Le Contrat Social - anno XI - n. 6 - nov.-dic. 1967

QUELQUES LIVRES de Marx, notamment du Capital, des Théories de la plus-value, du Manifeste, de /'Idéologie allemande, etc. Au total Marx se voit imputer cent cinquante-trois prédictions, dont soixantedix-sept tirées du seul Capital. Toutefois, on n'est jamais certain de l'opinion que se fait M. Gottheil des dons prophétiques de son protagoniste, car le plus souvent il se contente de citer les prédictions de Marx sans les examiner de très près. Quant à l'analyse technique du système, iv1. Gottheil ne s'éloigne guère des normes fixées par ses prédécesseurs, ce qui revient à dire que son ouvrage n'apporte pas grand-chose à la compréhension du schéma marxien. A cet égard la démarche de ivI. Wolfson paraît quelque peu plus ambitieuse. Pour Ivl. Wolfson, le problème philosophique ou méthodologique se précise dès que l'on confronte discours rationaliste et analyse positive ou empirique. Le rationalisme entend déterminer la raison pour laquelle surviennent les événements historiques et établir s'ils étaient réellement nécessaires. Pour l'empirisme, en revanche, les événements surviennent parce qu'ils ont certains points d'origine dans le passé et découlent d'une succession de causes. En un sens, les questions que pose le rationaliste sont d'ordre moral ; l'empiriste, lui, cherche à établir des faits et à les ordonner de manière à « justifier des pronostics ». La moralité présuppose le discernement et des normes prescrites alors que les faits dont connaît la science sont neutres, positifs. Certes - mais en s'engageant dans cett~ voie un peu étroite, ne risque-t-on pas de laisser échapper l'essentiel : le fond de la pensée de Marx, son but ? Que les schémas économiques de Marx, pris dans leur détail, soient à maints égards erronés, soit. Il n'empêche qu'on ne saurait les situer à leur juste place dans l'histoire des idées en les considérant uniquement de l'extérieur, en dehors de tout contexte. Si l'on ne prend pas la peine de les étudier dans la perspective qui leur es1 propre, il n'est guère difficile d'opposer aux analyses marxiennes les conclusions de l'école psychologique marginaliste, pour constater avec M. Wolfson que Marx a été incapable d'expliquer les rapports des prix de marché. Comme si à aucun moment ce fut là son propos ! (Soit dit nonobstant le fameux Livre III.) * * * Il est curieux de constater que M. Gottheil commence par ce qu'il est convenu d'appeler le problème de la transformation, à savoir cornBiblioteca Gino Bianco 373 ment Marx est passé de la notion de valeur à celle de prix. Les difficultés logiques inhérentes à sa méthode sont reconnues depuis longte1nps. Dès 1896, Bohm-Bawerk, l'un des fondateurs de l'école autrichienne de l'utilité marginale, avait salué l'apparition du Livre III du Capital en y lisant une autodéclaration de faillite. Il est impossible, déclarait Bohm-Bawerk, de passer de la valeur au prix dans le contexte marxiste, car le Livre III implique que les prix sont déterminés en fonction des coûts de production, association que condamne explicitement le Livre premier. La transformation de la valeur en prix ne parvient donc pas à maintenir l'équilibre marxien, car on ne peut poser simultanément, d'une part, l'égalité du profit total et de la plus-value totale, et de l'autre, l'égalité du total des prix et du total des profits. Il semble malheureusement que M. Gottheil accepte la position marxiste selon laquelle le Capital permet d'établir une théorie des prix parfaitement valable. Il s'abstient pour sa part de faire ressortir que si l'on accepte le Livre III, il faut rejeter comme pure métaphysique la doctrine de la valeur-travail exposée au Livre premier. Il reste que les théories économiques marxistes méritent d'être étudiées dans leur esprit et dans leur contexte ; autrement dit, de manière à dégager à la fois leur contenu essentiel et ce que, à l'époque où elles furent formulées, elles ont signifié et apporté. Il s'agit d'abord de situer la doctrine dans l'histoire des idées, de la suivre dans son élaboration et selon ses modalités propres de développement ; ce n'est qu'ensuite qu'on est en droit de se demander si elle est vraie ou fausse. Ainsi procède un homme comme Schumpeter, pourtant antimarxien déclaré, lorsqu'il constate que Marx « se préoccupait avant tout d'affiner les instruments d'analyse que lui proposait la science de son temps, d'aplanir les difficultés logiques et d'élaborer (...) une théorie dont on ne saurait contester - quelles que soient ses insuffisances - le caractère scientifique, avéré tant par le contenu que par le but visé ». Il semble parfois que M. Gottheil ait cherché, lui aussi, à aborder son sujet dans le même esprit exemplaire, sans y parvenir tout à fait. Pour comprendre à quel point l'appréciation de Schumpeter est fondée, il faut voir ce que Marx a voulu. Au fil des ans, les économistes orthodoxes ont construit toute une série d'analyses, élégantes à souhait, q1:1itraitent avec minutie du prix du thé ou d'autres bricoles. ~1arx en revanche, avec des outils incomparablement plus grossiers, n'a pas craint de s'attaquer, un bon demi-siècle avant l'ère de Keyne~.

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