Le Contrat Social - anno XI - n. 6 - nov.-dic. 1967

380 dont le caractère autocratique était bien connu, · on sait seulement qu'il était décidé à briser la résistance de l'aristocratie hongroise, laquelle s'opposait à toute réforme en Autriche de peur de compromettre l'hégémonie des Magyars sur Slaves, Roumains et Italiens en Hongrie. Cette période d'avant 1914 était caractérisée par ce que Renner appelait « la lutte des nationalités pour l'Etat », chacune voulant s'assurer sa part de codétermination dans la direction des affaires. Cette lutte pour l'Etat ne devint lutte contre l'Etat que lorsque l'attentat de Sarajévo eut déclenché la guerre. -Alliée de l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie dut forcer la majorité de ses soldats (une moitié de Slaves, environ 60 % des effectifs, en ajoutant Roumains et Italiens) à se battre pour une cause qui, loin d'être la leur, était en fait opposée à leurs aspirations. Au début, cela ne tira guère à conséquence : les Polonais se méfiaient de la Russie autant sinon plus que de la Prusse, et les Tchèques n'avaient nulle envie de constituer un protectorat russe (Pétrograd cherchait déjà un grandduc pour l'installer à Prague 2 ). C'est pourquoi des émigrés comme Masaryk et Bénès, euxmêmes fort méfiants à l'égard du tsarisme, ne trouvèrent tout d'abord qu'une audience des plus limitée en Bohême et en Moravie. Les choses changèrent après février 1917. L'épouvantail du tsarisme avait disparu et, la guerre se prolongeant, les privations poussèrent les masses à des revendications plus radicales. Dès le mois de mai, Masaryk s'était rendu à Pétrograd. Cette année 1917 est sans doute celle où une fatalité qui n'est pas encore inéluctable contrebalance les intentions humaines. C'est alors que se nouent, en vue d'une paix séparée, des contacts entre l'empereur Charles, successeur de François-Joseph, et son beaufrère, le prince Sixte de Bourbon-Parme. C'est a1:1ssil'en·trée en guerre des Etats-Unis, et les « 14 points » de Wilson. · Charles qui, fait significatif, s'était entouré des conseillers de François-Ferdinand, était prêt :\ accorder l'autonomie aux nationalités opprimées. Il reconnaissait même le droit de la France à recouvrer l'Alsace et la Lorraine. Mais s'il faisait bon 1narché de l'intégrité territoriale de l'Allemagt1e, il tenait à celle de l'AutricheHongrie, se refusant même à accorder à l'Italie ce que François-Joseph lui avait offert avant qu'elle n'entrât en guerre, en 1915. Après l'échec de l'offensive de Broussilov (été 1917), il durcit ses positions. Il les durcira encore davantage .après Brest-Litovsk, mais non pour 2. Trente ans plus tard, Gottwald suffisait à Staline. BibOotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL les mêmes raisons : la Russie ..s'étant militai- . rement· effondrée, une partie de l'armée allemande était désormais disponible pour envahir l'Autriche si celle-ci avait tenté de conclure une paix séparée. A en juger par l'exposé de M. Valiani, cette crainte était cependant peu fondée, les Allemands ayant besoin de toutes leurs forces sur le front ouest. L'empereur Charles était jeune, faible et inexpérimenté. Eût-il été doué d'une forte per-· sonnalité que ses bonnes intentions se fussent heurtées à l'adversité. Il était allé jusqu'à se déclarer prêt à céder à l'Allemagne, pour compenser la perte de l'Alsace-Lorraine, la Pologne réunifiée (Galicie comprise), mais à la condition que le souverain polonais fût un Habsbourg ... Ces hésitations et tergiversations entre un sincère désir de paix et l'inefficace pression sur Berlin, où la camarilla militaire de Ludendorff ne voulait évidemment rien entendre, finirent par déterminer les Alliés, jusque-là favorables au maintien de l'Autriche-Hongrie, à donner carte blanche aux comités et conseils nationaux des nationalités, déjà constitués en France ou en Angleterre. On pouvait déjà pressentir les conflits futurs. Un seul exemple : le démembrement allait donner naissance à un Etat yougoslave, mais les territoires à population mixte de Dalmatie, d'Istrie, de Slovénie, etc., devinrent, dès avant la fin de la guerre, l'enjeu de compétitions entre l'Italie et les Yougoslaves, préfiguration de l'expédition de d'Annunzio contre Fiume. En voulant donner satisfaction aux Slaves-du Sud ' qui étaient peut-être les moins ardents à vouloir se détacher de l'Empire, Charles se priva de toute possibilité d'entente avec l'Italie, condition première d'une paix séparée. Contradictions et rivalités inextricables rendirent l'échec inévitable. Dès le printemps de 1918, les dernières espérances s'évanouirent et c'est une cause d'ores et déjà perdue que Karl Renner plaidait . quelques mois plus tard, dans le Kampf, en lançant ses ultimes avertissements au sujet d'un danger dont il prédisait avec exactitude les conséquences catastrophiques. L'Autriche-IIongrie fut donc démembrée. Il ressort de tout l'exposé de M. Leo Valiani qu'il convient d'incriminer la fatalité bien plus que la bêtise et la méchanceté des hommes : les bonnes volontés, en effet, ne faisaient pas dé-. faut, ni du' côté des Alliés ni autour de l' empereur Charles. Le livre s'arrête là. Ajoutons, pour notre part, que la stupidité des hommes ne commencera à jouer pleinement son rôle qu'ensuite. Les traités de Saint-Germain et de Trianon avaient autorisé les nou-

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