revue historique et critique Jes faits et Jes idées bimestrielle - JUILLET-AOUT 1967 B. SOUVARINE . . . . . . . . . . .. LÉON EMERY ............ . MICHEL COLLINET ...... . Vol. XI, N° 4 Défaite soviéto-arabe Le socialisn1e de Charles Péguy Une doctrine centenaire DÉBATS ET RECHERCHES YVES LÉVY .............. . K. PAPAIOANNOU ....... . Totalitarisme et religion Marx et la politique internationale (Il) DOCUMENTS Sous la terreur communiste. La « justice » en Tchécoslovaquie QUELQUES LIVRES Comptes rendus par PIERRE PASCAL, YVES LÉVY LUCIEN LAURAT, MICHEL COLLINET INSTITUT D'HISTOIRE SOCIALE, PARIS .Biblioteca Gino Bianco .
- Au sommaire .. . . des derniers numéros du CONTRAT S.OCIAL NOV.-DÉC. 1966 · B. Souvarine la troisième guerre mondiale Léon Emery Le communisme et la culture Thomas Molnar De r utopie et des utopistes S. Voronitsyne Le conflit de la science et du « diamat » Claude Harmel Planification. · démocratie, despotisme Chronique De l'Oural à l'Atlantique L'Observatoire des deux Mondes Contre-révolution culturelle en Chine Tables des volumes I à X MARS-AVRIL 1967 B. Souvarine Cinquante ans après David Anine 1917 : de Février à Octobre Jacques de Kadt · Chez Trotski : controverse et déception Sidney Hook Le deuxième avènement de Marx N. Valentinov Le « marxisme » soviétique Karl A. Wittfogel Lin Piao et les « gardes rouges» G. Krotkov Confession d'un juif soviétique Documents Lénine contre Mao JAN.-FÉV. 1967 B. Souvarine Un « Temps des Troubles» en Chine John Dos Passos La « nouvelle gauche » en Amérique Joaquin Maurin Sur le communisme en Espagne Richard Pipes Pierre Struve et la révolution russe Lucien Laurat Libéralisme et « libéralisation » E. Delimars Le « héros positif» en U.R.S.S. Chalmers Johnson L'armée dans la société chinoise Yves Lévy Charisme et chaos MAI-JUIN 1967 B. Souvarine La fille de Staline Le meurtre de Nadièjda Allilouieva Jacques de Kadt Chez Simone Weil: rupture avec Trotski Lucien Laurat Le « Capital», 1867-1967 K. Papaioannou Marx et la politique internationale Keith Bush Le nouveau plan quinquennal en U.R.S.S. Boris Schwarz Vicissitudes de la musique soviétique , Documents Le « J'accuse » de Soljénitsyne Ces numéros sont en vente à l'administration de la revue 199. boulevard Saint-Germain, Paris 7e Le numéro : 4 F .Biblioteca Gino Bianco
JUILLET-AOUT 1967 - VOL. XI, N° 4 B. Souvarine ........ . Léon Emery ........ . Michel Colli net . . . . . . Débats et recherches Yves Lévy ......... . K. Papaioannou Documents SOMMAIRE DÉFAITE SOVIÉTO-ARABE .............. . LE SOCIALISME DE CHARLES PÉGUY .. . UNE DOCTRINE CENTENAIRE TOTALITARISME ET RELIGION .......... . MARX ET LA POLITIQUE INTERNATIONALE (Il) Page 195 203 207 211 219 SOUS LA TERREUR COMMUNISTE. LA « JUSTICE » EN TCHÉCOSLOVAQUIE 231 Quelques livres Pierre Pascal , ..... . DIVERSES ŒUVRES, DE LÉON CHESTOV (3 vol.) . . 245 Yves Lévy ......... . BIBLIOGRAPHIE DU SAINT-SIMONISME, de JEAN WALCH. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249 Lucien Laurat ...... . BEYOND MARX/SM : THE FAITH AND WORKS OF HENDRIK DE MAN, de PETER DODGE. . . . . . . . . 257 Michel Collinet ..... . MtCANISME DU, POUVOIR EN AMtRIQUE LATINE, de LUIS MERCIER VEGA. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259 POUVOIR ET SOCltTt DANS LE PtROU CONTEMPORAIN, de FRANÇOIS BOURRICAUD. . . . . . . . . . 261 Livres reçus .Biblioteca Gino Bianco
DERNIERS O·UVRAGES DE NOS COLLABORATEURS Maxime Leroy : Histoire des idées sociales en France T. I. - De Montesquieu à Robespierre T. Il. - D~ Babeuf à Tocqueville T. Ill. - D'Auguste Comte à Proudhon Paris, Librairie ·Gallimard. 1946-1950-1954. Léon Emery Cul_tureesthétique et monde moderne Les Chansons de Victor Hugo Claudel Villeurbanne, Les Cahiers libres, 240, cours Emile-Zola. Raymond Aron : Les Étapes de la pensée sociologique Paris, Librairie Gallimard. 1967. Théodore Ruyssen : Les Sources doctrinales de l'internationalisme T. I. - Des origines à la paix de Westphalie T. Il. - De la paix de Westphalie à la Révolution française T. Ill. - De la Révolution française au milieu du X/Xe siècle Paris, Presses universitaires de France. 1954-1958-1961. Lucien Laurat : Problèmes actuels du socialisme Paris, Les lies d'or. 1957. Michel Collinet : Du bolchévisme ~VOLUTION ET VARIATIONS DU MARXISME-L~NINISME Paris, Le Livre contemporain~ 1957. Kostas Papaioannou : Hegel PR~SENTAaTION, CHOIX DE TEXTES Paris, l:ditions Seghers. 1962. Les Marxistes : Marx et Engel~. La social-démocratie. Le communisme. Paris, l:ditions J'ai lu. 1966. Hegel LA RAISON DANS L'HISTOIRE Paris, Union générale d'éditions. 1965; Biblioteca Gino Bianco
revue ltistorÎtJUeet critique JeJ faits et Je1 iJée1 Juillet-Août 1967 Vol. XI, N° 4 DÉFAITE SOVIÉTO-ARABE par B. Souvarine POINT N'ÉTAIT BESOIN d'être prophète pour s'attendre à une nouvelle guerre au Proche-Orient, tandis que politiciens et diplomates occidentaux se berçaient de fables sur une fallacieuse « détente » internationale et sur une prétendue « coexistence pacifique ». Dans la présente revue, et sans remonter plus haut que l'année dernière, l'article Mipaix, mi-guerre (n° 2 de 1966) disait entre autres : « Le sang coule en abondance et sans cesse au Proche-Orient depuis que Moscou prodigue des armes aux clans et aux cliques arabes. L'Egypte envahit le Yémen, intervient en Syrie, menace l'Arabie et harcèle Israël par la seule vertu de ses armements soviétiques. L'Algérie économiquement faible déploie (contre qui ? ) un militarisme insolent grâce aux chars et aux avions de même origine. En Ethiopie, en Somalie, en maints pays africains primitifs, Moscou envoie de quoi mettre à feu et à sang de vastes contrées jadis très calmes, comme en Birmanie, au Cambodge et autres pays asiatiques naguère paisibles. Inutile de rappeler comment Cuba est devenu un arsenal au titre de la coexistence pacifique. » Notre article sur la Troisième guerre mondiale ( n ° 6 de 1966) concluait en ces termes : « Il semble probable qu'à défaut de guerre au Vietnam, les états-majors communistes en feront surgir une autre ailleurs, ne serait-ce qu'au Proche-Orient où elle sévit déjà, limitée. au Yémen, non sans l'appui de Moscou à Nasser, et où s'accumule en Egypte, en Syrie, en Iraq, en Somalie, un formidable arsenal d'armements soviétiques ... Il faut pourtant re~arder la réalité en face et comprendre que le programme communiste, à Moscou comme à Pékin, est Biblioteca Gino Bianco une déclaration de guerre