Le Contrat Social - anno XI - n. 4 - lug.-ago. 1967

2S8 La guerre éclate. Le 4 août 1914, le vote des crédits militaires par la social-démocratie est pour lui une déception énorme : l'idéal de son adolescence et de sa jeunesse s'effondre, tant sa foi dans les hommes que sa foi dans la doctrine. Il s'engage et connaît la vie des tranchées. En 1919, nouvelle déception : les vainqueurs se moquent des· quatorze points de Wilson, leurs proclamations démocratiques se révèlent fallacieuses. De Man tourne le dos à l'Europe pour se retremper dans la démocratie aux Etats-Unis, pays qui connaît, précisément à cette époque, un retour offensif de réaction et d'intolérance - troisième et cruelle décep· tion ... Rappelé en Belgique en 1920 par Emile Vandervelde pour y organiser l'Ecole ouvrière supérieure, qui venait d'être créée, il entre bientôt en conflit avec la majorité du P.O.B., laquelle n'admet pas encore une révision du traité de Versailles. Après une longue conversation avec Vandervelde, il décide une fois de plus de reprendre le bâton du pèlerin pour s'installer, vers 1923, en Allemagne. Il y trouve le temps de faire la synthèse de ses nombreuses expériences, toutes négatives. Le marxisme en tant que système doctrinal s'est effondré à ses yeux en août 1914 : la classe ouvrière n'a pas agi comme elle aurait dû agir en vertu de ses intérêts de classe ; son internationalisme n'a pas résisté à la fièvre chauvine ; son prolétariat s'est embourgeoisé ; l' « appareil » des partis ouvriers obéit bien plus aux intérêts des groupes dont chaque organisation locale ou professionnelle a la charge qu'aux intérêts généraux du mouvement. Les préoccupations scientifiques d'H. de Man s'orientent désormais vers les mobiles et les « volitions » des individus et des groupes sociaux, .puisque la conception matérialiste de l'histoire, à ses yeux, s'est avérée un leurre en 1914. La démocratie elle aussi l'a désappointé, mais il persiste à penser que la démocratie sans socialisme est préférable au socialisme sans démocratie. C'est ainsi que paraît en 1926 un ouvrage qui fait sensation : Au-delà du marxisme (le titre de l'original allemand : Zur Psychologie des Sozialismus est plus explicite). Il en ressort nettement que de Man est demeuré socialiste. S'il rejette le marxisme (il dira plus d'une fois, par la suite, que les analyses économiques de Marx lui paraissent pour la plupart fondées), il faut que la lutte pour le socialisme s'inspire d'autres principes, que l'élan socialiste des masses - pas seulement de la classe ouvrière - procède davantage, procède surtout d'impulsions éthiques, morales, idéalistes. De Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Man y voit la seule planche de salut pour un mouvement qui, ayant crû en étendue, s'enlise de plus en plus dans la besogne au jour le jour, au point de perdre en profondeur, en conviction, en idéalisme, ce qu'il a gagné en nombre d'adhérents. Il est significatif que le dernier chapitre de ce livre s'intitule « Credo ». De Man persiste à vouloir le socialisme, contre vents et marées, contre toutès les corvées (qu'il ne juge pourtant pas subalternes) de l'action quotidienne qui tendent à avilir le mouvement socialiste, à le priver de son âme, à la fois dans sa masse et dans ses cadres. De Man rentre définitivement en Belgique au début de 1933. Il a déjà en poche (ou presque) son programme. Celui-ci, devenu Plan du travail et adopté par le congrès du P.0 .B. ~ à la fin de 1933, insuffle un élan nouveau au mouvement désemparé par la crise et paralysé dans son action par le chômage. Certes, la majorité des leaders du P.O.B., sceptiques, ne croient pas à la réalisation du Plan, mais y voient avec satisfaction un excellent « panneauréclame »1 • Empressons-nous d'ajouter que deux hommes d'une intelligence supérieure, Emile Vandervelde et Edouard Anseele (ils nous l'ont dit personnellement), l'accueillirent, malgré certaines réticences, .comme quelque chose qui valait beaucoup mieux qu'un « panneau-réclame » et qui pouvait puissamment contribuer à la rénovation de la doctrine socialiste, à la lumière de tant de faits nouveaux. Un hasard malencontreux fait que la crise, s'aggravant terriblement, force le P.O.B. à entrer dans le gouvernement Van Zeeland dès mars 1935, avant que l'action pour le Plan ait pu porter tous ses fruits et faire du P.0 .B. la force dominante de la coalition. De Man devient ministre dans un cabinet qui n'a accepté qu'une partie du Plan, et non pas ses points essentiels. De Man y voit la faillite de ses idées, de toute l'action qu'il a menée depuis deux· ans ; il n'est pas loin de s'accuser lui-même de trahison. Bien que son action ministérielle s'avère efficace et aboutisse à une très large résorption du chômage, il en conçoit, pour employer les termes de M. Dodge, un tel « désespoir », une telle « amertume », qu'il saisit la premjère occasion pour quitter le gouvernement dès 1938. Certes, les tensions croissantes au sein du P.O.B. ont, elles aussi, pesé sur sa décision : c'est d'abord la question de la non-intervention 1·. Le mot est de Georges Buisson, alors secrétaire de · la C.G.T. française.

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