Le Contrat Social - anno XI - n. 4 - lug.-ago. 1967

QUELQUES LIVRES dans la guerre civile espagnole qui l'oppose à la grande majorité de son parti. Sa lutte en faveur de la neutralité de la Belgique, tandis que la menace hitlérienne se fait toujours plus précise, lui aliène, dans le parti, un grand nombre de ceux qui l'ont suivi jusqu'alors. Il faut ajouter à tout cela, last but not least, son caractère. De Man a toujours été un solitaire, une nature renfermée, incapable de se lier d'amitié avec qui que ce soit. Il avait toutes les qualités requises pour ne pas s'adonner à la politique active : son caractère entier et absolu, imprégné d'idéalisme, lui interdisait de souscrire à des compromis ; son manque de souplesse lui faisait souvent énoncer de ces vérités qui ne sont pas toujours bonnes à dire. Il avait le don de se mettre tout le monde à dos. Il le reconnaîtra d'ailleurs lui-même sur le tard, en 1948, en parlant de son « absolutisme doctrinaire ». Lorsque la guerre éclate, tout en étant président du P.O.B. (Vandervelde était mort en décembre 1938), il est plus isolé que jamais, coupé de l'immense majorité de son parti, qui répudie neutralisme et neutralité. Ses efforts de collaboration dès le lendemain de la débâcle de 1940 lui infligent, au bout de dix-huit mois, de nouvelles et amères déceptions. Demeuré farouchement anticapitaliste, il s'était illusionné sur les mensongères proclamations antiploutocratiques des hitlériens et sur leurs promesses « européennes ». On l'a accusé d'antisémitisme pour avoir écrit que Léon Blum et Otto Bauer devaient leur échec au fait qu'ils manquaient de l'indispensable « contact intuitif » avec leur peuple2 ; cette remarque, plutôt anodine par rapport à ce que Marx avait écrit dans la Question juive, ne s'imposait vraiment pas sous la domination hitlérienne. Pendant la dernière période de sa vie, l'exil fut pour Henri de Man, qui se savait désormais privé de toute perspective d'activité politique, un temps de réflexion salutaire et d'études sereines. Son dernier ouvrage important, L'Ere des masses et le déclin de la civilisation ( 1951 ), est assurément l'un des meilleurs et des plus équilibrés de toute son œuvre. Avec le recul du temps, les erreurs politiques de ce solitaire s'effacent ; ses travaux scientifiques mériteront pendant longtemps encore d'être lus et médités. LUCIENLAURAT. 2. Cette affirmation nous parait absolument fausse pour L~on Blum, mals en partie Ju1tlflée pour Otto Bauer, qui 1'e1t touJour1 senti plus allemand (non point Juif ... ) qu'autrichien. Biblioteca Gino Bianco 2.S9 Pro.blèmes d'Amérique latine Luis MERCIERVEGA : 1vf.écanismedu pouvoir en Amérique latine. Paris 1967, Editions universitaires, 230 pp. Luis MERCIERVEGAest d'origine chilienne. Après avoir été journaliste social en France, il a séjourné de nombreuses années en Amérique latine en « itinérant », ainsi qu'il se nommait, commentant les événements politiques et participant à des séminaires sociologiques. Son livre, d'un riche contenu, est un essai de synthèse des situations communes au continent sud-américain, au-delà de circonstances dont la diversité et l'imprévu décourageraient un observateur européen, habitué à plus de · stabilité et de . . , . cont1nu1te. L. !vlercier ne fait à l'évolution économique que les brèves allusions qu'il juge nécessaires à l'explication du comportement des classes sociales, de leurs luttes pour le pouvoir pris au sens large du terme, et de leurs idéologies, transposées des formules européennes -classiques. Ses exemples, puisés dans l'une ou l'autre des nations latino-américaines, s'éclairent mutuellement : on y trouve, à quelques exceptions près, le même régime foncier hérité du passé colonial, les latifundia entourés de misérables minifundia ; le même exode rural, créateur d'immenses bidonvilles, ceinture lépreuse des capitales sud-américaines ; le même prolétariat tantôt amorphe, tantôt mobilisé derrière quelques candidats au pouvoir politique ; la même classe moyenne pour laquelle la gestion des affaires de l'Etat « en propriété privée », selon la formule de Marx, est le but suprême. Derrière les apparences changeantes et les avatars de la politique quotidienne, le continent possède une profonde unité, conséquence de la colonisation de type hispanique, du mélange - des races, de l'incapacité des classes dirigeantes à créer une civilisation industrielle sans l'apport extérieur, du maintien de vieilles économies agraires, généralement réfractaires à toute rénovation technique. Peut-être pourrait-on résumer cette uni té et son caractère original dans 1, opinion suivante de l'auteur : « La plupart des grandes expériences sociales d'Amérique latine ont créé une nouvelle société à côté de l'ancienne, bien plus qu'elles n'ont détruit cette dernière (p. 83). » On ne trouve pas l'équivalent de la mutation qui, au siècle dernier, fit des Etats-Unis, nation agraire, la puissance industrielle d'aujourd'hui. lnvoquera-t-on ici les thèses de Max Weber sur l'esprit capitaliste du puritanisme militant, opposé à la tradition ca-

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