au monde libre tout entier, non aux seuls Etats-Unis, guerre sui generis, sporadique, sur le fond habituel d'inlassables hostilités politiques, et dont les péripéties ne cesseront de surprendre les dupes incorrigibles de la coexistence pacifique inventée par Staline. » L'article Polémiques sur le Vietnam (n° 1 de 196 7) insistait encore : « Il faut être aveugle et sourd pour ne pas voir et entendre que la Russie soviétique prépare au Proche-Orient la guerre suivante. Aux deux extrémités de la mer Rouge, tant en Egypte qu'en Somalie, les armements s'accumulent, d'origine soviétique, ainsi qu'en Syrie plus au nord, en Algérie plus à l'ouest. Une guerre fait rage au Yémen, aussi exécrable qu'au Vietnam, et l'agression égyptienne contre les frères arabes n'est pas moins caractérisée que celle des Nord-Vietnamiens contre leurs frères du Sud, ni plus imaginable sans l'aide matérielle soviétique. Les « intellectuels » qui se dénomment de gauche donnent la mesure de leur sincérité en gardant un silence complice sur les atrocités commises par Nasser au Yémen et sur les préparatifs de guerre contre l'Etat d'Israël. Sans doute sontils trop occupés à diversifier et à multiplier leurs manœuvres cousues de fil écarlate au service de l'impérialisme communiste. » Encore dans notre dernier Contrat social, quelques jours avant la troisième guerre chaude des Arabes contre Israël, il nous fallait démontrer (à propos du Vietnam) que l'Union soviétique et « tous les régimes communistes ont intérêt à une défaite américaine » ainsi que « ceux de leurs alliés, ceux de Nasser, de Boumediene et de leurs pareils ». Et que rien n'empêche les successeurs de Staline « d'alimenter
196 les fronts de la guerre brûlante au Viet_nam et au Yémen, d'attiser les foyers de terrorisme en Amérique -latine, tout en prépar~nt de nouvelles conflagrations au Proche-Orient et autour de la mer Rouge, comme le prou:7~~t les accumulations énormes d'armements sov1et1ques entre l'Afrique du Nord et le golfe Persique ». Après cet article écrit avant _le branle:bas de combat général au Proche-Orient, on aJO:tJtait in extremis : « Les complices et successeurs de Staline poursuivent leurs desseins belliqueux de toutes sortes : guerre froide, c'est-à~dire guerres sociales et guerres civiles partout dans le monde sous divers camouflages, et guerres intensément brûlantes là où s'offrent des chances, au Vietnam après la Corée, au Yémen d'autre part, en Terre sainte d'un jour à l'autre. Cela s'appelle coexistence pacifique. Depuis des années, Allemands hitlériens et Russes soviétiques travaillent en commun au Caire pour continuer le g~nocide commencé par Hitler et Staline. Il est notoire que Nasser n'existe que par _la grâce de Moscou, entouré de conseillers et d'experts nazis et communistes. Tout est donc prêt pour servir aux manœuvres de la politique extérieure soviétique. » * * * LE RAPPELde ces textes (abrégés) était doublement nécessaire. Ils prouvent d'abord, rattachés à notre constante argumentation qui réfute les mensonges des uns et les illusions des autres sur la pseudo-détente et la fausse coexistence pacifique, qu'on peut lire dans le jeu de l'ennemi à condition de raisonner sur les faits et de passer outre aux paroles endormantes. La guerre prévisible a eu lieu, le seul doute portant sur l'occasion et la date. Ensuite les textes cités montrent que la définition du nationalisme panarabe en tant que variante du national-socialisme hitlérien n'a rien d'abusif ni de passionnel. Il y .a réellement au Caire conjonction de trois national-socialismes : allemand, soviétique et soi-disant arabe. Les nuances ou différences qu'on y discerne entre eux · n'importent guère. alors que ces trois formes du nazisme s'apparentent et s'acoquinent pour accomplir leur œuvre commune de génocide. A l'appui de ce qui précède, les attestations sérieuses abondent, mais on ne citera ici que celle de Raymond Millet, observateur impartial et analyste scrupuleux qui décrivait le régime actuel de l'Egypt_e comme « type hi tléro-soviético-nas·sérien, assaisonné de fanatisme du genre Frère musulman ». Il caractérisait Nasser en ces termes : « -Frère musulman à l'origine, BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL pénétré- d'admiration pour les méthodes hitlériennes et pour le communisme stalinien, entouré d'instructeurs et de policiers allemands ex-nazis, puis de conseillers venus de l'Union soviétique, il acceptera toujours l'argent américain, mais agira d'autant plus dans un sens russe et communisant que la seule catégorie de citoyens sur laquelle il puisse maintenant s'appuyer, le petit peuple des villes, est désormais entièrement acquis à l'Union soviétique et au communisme. Du reste, ces pauvres gens ne savent absolument pas ce qu'il faut entendre par là : ils imaginent !'U.R.S.S. comme le paradis sur terre » (cf. « Nasser et ses alliés », in Evidences, Paris, novembre 1956). Cet article vieux de dix ans reste plus --actuel que jamais. On pourrait rassembler quantité d'appréciations semblables, de quoi composer un volume. Entre Hitler et Nasser, les analogies sont si frappantes qu'elles ont frappé bon nombre de gens qu'aucune arrière-pensée de dénigrement n'anime, a fortiori de gens qui éprouvent une insurmontable répulsion envers de· tels démagogues, menteurs et braillards, charlatans aptes à faire fortune politique en excitant les plus bas instincts de la populace. Le panarabisme de l'un calque le pangermanisme de l'autre. La· « nation arabe » de l'Atlantique au golfe Persique, englobant une douzaine d'Etats hostiles entre eux et davantage encore de cultes et de sectes disparates, n'a pas plus de réalité que la nation germanique englobant les Flandres et la Hollande, l'Alsace et la Suisse, l'Autriche et les pays Baltes. La bafouilleuse et stupide Philosophie de la révolution est une triste réplique arabesque du fuligineux et inepte Mein Kampf, le surpassant même dans le genre illisible. Nasser excelle particulièrement par l'usage qu'il pratique de l'aphorisme hitlérien : « Plus le mensonge est gros, plus il a chance de prendre. » Il se fait passer pour Arabe alors que ceux qui l'approchent le voient plus ou moins soudanais mâtiné de copte. Il déguise l'Egypte en « République arabe unie » bien qu'elle ne soit ni arabe ni unie, et que les divers champions de !'arabisme ne pensent qu'à, et ne font que s'entre-tuer. Il pose au triomphateur après avoir. essuyé les pires désastres. Tout au long de sa carrière de Führer, on ne ce~se d'enregistrer ses énormes mensonges et l'on relève maints traits de ressemblance psychique .avec Hitler, l'intention judéicide n'étant pas la moindre. Le -mythe de la « nation arabe » n'est ·pas même une notion arabe. Ses inventeurs furent d'abord des · intellectuels européens, universi-
