Le Contrat Social - anno XI - n. 6 - nov.-dic. 1967

378 • .ses membres refléterait le singulier dosage de romantisme, d'idéalisme, d'utopisme, d'anarchisme et de fatalisme asiatique qui marque, selon l'auteur, la culture vietnamienne. La propagande du F.N.L. ne cesse de broder sur le thème des « Américains, successeurs des Français » - le néo-colonialisme de ceux-là ne faisant que remplacer l'impérialisme de ceux-ci. Il est certain que le F.N.L. doit en partie ses premiers succès à l'exacerbation du sentiment national, héritage de la guerre avec la France. Toutefois, le parallèle avec une guerre coloniale ne peut guère être retenu. Sous la tutelle française, les Vietnamiens étaient tous citoyens de seconde classe; l'enjeu, pour les combattants, était leur dignité de nation. Au contraire, dans la confrontation actuelle, les deux parties se réclament d'idées politiques et sociales, l'enjeu étant l'adhésion de la population rurale. Aujourd'hui, bien plus clairement qu'hier, un Vietnamien peut se sentir patriote quel que soit le camp qu'il ait rallié. Pike conteste l'importance de l'idéologie politique dans le moral des unités constituées du F.N.L. Il est d'avis que l'extraordinaire comportement des hommes au combat, souvent attribué par les observateurs étrangers au « dévouement à la cause », tient plus vraisemblablement à l'esprit de corps militaire. On peut discuter cette appréciation. D'abord, et même au ·cours de la « première guerre » ( 1960-64 ), une bonne partie des effectifs se composaient de jeunes recrues qui ne servaient que depuis peu de temps dans les corps d'élite et ne pouvaient donc être considérées comme des soldats de métier, plus endurcis, mieux aguerris que l'ennemi. En second lieu, on ne peut quand même pas négliger l'effet, sur la troupe, des fameux kiem-thao ( séances journalières d'autocritique), qui exaltent la fraternité révolution- . natte. Si l'auteur a raison de souligner que dans un certain sens, cette << formation » idéologique contribue à élargir l'horizon de paysans courbés jusque-là sur la glèbe, il n'insiste peut-être pas non plus suffisamment sur l'attrait que ne pouvait manquer d'exercer sur maint jeune campagnard la vie prestigieuse du guérillero - surtout au début, lorsque les groupes armés du F.N.L. faisaient irruption pour la ·première fois dans les villages. Comment refuser la chance qui s'offrait de rompre avec la monotonie de l'existence quotidienne? On a pu constater que même dans les villages relativement bien administrés par Saigon, l' agitprop faisait son effet sur nombre de jeunes qui, -.jusque-là, n'étaient pas trop mécontents de leur sort malgré la . Biblioteca Gino ~ianco LE CONTRAT SOCIAL lenteur des progrès, les trop faibles chances . d'instruction, les maigres perspectives d'avenir. L'étroitesse de la vie paysanne offrait ainsi au F.N.L. de multiples possibilités qu'il sut exploiter sans vergogne, en prodiguant les promesses les plus excessives. S'il réussissait à isoler complètement le village en empêchant toute communication· avec le pouvoir de Saigon, il poussait son avantage en attisant la flamme d'un , . ,, . /\ mecontentement qu1 n eta1t peut-etre encore que diffus ou même· latent, de sorte qu'il se traduise au plus tôt, dans la langue nouvellement apprise de la revendication, sous forme d'une condamnation sans appel du régime exécré de Saigon. ~ Il semble bien que la structure du F.N.L. en tant qu'organisation soit encore presque intacte, bien que l'accroissement du taux de défection témoigne d'une certaine tension. Les associations de paysans, de femmes et de jeunes sont toujours maintenues en activité par l'appareil de propagande et retiennent dans le mouvement de nombreux adhérents. Il faut souligner l'importance du rôle confié aux femmes dans les organisations de village ; enfin, le prosélytisme se poursuit dans les rangs de l'armée de Saigon, entraînant souvent des fuites de renseignements. "1- "I- "1Hanoï commande au F.N.L., c'est entendu, mais cette domination est-elle totale ? La détermination précise du degré de subordination du Front est une des question les plus délicates de toutes celles posées par la guerre du Vietnam, tant les ténèbres qui l'enveloppent sont épaisses. On ne peut cependant s'empêcher de penser que Pike aurait dû tenir compte davantage des tensions et des divisions, non seulement parmi ~es chefs, mais encore et surtout entre ceux-ci et la masse des adhérents - ·difficulté~ qui sans aucun doute· entravent encore l'effort combiné de Hanoï et du Front. L'esprit particulariste du Sud et la méfiance traditionnelle entre gens du Sud et du Nord sont si bien avérés qu'il est inutile de s'y attarder. Ce régionalisme ·n'a cependant jamais eu l'importance qu'y attachaient naguère les Français, aù ·point de tenter, au lendemain de la secondô guerre mondiale, d'ériger la Cochinchine en Etat distinct. Les préjugés particularistes des uns et des autres ont certainement perdu de leur force depuis que retentissent, d'un bout à l'autre du pays, des appels au sentiment national. Il semble même que le F.N.L. soit parvenu à mettre le thème de l'uni-

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