362 « Vous nous avez aidés, écrivait-il, à nous, pénétrer de la conscience que la production a un caractère spontané. Votre économie politique, si fortement élaborée, constitue une philosophie profondément argumentée. » D'après les lettres de Nikolaï-on et les articles de Kaufman et de Sieber, Marx pouvait aisément se convaincre que les jeunes économistes de la Russie se passionnaient pour ses idées et étaient prêts à le suivre dans la critique de la doctrine économique dominante. L'encouragement et le réconfort que lui apportait la Russie se trouvaient encore renforcés par comparaison avec l'ignorance systématique dont les économistes anglais :firent preuve, jusqu'à ces derniers temps, à l'égard de ses travaux. En ma présence, Hyndman apprit à Marx le fait suivant. Un jour, à la suite d'une conférence publique de l'économiste anglais Levi sur l' « harmonie des intérêts », une discussion s'ensuivit, au cours de laquelle Hyndman émit des doutes quant à l'existence d'un accord, d'une harmonie entre les intérêts des diverses classes de la société. A l'appui de son scepticisme, il invoqua le Capital de Marx. « Je n'ai jamais· entendu parler de cet ouvrage », répondit Levi... Le Capital ne fut traduit en anglais qu'après la mort de l'auteur, et sa diffusion parmi les économistes anglais demeura fort réduite. Dans les œuvres du plus autorisé d'entre eux, Marshall, je n'ai trouvé aucune référence à Marx, alors qu'un économiste aussi connu qu'Adolphe Wagner, par exemple, fait de Marx le plus grand cas, tout en critiquant en toute occasion les vues exposées dans le Capital. Durant les années où j'assistais aux réunions du dimanche au 41, Maitland Park Crescent, ou quand je rencontrais Marx chez Engels, l'auteur· du Capital menait, dans l'ensemble, une vie fort retirée, entièrement vouée au travail scientifique. Et dans ce domaine, Marx avait une vue très large des tâches à accomplir. Bien souvent, il lui · fallait consacrer des semaines, voire des mois, à la lecture d'ouvrages d'histoire économique - en particulier sur l'histoire de la propriété foncière - qui ne se rapportaient qu'indirectement à son sujet principal. Il se remit de même à l'étude des mathématiques, notamment ·du calcul différentiel et intégral, afin d'aborder en connaissance de cause la toute nouvelle tendance mathématique en économie politique, à la tête de laquelle nous trouvons aujourd'hui des savants comme Edgeworth, et que Tevons animait déjà du temps de .Marx. En ce qui concerne la littérature économique, anglaise en Biblioteca Gino Bianco VARIÉTÉS particulier, l'érudition de l'auteur du Capital était én9rme ; mais elle n'avait rien de comparable à cette « Belesenheit » par quoi brillent les professeurs allemands, et parmi eux Roscher, cette « bête noire » 5 de l'auteur du Capital, qui agrémenta souvent ses ouvrages de remarques de ce genre : « M. Roscher s'est empressé d'apporter l'appui de son autorité à ce lieu commun. » Marx savait déceler chez ses plus lointains prédécesseurs les principes essentiels qui méritaient d'être développés. Si, depuis quelque temps, les économistes s'intéressent à r Arithmétique politique et à d'autres œuvres de William Petty, contemporain de Charles II Stuart, si nous possédons non seulement une nouvelle édition de ses œuvres complètes, mais toute une série de mémoires sur Petty dans presque toutes les langues du monde cultivé, nous en sommes pour une grande part redevables à Marx. Sa connaissance de l'histoire des doctrines économiques lui permettait de déterminer à coup sûr le degré d'originalité des auteurs qui avaient su attirer l'attention du public en donnant à leurs ouvrages une présentation frappante. En disant cela, je pense notamment à Henry George, pour qui l'engouement du public en Angleterre prit des proportions assez comparables à celui dont · Rousseau avait été l'objet au XVIIIe siècle. Marx fut probablement le premier à faire remarquer que les théories de l'auteur de Progrès et Pauvreté ne faisaient que répéter les conceptions des physiocratès sur l'agriculture en tant que seule source pure de revenu, -et sur l'impôt foncier qui, à leurs yeux, devait seul absorber au profit de l'Etat la majeure partie de la rente. Dans les pal:)iers de Marx, on a retrouvé un article dirigé contre Henry George et démontrant que. ses conclusions étaient bornées et inacceptables. Cet article ne fut publié qu'après la mort de Marx. ' LA PLUPART DES GENS se font une idée fausse de la psychologie de l'homme qui prêchait la lutte de classes comme unique moyen pour les ouvriers de conquérir la justice sociale - cette « social ;ustice » que Godwin, pour qui Marx nourrissait grande sympathie, annonçait' aux Anglais du XVIIIe siècle. On dépeint couramment Marx comme un négateur sombre et hautain de la science et de 5. En allemand et en français dans le texte, -N,d,T
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==