B. SOUVARINE taires et littérateurs, entichés de gloses arabisantes et d'exégèses islamiques. Il fallut l'impérialisme britannique, les entreprises de la British Agency du Caire, de l'Indian Political Service de Delhi, du Foreign Office et du Colonial Office, secondés par !'Intelligence Service, pour monter de toutes pièces une « Ligue arabe » aussi bruyante que nocive, bientôt foyer d'âpres discordes interarabes. Favorisée par des complaisances françaises, profiteuse ensuite de la généreuse incompétence américaine, cette Ligue vite infiltrée d'influences communistes ne tarda pas à se faire l'instrument de l'impérialisme soviétique, un instrument dont le prix coûteux augmente à mesure de la surenchère chinoise. Le Contrat social, depuis dix ans, a fait justice des mythes, des légendes et des mensonges qui nourrissent ~ la fiction de la « nation arabe » et de son expression conquérante, le panarabisme*. ,,,. * * UNE DES PLUS remarquables réussites de l'entreprise panarabe fut d'ériger l'Egypte en pays pseudo-arabe, voire en République arabe unie. Jamais ce pays ne s'était regardé comme arabe au cours de son histoire millénaire. Au début de notre siècle, les recensements n'y tenaient pour arabes que 60.000 âmes de tribus transhumantes. Les Egyptiens proprement dits, imbus de leur passé prestigieux, toisaient de haut les Arabes. Leur arabisadon relative est de date récente, tandis que l'islamisation découle surtout de la domination turque. « Aussi extraordinaire que cette affirmation puisse paraître (écrivait M. Henri Dupriez dans Communautés et Continents, n° 12, octobre 1961), l'Egypte, pays arabisé, n'est pas un pays arabe. Les fellahs sont des l-Iamites ; c'est de loin l'élément le plus important de la population ... Mais paradoxalement la volonté d'un dictateur a fait de l'Egypte le socle du panarabisme révolutionnaire. » M. Vincent Monteil, auteur arabophile * Cf. A. Horon : Le panarabisme (n° 3 de 1957) ; J. Carmichael : L'Islam et le monde arabe (n° 4 de 1957); A. Horon : Les Arabes depuis l'Islam (n° 3 de 1958); A. Horon : Les Arabes, par Vincent Monteil (n° 2 de 1959); W. Laqueur : Le panarabisme et /'U.R.S.S. (n° 5 de 1959); J. Carmichael: Le national-communisme arabe (n° 6 de 1959) ; Chronique: La Ligue arabe (n° 2 de 1962) ; H. Haddad: L'Evolution de l'Islam, par R. Charles (n° 3 de 1962) ; A. Horon: A Lonely_Minority: the Modern Story of Egypt's Copts, par E. Wakin (n° 4 de 1694). Biblioteca Gino Bianco 197 patenté, reconnaît dans son livre sur Les Arabes : « L'Egypte est ethniquement copte (il n'y a que 6 % d'Arabes) et les fellahs de la vallée du Nil ressemblent souvent aux statues des Pharaons. » Auparavant, il avait noté : « Les Etats du Levant ne sont pas arabes. Le fonds de la population est nabatéen ou chaldéen en Iraq, araméen ou syriaque en SyrieLiban. » Et ensuite il constate : « De la Libye au Maroc, enfin, le Maghreb est berbère. » Bref, puisque racisme il y a, il ne reste guère que l'Arabie pour être arabe. Le savant chanoine égyptologue Etienne Drioton n'a pu se contenir, en 19 5 6, devant les sottises que débitent à l'envi la presse et la radio dans leur ensemble, et il a donné aux Nouvelles littéraires (11 octobre 1956) un article intitulé : « L'Egypte, première victime des Arabes », où l'on peut lire notamment : « Les anciens Egyptiens étaient parfaitement conscients de leur supériorité sur tous ces barbares ainsi que de la différence raciale qui les séparait ( ...). Le langage courant ne les mentionnait pas sans accoler à leur nom le qualificatif infamant de vil, à la façon d'une épithète homérique ( ...). Il est impossible de reconnaître dans les grandes réalisations politiques, sociales et culturelles de l'ancienne Egypte une manifestation quelconque de !'arabisme. Ce serait aller contre l'évidence. » Rien ni personne ne retient pourtant les imposteurs actuels du Caire de s'enorgueillir des Pyramides, sans plus de titres à cet égard qu'au sujet du canal de Suez, œuvre d'initiative et de réalisation françaises, cependant que leurs congénères de Bagdad et de Damas exercent un insolent chantage au pétrole, richesse naturelle fabuleuse dont ils sont redevables entièrement aux techniques occidentales, et dont les Arabes n'ont jamais été capables d'extraire ou de raffiner une seule goutte. Nul en Europe ne les a jugés aussi sévèrement que leur « frère » arabe-musulman, le roitelet de Jordanie qui (26 mai 1957) dénonçait le panarabisme en ces termes : « Le véritable nationalisme n'est pas l'allié du communisme, ennemi de toutes les religions divines ( ...). Le président Nasser, en se vendant à Moscou, a trahi la cause des Arabes. » Un numéro entier de la présente revue ne suffirait pas à relater les luttes intestines sordides de la Ligue arabe, dont le premier Secrétaire général, Abdel Rahman Azzam, ne se gênait pas de déclarer en 1950 : « Nous sommes d'abord Egyptiens, puis Arabes, et en troisième lieu musulmans... » Le 20 juillet 1961, le repré-
198 sentant de l'Iraq tenait à la Ligue arabe ce langage : « La Ligue est vendue aux impérialistes, son Secrétaire général se donne comme une fille de joie au plus offrant ( ...). Votre ligue n'est qu'une association de malfaiteurs et son Secrétaire général est l'esclave de la République arabe unie ... » Ainsi parlaient des Arabes plus arabes que N~sser à propos de cette Ligue qui a édité une fausse version du Talmud tirée à millions d'exemplaires pour faire croire que cet ouvrage prescrit de tuer tous les· non-Juifs afin de trouver place au paradis (sic), et qui, de concert avec le gouvernement égyptien, a organisé une série de conférences sur le thème : « Les Juifs, ennemis du genre humain » ( re-sic) pour accuser iceux de boire le sang des musulmans et de combattre le dieu de l'Islam ( ...qui est le même pour les trois religions issues des mêmes Ecritures). On voit que les tout premiers, ce sont des Arabes, ou des Egyptiens, ou d'autres mahométans déguisés en Arabes qui, comme tant d'Européens et d'Américains incultes, emploient indistinctement des vocables distincts pour vouer les Israéliens aux