QUELQUES LIVRES veaux Etats à conserver les liens éconon1iques noués entre eux depuis des siècles. Ils ne firent pas usage de cette clause et, demeurant économiquement dissociés, ressentirent plus que d'autres le poids de la crise des années 30, qui les livra à Hitler. « Ils seront asservis séparément», avait dit Karl Renner en août 1918. Bien des malheurs qui allaient frapper l'Europe viennent de là. LUCIENLAURA T. Les révolutions russes et les manuels scolaires Telle est la négligence de la plupart des gens à rechercher la vérité, et ils préfèrent se tourner vers les idées toutes faites. THUCYDIDE, I, 20. QUANDuri candidat au baccalauréat est interrogé sur l'année 1917 en Russie, il répond généralement : « Lénine a renversé le tsar 1 • » Si ce n'était qu'une erreur historique, ce serait déjà grave. Que penserait-on de celui qui dirait qu'en France Napoléon a renversé Louis XVI ? Mais on voit bien qu'il y a là, en outre, un jugement de valeur (abattre le tsarisme, symbole même de l'autocratie depuis un siècle, n'est pas la même chose que chasser les démocrates du Gouvernement provisoire ...), et même une double faute de perspective historique, touchant d'une part la représentativité réelle du parti bolchévik entre 1914 et 1917, et d'autre part, plus largement, le rôle historique et quasi messianique qu'on prête trop volontiers au bolchévisme dans l'histoire générale de l'humanité. Cependant, ceux qui commettent de bonne foi cette confusion n'ont-ils pas quelque 1. Cela n'a rien d'étonnant, si l'on songe à la manière dont le public est informé par la presse et la télévision. Deux récents exemples entre mille : Un journal parisien à grand tirage, France-Dimanche, publiait le 19 février dernier un tissu de sottises (à en juger par les quatre premières lignes ; il était impossible de lire plus avant) sous le titre énorme que voici : Il y a 50 ans, le grand aolr changeait la face du monde. Le dernier des Romanou abdiquait et le camarade Vladimir llitch Oulianou prenait le pouuoir sous le nom de Lénine. Ce Journal commémorait à sa façon la révolution de février-mars, qui eut lieu alors que Lénine vivait en Suisse et ne devait rentrer en Russie qu'en avril. Le 6 novembre dernier, célébrant sur un ton exalté l'lnsurrection d'octobre-novembre comme s'il s'agissait d'une fête nationale française, l'orateur de notre Télévision d'Etat reprenait à 100 compte la fable du renversement des Romanov par lea bolchéviks et ne faisait grâce d'aucun cliché menteur devenu monnaie courante, entre autres sur le • moine Ra1poutlne • (lequel n'a Jamais été moine). Une anthologie de ce1 choses innommables que doit avaler le bon pùbllc Ignorant formerait un volume de lo taille du Bottin. - N.d.l.R Biblioteca Gino Bianco 381 excuse ? Voyons comment sont présentés les événements dans quelques-uns des manuels scolaires destinés aux classes terminales des lycées. Aucun n'est matériellement tout à fait inexact ni tendancieux dans la partie « événementielle» du programme. Mais certains sont maladroits. Souvent, le titre même du chapitre annonce « la révolution russe », ce qui sousentend qu'il n'y en a eu qu'une. Voici, par exemple, le titre et le résumé qui ouvrent le chapitre III du manuel édité chez Bordas 2 : La révolution russe et la naissance de !'U.R.S.S. - En 1917, l'empire russe, épuisé par trois ans de guerre, est secoué par un mouvement révolutionnaire [un seul ?] . Les partis bourgeois [les socialistes-révolutionnaires et les socialistes menchéviks étaient donc des « bourgeois » ? et quand cela serait, que signifie l'adoption de ce vocabulaire, sans même des guillemets ?] , qui espéraient organiser une république libérale, sont très vite débordés par les socialistes [les bolchéviks étaient donc les seuls socialistes ? ni les menchéviks ni les socialistes-révolutionnaires n'ont . ; ;>J existe . . Le nouveau gouvernement [il n'y en a donc eu qu'un, celui de Lénine ?] en menant de profondes réformes et en arrêtant les hostilités ( ...). Le récit plus détaillé qui occupe la suite du chapitre est, heureusement, moins confus. N'est-ce pas cependant édulcorer que d'écrire : « Le soir du 7 novembre, les Soviets de Russie, réunis en Congrès, confient le pouvoir à un Conseil des commissaires du peuple que préside Lénine » - comme s'il s'agissait d'un Parlement qui choisit un premier ministre parmi plusieurs candidats possibles ? Le manuel des Editions Hachette 3 appelle les choses par leur nom, tout en restant soucieux d'équilibre : La révolution d'octobre 1917, coup de force qui abat le gouvernement « bourgeois » ou « pseudosocialiste » mis en place après la chute de l'Empire, ·est effectivement réalisée selon les conceptions les plus classiques : prise du pouvoir par un petit groupe de gens décidés, avec l'appui des ouvriers de Pétrograd. Mais elle ne réussit que parce qu'elle recueille l'adhésion rapide et enthousiaste des masses populaires. A notre avis, l'enthousiasme reste à prouver : les élections à la Constituante contredisent le manuel d'Hachette et quant aux « ouvriers » de Pétrograd, une minorité seulement a sympathisé avec les bolchéviks. 2. Le Monde contemporain. Hiatoirt, civili&alio11&, par MM. Bouillon, Sorlin et Hudcl (1963). 3. llistoire : le monde contemporain, par M. Bonifacio (1962).
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