Le Contrat Social - anno XI - n. 6 - nov.-dic. 1967

334 tombe en pâmoison devant les jetés battus d'une ballerine moscovite et, du coup, rend un hommage explicite au « marxisme-léninisme ». A fortiori l'exaltation des badauds est-il à son comble devant les parades sur la place Rouge de Moscou, que le cinéma et la télévision nou& prodiguent, les défilés au pas de l'oie, les étalages d'armes modernes et autres manifestations militaristes absentes de tout programme socialiste. Staline était allé jusqu'à inventer des inventeurs pour accaparer leurs mérites imaginaires. Ses successeurs ont renoncé aux excès de ce charlatanisme, mais sans démordre d'un chauvinisme factice qui donne la nausée. Lénine était trop modeste, disant à Gorki : « Chez nous il y a peu de gens intelligents. Nous sommes un peuple de talent, en général, mais d'esprit paresseux. Un Russe intelligent est presque toujours juif ou un individu mêlé de sang iuif 2 • » Mais d'autres de ses propos ne manquent pas de clairvoyance : « Oh, si nous pouvions assurer à tous les techniciens des conditions de travail idéales ! Vingt-cinq ans après, la Russie serait à l'avant-garde du monde. » Content d'avoir obtenu le concours d'un savant, il commenta : « Ainsi, l'un après l'autre, nous ferons passer de notre côté tous les Archimèdes russes et européens ; alors le monde, qu'il le veuille ou non, se retournera ! » Il ne concevait nullement le rapt de Kapitsa, escomptant plutôt des ralliements volontaires comme celui de Pontecorvo, sinon des services rendus en secret par des Klaus Fuchs, Alan May et autres. Surtout ne prévoyait-il pas que des explosions atomiques ou thermonucléaires vaudraient un jour au pouvoir soviétique l'admiration débridée de la bourgeoisie occidentale, voire celle d'un caudillo espagnol. AUCUN DÉCRET de la Providence n'oblige à faire chorus au concert de louanges qui a retenti dans « l'Occident pourri » en hommage aux profiteurs d'Octobre. Car ce sont les privations indicibles et les souffrances infligées aux peuples soumis par les communistes qui ont permis des dépenses fantastiques à des fins militaires ou prestigieuses. Une civilisation véritable n'y trouve pas son 2. Cf. Maxime Gorki : Vladimir Lénine, p. 20, Léningrad 1924. Traduction française : Lénine et le paysan russe, p. 84, Paris 1924. Le premier passe.ge cité a été censuré par Staline et par ses successeurs dans les nombreuses rééditions ultérieures. Les deux suivants sont de la même source. B. Souvarine : Gorki censuré, « Preuves », p. 60, Paris, n° 161, juillet 1964. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL compte. La pseudo - compétition des deux pseudo ·- géants de la politique internationale actuelle n'est qu'un leurre. Les Etats-Unis, tard venus sur la scène du monde après la Russie, n'ont pas eu le temps de produire un Copernic, un Galilée, un Kepler, un Newton ou un Laplace, ils ont construit la première bombe atomique, mais elle résultait des travaux de Becquerel, -de Pierre Curie, de Rutherford, d'Einstein, de Lise Meitner, de Niels Bohr, de Fermi et consorts. Bombe plus cosmopolite qu'américaine, par conséquent, soit dit sans amoindrir les réalisateurs. Les bombes, les satellites et les fusées « russes » ne sont pas moins cos1nopolites, leurs construc• teurs ayant bénéficié non seulement de vastes réseaux d'espionnage, mais d'une coopération scientifique générale et bénévole, en particulier américaine puisque les Américains racontent tout ce qu'ils font et publient tout ce qu'ils savent. 11 ne saurait être question de démontrer en détail l'inanité des enquêtes et bilans que la complaisance « bourgeoise » ajoute à l'autosatisfaction dispendieuse des parvenus jubilaires. Il y faudrait des moyens proportionnés, qui font défaut. A lui seul, le New York Times a publié une série d'articles laudatifs, respectueux ou équivoques composant un in-octavo de 484 pages. A l'en croire, et à en croire ses émules, la Russie serait restée en l'état où elle était en 1917 si les bolchéviks n'avaient pris le pouvoir en Octobre. A considérer les progrès accélérés de la Russie impériale entre la révolution de 1905 et la guerre de 1914, tout prouve au contraire que la Russie républicaine eût progressé à l'instar des autres sociétés industrielles, probablement mieux encore en raison de ses ressources naturelles et humaines exceptionnelles. Qu'il. suffise de rappeler que l'expérience communiste a causé un déficit déinographique de plus de cent millions d'âmes, par rapport aux courbes statistiques les mieux établies par les spécialistes et les moins contestables 3 • Les apologies du système soviéto-tchékiste qui font valoir la ·gratuité ou le bas prix de certains services sociaux rivalisent d'effronterie avec les argu~ents avancés naguère en faveur 3. Cf. L'U.R.S.S. sans visa, p. 16 « B.E.I.P.I. », n° 109, Patis, mai 1954. B. Souvarine : Abomination de la désolation, « Figaro », 23 novembre 1956. P. Barton : Le déficit démographique en U.R.S.S., « Contrat social », vol. III, n° 6, Paris, novembre 1959. B. Souvarine : Le stalinisme, p. 8, « Contrat so• cial », vol. IX, n° 3, Paris, mai 1965.

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