gémonies. Politiciens, diplomates, journalistes et commentateurs de tout poil font écho dans le monde entier, de sorte que le public ne sait ce qu'il faut entendre par Juifs (qui la plupart ne sont pas sionistes), par Sionistes (qui souvent ne sont plus juifs), par ceux-ci ou ceux-là qui ne sont pas Israéliens, par les sémites antisémites et autres notions obscurcies avec le temps, confondues dans de fausses équivalences, substituées l'une à l'autre comme pour mieux embrouiller les choses. Les mêmes Arabes ou soi-disant tels qui affirment n'avoir rien contre les Juifs et ne s'en prendre qu'aux Sionistes ne parlent que d'exterminer tous les Juifs sans exception, buveurs de sang islamique. Dans tous les pays membres de la Ligue arabe, ils ont persécuté les Juifs inoffensifs qui n'étaient pas sionistes puisque décidés à demeurer dans leur pays natal, ils les ont dépouillés de tout et chassés à jamais, les rendant pour ainsi dire sionistes malgré eux. A part cela, ils n'ont rien contre les Juifs, leurs frères ou cousins en « sémitisme », disent-ils chaque fois que le sort des armes leur est défavorable. Quand ils parlent des Sionistes, dénomination des pionniers agricoles du retour à Sion, ces faux ou vrais Arabes font semblant de méconnaître que la grande majorité de la population actuelle en Israël a dépassé depuis belle lurette l'étape du sionisme. Ils se proclament sémites autant que les futures victimes dont ils se promettent l'hécatombe alors que sémite Bibli_otecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL n'est qu'une étiquette de classification linguistique sans connotation raciale, d'ailleurs approximative et discutable ; et qu'entre des origines très diverses, les Juifs d'extraction. plus ou moins sémitique douteuse sont le moindre nombre (ceux de provenance russe, pàr exemple, étant surtout de souche turque). D'autre part, sans songer à mal, on appelle couramment Juifs des gens qui n'ont plus rien de commun avec le judaïsme, car ils ne tiennent aucun compte des 613 commandements de la Tora, ce· qui met en cause la pauvreté du vocabulaire (sauf si l'on professe une théorie raciste). Pour sortir de tant d'équivoques, ambiguïtés et malentendus, il semble raisonnable de ne pas remonter trop haut dans le temps et d'éviter, en considérant les faits récents, les mots qui ont changé de sens, quitte à les dater dans cer·tains contextes. Disons pour clarifier les idées que l'actuel Etat d'Israël, ou Etat hébreu par la langue et l'inspiration traditionnelle, est aux prises depuis sa fondation non pas avec les Arabes, mais avec l'impérialisme agressif dénommé panarabisme, lequel ne prend de proportions dangereuses que par son alliance avec l'impérialisme soviétique qui lui fournit un formidable armement moderne, des instructeurs pour enseigner à s'en servir, outre un appareil expérimenté dé propagande sans précédent et sans rival. * * * DEv ANT la confusion cacophonique universelle qui incite des ignorants de toutes sortes, intellectuels de gauche, cuistres de droite, sermonneurs bénévoles, sans parler des menteurs professionnels, à s'épancher en vaines controverses pour décider si un petit peuple menacé d'extermination a le droit de se défendre, ou à envoyer sur ce chapitre des lettres ineptes au Monde et au Times de New York, on ne saurait omettre de relever brièvement les affirmations- aussi doctes que saugrenues selon lesquelles le Capital de Marx et le Coran de Mohammed étant incompatibles, les pays musulmans seraient immunisés contre le communisme ; ni celles qui prouvent en sens contraire que précisément le Coran s'accorde au mieux avec le Capital. Etant donné le cas que les stalinides font du Capital dont ils n'ont pas lu une page, cependant que les champions du panarabisme se soucient du Coran comme un poisson d'une pomme, il n'y a qu'à renvoyer dos à dos les radoteurs des deux bords. Citons notre collaborateur J. Carmichael : « Toute discussion du caractère prétendument irréconciliable de l'Islam et du communisme est oiseuse pour la bonne raison ·qu'une société en
B. SOUVARINE voie de transformation ne peut que choisir impitoyablement ce dont elle a besoin pour sa rénovation sociale, quitte à trouver à son choix une justification » ( Contrat social, n ° 6 de 1959 : « Le national-communisme arabe » ). Les vitupérations soviéto-arabes contre l'impérialisme et le colonialisme trouvent dans la presse vulgaire de « l'Occident pourri » de retentissants échos que de rares publications à faible tirage ne peuvent compenser. Les EtatsUnis, particulièrement visés par l'animadversion déchaînée des profiteurs ingrats de l'aide américaine, se laissent outrager et provoquer sans réagir. Des hordes de pauvres hères chauffés à blanc par les trublions du panarabisme et les agents du communisme lapident les ambassades, saccagent les consulats, pillent et incendient les bibliothèques où flottait le drapeau étoilé dans des pays comblés de dollars, nourris de blé d'Amérique. A Washington, cependant, les organes. qualifiés délibèrent sur le surcroît de secours alimentaire à leur octroyer. Or aucun impérialisme américain ne s'était jamais manifesté entre le Nil et !'Euphrate, régions qui n'ont subi pendant des siècles que la domination turque, donc musulmane. Les seuls Américains aperçus dans ces parages n'avaient été que des archéologues et des missionnaires. Mais « plus le mensonge est gros, plus il a chance de prendre ». Entre les deux guerres mondiales, la France et la Grande-Bretagne ont exercé sur des parties du Proche-Orient un « mandat » qui n'a duré qu'un quart de siècle. Parler d'impérialisme et de colonialisme à propos du mandat français sur la Syrie et le Liban n'est possible que par abus de langage. En revanche, le mandat britannique se rattachait à quelque impérialisme en déclin, à une survivance de la politique relative à la « route des Indes » dont il ne subsiste presque rien de nos jours, mais ce mandat s'est exercé touiours en faveur des Arabes, notamment des Hachémites, et même contre Israël. L'Angleterre ne cesse d'ailleurs pas de soutenir les exorbitantes prétentions panarabes. Quant aux exploitations pétrolières, elles résultent de concessions et d'accords bénéfiques d'abord pour les pays incapables de les concevoir et réaliser ; les profits qu'en tirent les compagnies qui ont prospecté, pris les risques, investi les capitaux et introduit la technique n'ont guère de rapports avec l'impérialisme et le