Entretiens politiques et litteraires - anno II - n. 17 - agosto 1891

- 60 - de fer qui s'assènent de terribles coups d'épée, les douces princesses abandonnées clans la for~t, les beaux inconnus qui cherchent' aventure, le visage caché sous leur c-asque mystérieux et, dans Brocéliande, l'enchanteur trahi par la maurnise fée. Leurs yeux restèrent éblouis des armures et des riches étoffes couleur de soleil lernnt, mais quand ils les tournèrent vers leurs sombres églises où les damnés grimaçaient aux voussures des portes, la peur de l'enfer les ressaisit et sur leurs lèn-es les paroles abondèrent, sans ordre et sans beauté; ils furent comme de tremblants esclaves fugitifs devant un maître impitoyable et YOulurent en vain lui raconter les joies et les surprises de la route, pour qu'il leur pardonn,U, tenté lui-même par l'incantation de leur récit. Ils avaient abordé à des îles plus étranges qu' lEa et bu dans le Graal des philtres pl us enivrnnts que ceux de Kirkè. Revenus .'t la terre natale, ils n'ont pu que balbutier la splendeur et la gloire de leur souvenir et nul d'entre eux ne fut Homère, ni même Ovide. Les vrais barbares, c;esont eux, et toute leur littéture est précisément opposée it la tradition Gréco-Latine. Ils furent surtout étrangers à l'harmonie et à la sérénité; ils ne connurent jamais l'attrait souverain de la proportion : leurs poèmes sont interminables et diffus, hérissés de broussailles, plus inaccessibles que la Belle au bois dormant, ou maigres et étriqués, comme ces Lais de l\Iarie de France qui auraient pu devenir de prodigieuses épopées. Sans doute, aux heures où nous sommes las de la beauté, quelque plaisir pervers nous attire vers ces monstres touchants et douloureux, et nous sommes pris en eux par le charme de l'inachevé. ün désir nous Yient de donner à ces ébauches la forme définitive et notre secrète vanité s'y complaît. M. Maurras pense de même sans doule, mais n'ose dire toute sa pensée; il affecte de considérer Goethe comme un barbare et Chrestien de Troyes comme un civilisé; mais il se trompe et nous trompe par pure bonté d'âme : malgré notre génie, nous ne referons jamais Faust, et rien ne nous interdit de recommencer Lancelot clu Lac, et même c1·e1t1irer un chef-d'œuvre. PIERRE QUILLARD. BibliotecaGinoBianco

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==