui lui paraissent les plus propres ,·l assurer son avenir. Or, rien ne l'assure mieux sans cloute qu'une bonne pro• priété dont la rente échoit à périodes fixes. Mais nous autres, sommes-nous donc des brutes que nous n'ayons le droit de rien posséder? Et pourquoi, si la propriété seule assUL·eune existence digne d'un être raisonnable, nous défendez-vous de la prendre lit où elle est, c'est-à-dire dans la poche des capitalistes? Je vous entends. Vous n:ius pt·èchez d'être sages; d'économiser sur notre salnire; et avec le pécule amassé à la longue d'acheter un petit champ que nous cultiverons nous-mêmes et dont nous vivrons jusqu'à la fin de nos jour:;. Et vous affirmez gravement que c'est là l'origine de toute propriété. 0 pontife facétieux, pourquoi pousser la plaisanteriej usque-là? pourquoi écrire l'histoire comme un économiste? Hothschild a-t-il jamais économisé sur son salaire? a-t-il jamais cultivé unpetitchamp? Autant dire que vous ~agnez le denier de saint Pierre, en bêchnnt YOtre jardin du vatican. Oui, il est bien vrai que le capital Yient de l'épargne, et même de l'épargne faite sur le salaire : mais c'est sur le salaire dù aux autres, et non sur Je salaire qu'on reçoit f!UC se font les économies qui enrichissent. Oui, le bourgeois pratique une merveilleuse abstinence, l'abstinence BibliotecaGino Bianco /

totale du bon droit et de la justice : c'est pourquoi il s'emichit, et c'est pourquoi il ne nous reste rien dans les poches, après qu'il nous les a vidées au jour le jour. Son épargne se compose de toutes les épargnes qu'il nous a empêchés tle faire, et son gros ventre augmente avec notre famine. Mais ù quoi bon insister sur ce qui crèYeles yeux et sur ce dont vous convenez vous-mêmes? Car vous avoue,,; que le bourgeois ne voit dans l'ounie1: qu'une machine (p. 19, 37); et qu'il paie cette machine au plus bas prix qu'il peut, mais que l'ouvrier est obligé de se vendre à vil prix pont· ne pas mourir de faim. Pourquoi clone vous moque1· de nous? pourquoi nous dire d'épargner quand Yous savez que notre salaire ne suffit pas toujours 1 nous vêtir et à nous nourrir? (p. 4.3,4.5). Bien que l'on essaie de nous faire vivre comme des brutes, nous voyons encore assez clair pour nou,; apercevoir que, sons le régime de la propriélé indi dcluelle, chacun n'est si préroyant pour lui-même qu'à la condition d'être entièrement imprévoyant du sot't des autres; et que même il ne pratique sérieusement cette prévoyance individuelle, dont vous faites l'éloge, qu'en empiétant sur le lot d'autrui. C'est pourquoi pour tous ceux que la vie et le travail ont usé, nous voulons une vieilles5e tranquille au lieu de la mort ignob1e dans un bouge que le capital réserve à tout homme qui n'est plus la bête de somme vigoureuse dont il puisse tirer profit; pour tous ceux qui naissent à la vie et au travail, une éducation virile, qui les y rende propres; et pour tous ceux qui créent la richesse le produit intégral de leur labeur. Et s'il nous faut, pour réaliser cette répartition équitable l'ensemble de toutes les ressources que le travail social a amassées, mais que notrefaiblesse et notre aveuglement ont réunies entre les inains d'un petit nombre, qu'est-ce là autre chose que de sortir de la tradition pour entrer dans le droit? Et n'est-ce pas être plus prévoyant que la raison bourgeoi:;e, et plus chrétien que votre dogme? Vous ajoutez que le capital et le travail se supposent. Et nous n'en disconvenons pas. Mais quel inconvénient Yoyez-vous à ce que le capital nous appartienne à tous collectivement, au lieu d'appartenir à quelques-uns? Et le capital bourgeois se soucie-t-il beaucoup du travail, BibliotecaGino Bianco