colonialisme, si les mots ont un sens. « Si l'on veut parler d'impérialisme et de colonialisme, il faudrait d'abord ne pas oublier que, depuis ses débuts au vu' siècle jusqu'à Biblioteca Gino Bianco 199 ces derniers temps, l'Islam fut la plus vaste entreprise de domination et de colonisation que le monde ait connue », écrivait le R.P. Riquet, de la Société de Jésus, dans le Figaro du 30 août 1956, et ensuite : « Vingt ans après la mort de Mahomet, la chevauchée guerrière de ses premiers partisans avait déjà conquis par les armes, au-delà de l'Arabie, la Palestine, la Syrie, la Perse et l'Egypte. Bientôt, en 678, elle commencerait d'assiéger dans Constantinople les empereurs chrétiens. Puis galopant d'un bout à l'autre de l'Afrique alors chrétienne et depuis des siècles, asservissant les Coptes d'Egypte comme les Berbères de la Kabylie et de l'Atlas, submergeant la catholique Espagne, elle fonce jusqu'à Poitiers ... » Là elle se heurte au front de ceux que le chroniqueur appelle les Européens : « Mais il faudra près de sept siècles d'efforts et de combats pour libérer entièrement l'Espagne du colonialisme musulman et de l'impérialisme des khalifes. » Le R.P. Riquet poursuivait en décrivant les conquêtes 1nusulmanes en Orient jusqu'à Samarkand et à l'Indus, puis au cœur de l'Europe jusqu'au Danube après la chute de Constantinople. Certains détails sont contestables, mais passons, pour ne plus retenir que ce passage : « Or ce régime, colonialiste s'il en fut, a été prolongé par les puissances islamiques non seulement à travers le Moyen Age, mais jusqu'à l'écroulement, en 1918, de l'Empire ottoman ... » Les bravaches du panarabisme ne veulent pas de ces souvenirs, mais en tant qu'Egyptiens ce sont eux qui revendiquent des droits d'ancienneté immémoriaux, lesquels tendent à remonter au déluge. Parlons-en. On ne conteste pas que les pharaons de la XVIIIe dynastie et leurs successeurs aient envahi la Syrie et Canaan et la Mésopotamie jusqu'à !'Euphrate. Les Arabes n'ont absolument rien à y voir : ils n'existaient pas à haute époque. Mais auparavant les xve et XVIe dynasties pharaoniques avaient été celles de conquérants hébreux que Manéthon, cité par Flavius Josèphe, désigne sous le no1n d'llyksos. Cela eut lieu aux 17c et 16e siècles avant notre ère. Ne vaut-il pas mieux s'en tenir à l'histoire la plus contemporaine? Renan, répondant à David Strauss qui affirmait un droit germanique sur l'Alsace, lui opposait l'antériorité des Celtes, avant lesquels il y eut les Lapons, les hommes des cavernes et enfin les orangs-outangs : « Avec cette philosophie de l'histoire, il n'y aura de légitime dans le monde que le droit des orangs-outangs, injustement dépossédés par la perfidie des civilisés » (Nouvelle lettre à M. Strauss, 15 sep-
200 tembre 1871). A présent Nasser fait valoir quelque chose comme le droit des orangsoutangs avec son panarabisme pseudo-racial, copie médiocre · du pangermanisme de Hitler. Faute de temps à perdre et pour des raisons pratiques évidentes, on se bornera 1c1 aux événements qui ont créé la situation dont la toute récente guerre panarabe contre Israël est la péripétie majeure. Le point de départ sera donc l'écroulement de l'Empire ottoman, entraîné en 1918 dans la débâcle des Empires centraux comme conséq1=1enced'une alliance malheureuse. * * * LES TERRITOIRESLIBÉRÉS des Turcs au Levant présentaient le tableau d'une mosaïque de minorités ethniques et confessionnelles dont la coexistence, en bonne logique, s'imposait sous forme d'une confédération tolérante et souple, profitable à tous et nécessaire à l'instauration d'une paix durable entre ses membres. Les puissances victorieuses en 1918 ne surent pas la concevoir, encore moins la réaliser. Il y avait là, du nord au sud, des Alaouites, des Maronites, des Druzes, des Arabes chiites, des Arabes sunnites, quelque peu de Kurdes et de Tcherkesses, des Juifs, et enfin des Sionistes d'origine européenne dont le nombre augmentera fortement avec les campagnes judéophobes du national-socialisme, puis avec les persécutions du 3e Reich. On ne refera pas ici l'historique du découpage de la région en Etats distincts, des « mandats » de la France sur la Syrie et le Liban, de l'Angleterre sur la Palestine et de sa tutelle sur les deux royaumes hachémites de sa création, Iraq et Transjordanie. Là n'est plus la question puisque l'afflux de réfugiés d'Europe_centrale et orientale devait créer plus tard une situation nouvelle, certes non préméditée, imprévisible. Tout a été dit sur la déclaration Balfour et son ambiguïté, sur le « home national » du peuple juif, sur les conflits qui s'ensuivirent. Mais l'affaire n'était pas aussi simple que les polémiques actuelles ne le laissent entendre. Le Bulletin de Paris a eu raison de rappeler que le gouvernement britannique à l'époque voulut « prévenir une manœuvre analogue de l'Allemagne impériale. Le 31 décembre 1917, Talaat Pacha avait déclaré à la Vossische Zeitung qu'il était prêt à offrir aux Sionistes allemands des droits d'immigration en Palestine avec gouvernement -local autonome. En juillet 1918, le gouvernement allemand était convenu avec le gouvernement ottoman d'une combinaison du. même genre. » La victoire des Alliés Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL fit que les Sionistes se tournèrent vers Londres dont les promesses se croisaient avec celles déjà faites par l'Angleterre à Hussein, chérif de La Mecque, père de Fayçal, futur roi d'Iraq, et d'Abdullah, futur roi de Transjordanie. A ce rappel très succinct manque toutefois le rôle de la « Légion juive » de V. Jabotinski, envers laquelle l'Angleterre avait aussi des ·obligations. Bien des problèmes ultérieurs insolubles autrement que par la force sont ainsi dus à l'empirisme autant qu'à l'impérialisme des Britanniques, plus complaisants aux Arabes qu'aux Sionistes, ce qui n'épargne pas à la « perfide Albion » les accusations mensongères et les vociférations rageuses de Nasser et consorts. Quoi qu'il en soit, aucune nation ne s'est formée selon un plan préétabli et l'Etat hébreu ne fait ·pas exception à la règle. Il lui a fallu combattre pour survivre, dans les étroites limites de la configuration absurde tracée par les Nations Unies, digne continuatrice de la Société des Nations dont elle partagera le sort. En 1948, des détachements de volontaires à peine armés ont battu les forces arabes qui se proposaient d'anéan~ir la population_ juive. En 1956, l'armée