332 · tiré sur le Palais d'Hiver, il « n'eut qu'un rôle décoratif et ne tira qu'un coup à blanc en guise de signal » ( comme nous l'avons écrit dans Le coup d'Octobre et comme en témoignerait, si besoin était, la dernière Encyclopédie soviétique). Quant à la prise du Palais d'Hiver, thème à fastidieuse littérature ampoulée, elle ne fut qu'une péripétie complémentaire tendant à l'arrestation de quelques ministres privés de leurs derniers défenseurs : la capitale était déjà occupée depuis la veille au soir par la garnison insurgée, par des marins et des gardes rouges. C'est dire que la télévision française s'est discréditée une fois de plus en imposant à son audience abusée un film scandaleux d'Eisenstein, mensonger d'un bout à l'autre, sur « Octobre », et un autre film non moins dégoûtant d'un Français agréé à Moscou, film tissé de faits d'armes glorieux, de charges de cavalerie, d'actions héroïques, de chevauchées fantastiques, le tout dans des nuages de fumée, dans ·des tourbillons de poussière (sans parler d'autres exhibitions télévisées sur Raspoutine, sur les réussites de Staline et autres histoires de même farine). Au début de l'année jubilaire, un journa1 parisien à grand tirage célébrait (19 février) la révolution de Février sous un titre énorme : « Il y a 50 ans, le grand soir changeait la face du monde. Le dernier des Romanov abdiquait et le camarade Vladimir Ilitch Oulianov prenait le pouvoir sous le nom de Lénine ». Tel est le niveau actuel de la presse française. Si la rêvolution de Février a pu donner lieu à cette façon d'écrire l'histoire, on ne devait rien espérer de mieux, ni craindre de pire, à la date de l'insurrection d'Octobre. En France, la télévision d'Etat a « passé toute espérance », dans son incapacité de faire la part de l'insurrection et celle de la révolution ultérieure, puis d'en traiter avec un minimum de probité et de compétence. Devant le pullulement d'inventions saugrenues, de contrevérités flagrantes, voire d'impostures caractérisées que ces messieurs ont osé produire pour complaire aux héritiers de Staline, on en fera ici justice en gros, dans l'impossibilité pratique de le faire en détail. LES ANNIVERSAIRES ne prouvent rien ; << les statistiques prouvent presque tout », a écrit pertinemment M. James Billington, professeur à Princeton. En effet il est loisible, sur le papier et sur les écrans, de transformer une faillite avérée comme celle BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL d'Octobre en triomphe apparent, à force de chiffres· dépourvus de sens et d'illustrations mal à propos. Mais il s'agit de savoir quelles furent les promesses de Lénine en 1917 et comment elles ont · été tenues. Or en tout point, sans exception, les bolchéviks prirent le contre-pied de leur programme, la démonstration irréfutable en a maintes fois été faite. Le régime pseudo-soviétique a perdu, pour vivre, toute raison de vivre. Ce qui a vécu, ce qui dure encore, c'est l'antithèse de ce socialisn.'l:edont Lénine annonçait le proche avènement devant le soviet de Pétrograd à la séance historique du 7 novembre. Il existe maintenant un Empire soviétique policier, militariste, oligarchique et despotique dont la puissance terrorise les nations voisines et inquiète sour dement les autres pays, mais ce n'est pas ce que voulaient les insurgés d'Octobre. La révolution de Février avait octroyé aux peuples de l'ancien Empire toutes les libertés politiques, tous les droits civiques. La révolution consécutive aux journées d'Octobre a supprimé toutes les libertés, tous les droits, et jusqu'à la licence de les revendiquer. En Octobre, les soldats, les ouvriers et les paysan:, voulaient la paix : ils ont eu la guerre et l'invasion, puis les guerres civiles, puis la « grande guerre patriotique » (sic) que Staline a mise en branle, de connivence avec Hitler. Les paysans et les soldats (ceux-ci, paysans en capote, pour la plupart) voulaient la terre : le parti communiste a étatisé la terre et réduit les paysans au servage. Les ouvriers voulaient ce que lais·sait espérer la vieille devise du socialisme, « bienêtre et liberté » : ils ont eu la misère, l'oppression, une exploitation de l'homme par l'homme pire que partout ailleurs au monde. Un demi-siècle après Octobre, leurs salaires atteignent à peine, enfin, le niveau approximatif d'avant la guerre de 1914. Lénine avait .promis .l'égalité économique dans le socialisme ; ·Staline a prétendu en 1936 que le socialisme était un fait accompli ; mais les salaires soviétiques v~rient du simple au décuple, certains revenus étant même vingt-cinq fois plus élevés que ceux du plus grand nombre. On nous rebat les oreilles avec l'industrialisation pseudo-socialiste, acceptation implicite du mensonge de Staline, selon lequel la Russie, avant lui, n'était qu'une « place vide ». A la vérité, la Russie prérévolutionnaire s'avérait en pleine croissance économique et en passe de devenir la première puissance industrielle en Europe, ce que Lénine reconnaissait déjà dans son Développement du capitalisme
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