~- 30 - lorsque pour gagner davantage, il ferme les usines ponc aller spécnler à la Bourse? Personne n·est plus soucieux que nous de garder intact le capital. Mais cela empêche-til qu'il ne soit juste de supprimer les capitalistes? li est impossible, objectez-vous, que tous soient au .même ni veau, « car contre la nature tous les ef!o1·ts sont vains; c'est elle en effet qui a disposé parmi les hommes des différences aussi multiples que profondes : différences d'intelligence, de talent, d·habileté, de santé, de force; différences n(·cessaires d·où nait spontanément l'inégalité des conditions. Cette inégalité d'ailleurs tourne au profit de tons, de la société comme des indiYidus: cat' la Yie sociale requiert un organisme très varié, et des fonctions fort diverses; et ce qui porte précisément les hommes à se partager ces fonctions, c'est seulement la différence de leurs conclitions respectives (p. 17). » Saint Père, déjà Malthus, Herbert Spencer et Schaeffle nous · avaient appris que l'Etat est un organisme; et déjit aussi que la sélection naturelle et le str·uggle for li{e y sont la loi. i\fais aucun de ces philosophes matérialistes n'avait été aussi struggle for li(e·f' que vous ne l'êtes, ô vicaire de .Jésus-Christ. Aucun n'arnit osé dire que la nature résiste absolument à l'effort humain. ns la tenaient pour une matière malléable, sur laquelle les mains de l'homme ont pl'ise. Ils estimaient, imbus qu'ils étaient encore d'un vain idéalisme, que l'art peut corriger la sélection fortuite opérée par la nature; qu'on peut faire naitre le talent en des cen·elles où, sans culture, il n'aurait pas germé; que toute habileté peut s'acquérir, et toute .force physique se dé,·elopper. Et quant à nous, qui ne lisons g11èreSpe11ceert Scbaeftle, nous nous demandons si même c'est là le uai problème. Car, en quoi Rothschild a t-il jamais fait preuYe de plus d·esprit que moi, par exemple, qui le critique en ce moment? Ou, si sa richesse est proportionnelle à son intelligence, pourquoi n'occupe-t-il point la plus haute dignité spirituelle qui soit au monde, et pourquoi n'est-il point pape? · Yous nous exhortez à la patience chrétienne. Vous nous assurez que le travail, loin d'être un déshonneur, n'est que le symbole des souffrances de Jésus-Christ. Pourquoi donc; y a-t-il tant de riches (pü croiraient se clésBibliotecaGinoBianco /2

- 31 - honorer en trarnillant? et pourquoi Rothschild se refose-til à imiter Jésus-Christ? \. ous concluez que, si la société requiert des conditions inégales, cette inégalité mème tourne au profit de tous. Et assurément la société ne pourrait pas Yivre décemment s'il n'y aYait des décrotteurs pour cirer les bottes. ~fais ne serai t-il point juste que ces besognes si nécessaires fussent réparties entre plus de gens? Et y aurait-il moindre profit pour la société si :VI. de Rothschild, au lieu de faire citer ses boUes par son décrotteur, au contraire les lui cirait quelquefois, à peu près comme vous lavez vous-même, Saint-Père, les pieds de douze pauvres une fois l'an. ·Vous avez si bien lu les économistes bourgeois, que Yous leur avez emprnnté même l'imprudent aYeu qnc fit un jour le candide Adam Smith, lorsqu'il dit que le trarnil de l'ouvrier est la source de toute richesse. Vous convene;,;, Saint-Père, qu'il en est vraiment ainsi (p. 35); et vous consentez qu'il nous reYienne un peu de cette richesse que nous créons !out entière. Pourquoi donc nous refuser le seul moyen qui nous reste de défendre le salaire de ce traYail dont tout le monde vit grassement, excepté nous-mêmes ? Vous arme;,; le bras séculier contre nos grèves, vous glorifiez le militarisme (p. 35); Yous placez les hommes « qui administrent les choses de la guerre )> au nombre de ceux; qui « doivent avoir la prééminence dans toute société, et y tenir le premier rang. » · Ceux-là, dites-vous, << traYaillent directement au bien commun et d'une manière excellente, tandis que les hommes qui s'appliquent aux choses de l'industrie n'y peuvent concom·ir dans la même mesure. >> Croyez-vous tlonc, Saint-Père, que nous puissions jamais tenir pom· une parole divine une doctrine qui reconnait plus d'utilité à ceux qui tuent qu'à ceux qui font vivre? Ou, si c'est là une inspiration surnaturelle, s'il est vrai que l'essence dernière de la croyance catholique soit le dogme de_la force et le sang versé du misérable, aYouez-le franchement; bénissez ouvertement, comme fit un jour votre prédécesseur, les fusils d'invention nouYelle. Vous aurez rassuré beaucoup d'âmes inquiètes de bourgeois très croyants. Et quant à nous, nous saurons que nous n'avons pas-à compter, pour notré laborieuse œuvre d'émancipation, sur le concours d'un Dieu bourgeois qui nous hait et qui nous dégoùte. THÉODORE RA::s-DAL BibliotecaGino Bianco

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