israélienne a vaincu l'armée égyptienne, en profitant de l'expédition francoanglaise de Suez menée par des incapables. E~ 1967, l'Etat hébreu livré à lui-même, san~ allié ni soutien, a mis en déroute trois armées arabes dix fois supérieures en nombre et munies d'un énorme matériel de guerre moderne fourni, en plus des instructeurs, par l'Union soviétique. La nature des relations de Moscou avec Le Caire, Damas, Bagdad et Alger ne laisse aucun doute sur la responsabilité majeure du pouvoir stalino-pogromiste dans cette triste aventure. Il n'en sera commenté ici que certains aspects politiques et leur expression dans l'abasourdissante propagande soviéto-arabe qui, sans contrepartie, submerge la planète. Depuîs vingt ans, les chefs arabes proclament leur intention et leur volonté de supprimer l'Etat d'Israël, de le rayer de la carte et, expressément, d'en exterminer les habitants jusqu'au dernier, y compris les enfants. Un numéro entier de notre revue ne suffirait pas à reproduire ces promesses répétées de génocide. Encore le 1er juin dernier, le Führer de l' armée « de Jibération palestinienne », Choukeiri, déclarait « possible et même très vraisemblable que l'armée de .libération et les forces jordaniennes tirent le premier coup de feu qui déclencherait une guerre au Moyen-Orient. Ce sera nous ou Israël, a-t-il dit. Il n'y a pas de moyen terme ... » Et il a conclu qu'en cas de conflit « il ne resterait pratiquement pas de
B. SOUVARINE survivants juifs » (Monde du 2 juin). Dans ces conditions, et alors que de formidables préparatifs d'agression s'étalaient au grand jour, - que les Israéliens aient « tiré les premiers » cinq minutes avant les trois armées ennemies massées aux frontières, on est en droit de les en approuver, n'en déplaise aux épigones d'Hitler et de Staline qui, après avoir raté un carnage sans merci, n'ont pas honte de se montrer pleurnichant à travers le monde. Treize pays arabes ou musulmans se sont solidarisés pour attaquer l'Etat lilliputien hébreu. L'Union soviétique et, sous sa houlette, six autres pays soumis aux communistes, y compris la Yougoslavie, leur ont promis leur concours. L'Inde et le Pakistan ont pris position en leur faveur. La Chine a annoncé l' appui de ses 750 millions (sic) de sujets. La France officielle enfin s'est rangée à leurs côtés, le pays légal affichant son mépris total pour le pays réel. Il n'a sans doute pas existé d'exemple ·d'une pareille .coalition contre un objectif aussi minuscule. Les Etats-Unis et l' Angleterre, mis en cause mensongèrement par les sous-Gœbbels * du panarabisme, n'ont en réalité pas dit un mot, pas fait un geste, en faveur de la victime promise aux · exterminateurs. L'Angleterre, de façon oblique et hypocrite, a même pris parti contre le présumé plus faible. Dans l'alternative de vaincre ou de mourir, Israël s'est défendu seul. Cela nous induit à rappeler, comme dans notre Observateur des Deux Mondes du 1er octobre 1948, ces lignes d'André Suarès : « Je dirai la grandeur des petites nations. Elles seules sont à l'échelle de l'homme. Les gros empires ne sont qu'à l'échelle de l'espèce. Les petites nations ont créé la cité, la morale et l'individu. Les gros empires n'en ont même pas conçu la loi nécessaire et la dignité. Aux empires, la quantité ; la qualité aux petites nations. » Et aussi André Gide qui, à Beyrouth, concluait ainsi une conférence en * Le 14 août 1954, un éditorial du Monde intitulé « Nasser-Janus » se terminait ainsi : « Qui faut-il croire : le calme et lucide bikbachi qui entend mener à bien le relèvement de son pays ou le sous-Gœbbels de service dans les locaux de la radio égyptienne ? » Alors le Monde n'était pas encore assez « orienté » au double sens du terme. Mais on voit que le nom de Gœbbels, comme celui d'Hitler, venait naturellement sous la plume d'un analyste « non aligné ». On lisait dans le Corriere della Sera, de Milan, le 28 mai dernier : « Le monde occidental a été lent à comprendre cet individu [Nasser], ses ambitions, sa politique. C'est un petit Hitler. Non par coïncidence, il s'entoure d'une phalange de criminels nazis auxquels il confie les tâches délicates ou criminelles : espionnage, propagande, organisation d'assassinats ... D'autres nazis travaillent à la fabrication de projectiles, peut- ~tre à l'assemblage d'engins nucléaires tactiques... » Biblioteca Gino Bianco 201 1947 : « Je crois à la vertu des petits nombres, je crois à la vertu des petits peuples, le monde sera sauvé par quelques-uns. » * * * EN ÜCCIDENT, les arabisants, les arabophiles, les arabolâtres, les zélateurs du panarabisme et les scribes stalino-pogromistes font grand cas de I' « âme arabe » et de la « fraternité musulmane ». En fait, tous les pays arabes coalisés pour annihiler Israël sont, de coups d'Etat en coups d'Etat, aux mains de cliques militaires qui passent le plus clair de leur temps à s'entretuer ou à se protéger des assassinats que leurs « frères » complotent. La liste des attentats et des crimes perpétrés depuis seulement dix ans dans les hautes sphères de Bagdad, de Damas, d'Amman et ailleurs au nom de la fraternité musulmane tiendrait ici trop de place. Les « Frères musulmans » organisés en parti ne s'occupent guère que de meurtres et, quand ils se font pincer, c'est à leur tour de périr en prison sous les tortures. Une anthologie des plaintes et protestations au sujet des militants communistes ou supposés tels suppliciés par Nasser donnerait, mieux que certaine littérature, quelque idée de l'âme arabe. Après l'explosion du 29 août 1960 à Amman, qui tua au ministère des Affaires étrangères dix personnes, entre autres le premier ministre, et à laquelle Hussein échappa de justesse, le roitelet traita Nasser de « valet rouge au service du communisme ». Le rescapé ne s'entendit pas moins avec son assassin pour placer l'armée jordanienne sous commandement égyptien dans l'espoir de participer au massacre et au butin en Israël. Perdant principal dans la déconfiture de l'entreprise, il ne compte pas sur l'âme arabe pour sauver ses meubles, mais sur l'âme anglo-américaine. Sa meilleure chance serait pourtant de conclure une vraie paix avec Israël. La paix n'est pas en vue au Proche-Orient, et ailleurs non plus, car pour les communistes de l'école stalinienne et pour leurs satellites, la pseudo-coexistence pacifique n'est que la continuation perfide de la guerre par d'autres moyens. Il s'en faut que l'alliance du communisme et du panarabisme ait épuisé ses immenses ressources : dès le lendemain de la défaite soviéto-arabe, il apparut qu'Israël se retrouvait seul pour résister à des ennemis sans foi ni loi résolus à décupler leurs assauts sur le plan poli tique afin de gagner la partie perdue sur le plan militaire, et sans renoncer pour autant à une nouvelle agression à la prochaine conjoncture favorable. Ayant investi des sommes fabuleuses dans le panarabisme ( environ
202 4 milliards de dollars) et armé jusqu'aux dents l'aile marchante de l'Islam, puis éprouvé une lourde défaite en commun avec ses alliés médiocres, ·les « sans scrupules conscients » de Moscou n'ont pas perdu un jour pour les réarmer de nouveau, les convaincre de n'avoir perdu qu'une bataille, mais non pas la guerre. L'institution malfaisante des Nations Unies leur sert de terrain propice aux plus odieuses manœuvres. Là, personne ne se lève pour dénoncer les tueries de Kurdes par l'Iraq, les tueries de Yéménites par l'Egypte, au nom de la fraternité musulmane : les victimes kurdes et yéménites seraient-elles de quelconques Sionistes ? Mais il est permis aux nazis soviétoarabes d'occuper impunément la tribune pour vomir le poison de leurs diatribes et le fiel de leurs impostures. Jusques à quand? La vérité exige de constater qu'en s'abstenant de marcher sur Le Caire, sur Damas et sur Amman, pour déférer à la décision des Nations Unies sur le « cessez le feu », Israël a épargné le panarabisme et, de ce fait, se condamne à vivre dangereusement sur le pied de guerre. Or l'état de guerre entre le Nil et !~Euphrate découle de l'hostilité militante non des Arabes en général, mais du panarabisme en particulier. Et les Nations Unies où sévissent le mensonge, les intrigues, les lâches complaisances en échange d'intérêts sordides se prêtent au jeu répugnant des trublions soviétoarabes et de leurs complices. Le Contrat social n'est que trop justifié d'avoir plusieurs fois mis en lumière le caractère nuisible de cette organisation destinée en principe à assurer la paix et la sécurité dans le monde, mais qui favorise en pratique les menées belliqueuses et subversives des impérialismes soviétique et panarabe*. · De même que les zélateurs de l'Islam s'aco- * Cf. dans notre revue en 1961 : Les Nations Unies en question (n° 2); Le sort des Nations Unies (n° 3) ; Nations Unies, faux problème (n° 4). BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL quinent .sans vergogne avec les communistes · qui ont persécuté sans pitié les musulmans de Crimée, du Turkestan et du Caucase, le Vatican multiplie les avances aux sectateurs de Staline et de Mohammed. Il n'y a pourtant· pas si longtemps que paraissait au Caire La Revanche de l'Isla1n ( 1960), où l'on peut lire dans un discours de Nasser célébrant la défaite de Saint Louis à Mansourah : « L'acier [du Croissant] a toujours brisé le bois [ de la Croix]... Le Croissant a traîné la Croix dans la boue ... Jurons tous que le Croissant profilera son ombre glorieuse et sacrée sur le monde... » A la lumière des torches, le ministre égyptien de l'Education, Kamal el Dine Hussain, déclamait le même jour : « Ces torches illumineront les routes que parcourra la grande armée islamique pour venger les centaines de milliers (sic) de victimes des Croisades. Seule une chevauchée musulmane pourra nous rendre notre gloire de jadis. Mais celle-ci ne sera réalisée que lorsque les cavaliers de Dieu auront piétiné l'église Saint-Pierre de Rome et la cathédrale Notre-Dame de Paris... » Façon de parler ? Peut-être, mais façon de penser, d'abord, et façon d'agir, ensuite, si l'on n'y prend garde. Ladite « chevauchée musulmane » a buté sur un obstacle : Israël, à qui l'âme arabe de ses voisins dénie le droit d'exister. Mais une fois de plus le chantage à la guerre mondiale est remis en œuvre par les communistes et leurs suiveurs pour en imposer à l'humanité civilisée. Depuis vingt ans, nous avons réfuté le sens de cette menace, mais si l'on tolère contre l'Etat hébreu l'emploi d'armes atomiques, fussent-elles « tactiques », un démenti final sera donné à la parole deux fois millénaire de !'Ecclésiaste selon laquelle il y a un temps pour tout en ce bas monde, un temps pour tuer et un temps pour guérir, un temps pour pleurer et un temps pour rire, un temps pour la guerre et un temps pour la paix. B. Souv ARINE. ,
LE SOCIALISME DE CHARLES PÉGUY par Léon Etnery EN 1964, cinquante ans après la mort de Charles Péguy sur le champ de bataille de la Marne, s'est tenu à Orléans un important colloque dont on possède maintenant le compte rendu intégral et qui fut marqué par diverses communications d'un vif intérêt. Comme il était aisé de le prévoir, la première journée du colloque fut consacrée au thème de la fidélité dans l'œuvre de Péguy, donc notamment de cette fidélité qu'il prétendit constamment avoir gardée au socialisme de sa jeunesse, alors même que, selon des apparences qui semblaient à beaucoup des évidences, il s'en était détaché au bénéfice du nationalisme français et de la religion catholique. Si nous revenons sur cette question, que certains jugeront peut-être minime et peu actuelle, ce n'est pas pour apporter une contribution quelconque à la biographie morale du poète ; c'est parce qu'elle permet de poser, à partir d'une expérience sincère et profonde, le problème des rapports entre le marxisme et un socialisme qu'on dit volontiers archaïque ou utopique. * * * TouT LE MONDE sait qu'un jeune normalien de la fin du XIXe siècle ne pouvait échapper à l'influence de Lucien Herr, érudit universel et grand docteur ès sciences marxistes ; Péguy résista d'autant moins qu'il avait les meilleures raisons du monde de se sentir fils du peuple et plébéien très authentique en même temps qu'il était comme tant d'autres un intellectuel avide de vérité comme de justice. Sa place était donc marquée en cette phalange socialiste qui se recrutait dans les grandes écoles parisiennes plus que dans les masses ouvrières et Biblioteca Gino Bianco que déjà dominait Jaurès, lui-même de forma tion professorale et tout imprégné de philosophie allemande. A vrai dire, nul ne sait si Péguy prit jamais le temps de lire Marx avec attention et il est tout à fait possible qu'il l'ait connu seulement de seconde main, mais cela n'a guère d'importance et ne met aucunement en doute la position première du néophyte. Lorsqu'il prend le parti de renoncer à l'enseignement et de créer une maison d'édition, il est bien clair qu'il entend en faire un instrument de propagande au service du seul socialisme qui parût digne d'une entière considération et l'on voit bien que le docte Lucien Herr n'était pas loin. Au reste, parmi les premières publications de la société figurent le Manifeste communiste, présenté par Charle" Andler, et l'Action socialiste de Jaurès où sont rassemblés des essais dont le plus important est une intervention dans un débat entre les dépositaires de la pensée marxiste, entre le réformisme de Bernstein et l'orthodoxie de Kautsky. Voilà qui n'est pas frivole et nous plonge en pleine scolastique. Ce n'est pas tout. On a tellement ironisé au sujet des ignorances de Péguy, tourné vers le passé - d'après certains censeurs - et fort étranger aux réalités de la société moderne, qu'il faut rappeler ici les pages vigoureuses de l'Argent, dont on pourrait aisément extraire une frappante analyse digne d'un sociologue marxiste. Il ne s'agit point cette fois de théorie, mais de la dure leçon des faits ; éditeur et libraire, Péguy s'est définitivement rangé parmi les artisans qui vivent au jour le jour ; typographe et correcteur, il est ouvrier, voué à un métier exigeant et méticuleux. Tout cela qui, même s'il n'écrivait pas une ligne, pèse
204 très lourdement sur lui, lui fait sentir avec irritation et amertume cet étranglement par la puissance de l'argent ou, comme nous dirions aujourd'hui, par la concentration des entreprises, le resserrement des mécanismes bancaires, l'omnipotence de l'argent. Autant dire que Péguy sent agir sur lui le processus de la prolétarisation tel qu'il avait été classiquement défini et, bon élève, retrouve sous sa plume des formules qu'un doctrinaire accueillerait sans nulle . surprise. Mais c'est vêture d'emprunt, qui n'a jamais fait corps avec la personnalité profonde de !'écrivain. La rupture de Péguy avec les socialistes français tient dans une large mesure à des circonstances très connues qu'on peut se borner à rappeler brièvement. Rien de plus familier à ses lecteurs que sa naïve, sa profonde désillusion lorsqu'il vit les combattants de l'affaire Dreyfus, auxquels il avait prêté des mobiles aussi purs, aussi désintéressés que les siens propres, glisser sans vergogne sur la pente qui conduit de la mystique à la politique, s'emparer des places après leur victoire électorale et, qui pis est, s'armer à leur tour pour régner d'un sectarisme injuste et mesquin. Or, parmi les héros de la veille qui faisaient commerce de leur auréole, il fallait bien reconnaître les maîtres du socialisme et Jaurès lui-même. Humain, trop humain ... La situation de l'Europe et la résurgence du nationalisme portent les divergences jusqu'à l'opposition véhémente et douloureuse; Péguy sent de plus en plus sur lui, surtout à partir de 1905, la menace de l'agression allemande et, bien avant d'avoir lu les fameuses analyses d'Andler sur l'évolution de la social-démocratie, il est convaincu que les engagements inclus dans l'internationalisme marxiste ne seront que fumée. Il s'indigne jusqu'à la "fureur de voir Jaurès continuer à défendre le mythe et assimile à la trahison une foi doctrinale dont il se demande jusqu'à quel point elle est encore sincère; la dévotion de naguère est désormais remplacée par la haine la plus brûlante. Rien de plus clair que cette évolution dont la valeur représentative n'est d'ailleurs pas discutable, mais il faut aller jusqu'à son explication la plus profonde, jusqu'à des questions de nature qui la rendirent rapide et complète. Péguy ne s'abuse pas lorsqu'il se vante de sa fidélité ; il est bien vrai qu'il intégra l'essentiel de son socialisme de jeunesse en des opinions politiques de la_maturité _où beaucoup crurent voir total reniement. Mais c'est que l'adhésion première avait découlé d'un malentendu ; il suffit de se reporter au manifeste personnel Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SO 1AL le plus .ingénu, le plus convaincant ou le lus touchant, à la Cité harmonieuse, pour voir: que le socialisme de Péguy n'eut jamais le mo cire rapport d'essence avec celui des docteurs arxistes. D'où il suit que la question est intimement liée à celle de la guerre menée sans trêve contre le parti des intellectuels, d' ù il suit encore que, plus généralement, nous touchons ici au cœur du problème. Il s'agit/ de savoir si le socialisme est un système,· une théorie portant la marque d'intellectuel( ou d'une caste d'intellectuels qui en voudtfaient faire une science et forgent à leur aise les d ·1 b . A 1 concepts ont 1s ont eso1n - meme ou surtout s'ils sont bien à l'écart des réalités concrètes dont ils parlent, - ou bien s'il prend naissance dans la conscience populaire, au ris- · que d'y faire très large place au sentiment et au rêve, de s'y combiner à bien des éléments psychologiques mal définis, et d'y constituer une sorte de religion sociale qu'on sera toujours bien en peine d'enfermer en des dogmes ou en des thèses. C'est sur ce point que l'exemple de Péguy acquiert une importance qui dépasse l'individuel et l'épisodique. * * * PEUT-ÊTRE voyons-nous mieux maintenant, grâce à cet exemple très attachant, que l'opposition de nature entre le socialisme qui se prétend hautainement scientifique et celui qu'on persiste à déclarer utopique en maintenant en vigueur un langage polémique qui aurait besoin au moins de nuances et de distinctions, tient à l'écart entre les niveaux mentaux où ils prennent naissance. Le premier, précisément le marxisme, est le type même de la grande construction intellectuelle par quoi s'exprime la pensée non pas d'une classe mais . d'une caste philosophique à la fois aventureuse et savante ; tout le monde sait ce qu'il doit à Hegel et à Darwin, tout le monde sait que Marx et Engels étaient.. des bourgeois sans contact avec le peuple, avec la vie pratique et le travail manuel, formés par l'Université, les doctrinaires et le journalisme. Il est vrai que le Manifeste, éclatant message prophétique et visionnaire, a tout à fait l'allure d'une révélation li~téraire du romantisme, d'une autre Préface à Cromwell ; il vaticine au nom d'un parti communiste dont le moindre défaut est qu'il n'existe pas. Mais les grandes lignes étant ainsi tracées en une intuition première, analogues à celles d'un Vico, d'un Hegel, d'un Auguste Comte, et d'un style très semblable, l'effort ultérieur, beaucoup plus analytique, se
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