Le Contrat Social - anno XI - n. 6 - nov.-dic. 1967

N. LESER comités d'entreprise et chambres de travail, se juxtaposant désormais aux chambres d'agriculture et aux chambres de commerce en tant qu'expression des conquêtes des salariés rautorité morale et l'égalité des droits. Malgré ces résultats substantiels, la participation des socialistes à un gouvernement bourgeois - selon Marx, instrument d'oppression d'une classe par une autre - constituait une anomalie et appelait une justification. Théoricien marxiste et responsable de cette politique, Otto Bauer se sentit obligé de fournir cette explication lorsque le parti fut rentré dans l'opposition. Dans son livre Die osterreichische Revolution ( 1923 ), brillant et vivant exposé des événements mouvementés de cette période, il en appelle notamment à l'autorité d'Engels qui, dans !'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat, avait envisagé des situations d' « équilibre entre les classes antagonistes », où l'Etat cesse passagèrement d'être un instrwnent de domination de classe pour assumer un rôle d'arbitre jusqu'à ce que le renversement de l'équilibre le confirme dans sa fonction originelle 9 • Bauer estimait que l'Autriche, après une brève période de suprématie prolétarienne, avait connu une telle période d'équilibre : elle fut une « république populaire » de l'automne de 1919 à celui de 1922, c'est-à-dire jusqu'à la ratification des protocoles de Genève, laquelle mit un terme à la crise monétaire grâce à l'aide du capital étranger et permit à la bourgeoisie de reconquérir ses positions de force. Le 4 octobre 1922, jour de la signature de ces protocoles, était aux yeux d'Otto Bauer « la revanche de Seipel [ le chef du parti chrétien-social] pour le 12 novembre 1918 » 10 • Bien que la social-démocratie eût échoué dans ses efforts pour conjurer la crise monétaire par des prélèvements sur la fortune et par des mesures d'expropriation, elle réussit à sauvegarder le droit de regard du Parlement dans l'emploi des crédits étrangers. La lutte engagée à propos des méthodes d'assainissement financier fit ressortir les divergences fondamentales entre les deux camps. La bourgeoisie ne voulait pas s'accommoder de la République, cet « enfant de la honte », qui avait remplacé la vieille et glorieuse monarchie ; elle imputait aussi au nouveau régime les « gravats sociaux » accumulés par la social-démocratie durant sa 9. o. Bauer : Die 6aterreichfache Revolution, éd. 1965, pp. 257 1qq. tO. Ibid., p. 285. Biblioteca Gino Bianco 351 participation au pouvoir. De nos jours encore, l'anniversaire du 12 novembre, loin d'être un symbole d'unité nationale, conserve sa charge affective et un sens ambivalent. Echec de la socialisation LA VIOLENCE des remous causés par la révolution autrichienne de 1918 surprend d'autant plus qu'elle restait bien en deçà d'une révolution sociale. On avait changé de régime et d'institutions, pris d'importantes mesures sociales. Mais malgré l'ampleur des réformes, les rapports de force dans la vie économique restaient les mêmes. Les chrétiens-sociaux s'opposèrent avec succès à toute tentative pour établir dans des secteurs-clefs de l'économie la propriété collective. Autrefois parti de la petite bourgeoisie anticapitaliste, les chrétiens-sociaux étaient depuis longtemps devenus les représentants de la grande bourgeoisie et de la haute finance. La nationalisation de la plus grosse entreprise industrielle, l'Oesterreichische Alpine-Montangesellschaft, n'ayant pu se faire en 1919, cet échec eut des conséquences funestes pour l'avenir de la République. Ce véritable empire industriel, que l'Etat n'avait pas réussi à se soumettre, devint par la suite la citadelle de la Heimwehr, formation paramilitaire qui préparait l'assaut final contre la République. Les tentatives de restauration monarchique s'étant révélées vaines, la bourgeoisie, toujours hostile à la République, commença à s'intéresser au fascisme. La loi du 30 mai 1919 sur la socialisation était demeurée, en raison de l'opposition des chrétiens-sociaux et des pangermanistes, une simple loi-cadre sans effet pratique. En effet, les propositions de loi portant sur la nationalisation du charbon, de l'électricité et de la grande propriété forestière et agricole ne furent pas votées. Certes, on parvint, par application d'une autre loi, celle du 27 juillet 1919, à créer quelques établissements d'intérêt public, telles la Centrale des produits pharmaceutiques et une entreprise qui englobait les anciens arsenaux. Pourtant ces mesures n'affectèrent guère le régime de propriété et comme rien ne fut fait ensuite pour modifier la gestion des moyens de production, l'affirmation d'Otto Bauer qu'on s'était trouvé en « république populaire » fut contestée à la fois par la droite et la gauche du parti, l'une et l'autre soulignant combien cette analyse s'éloignait de la lettre et de l'esprit du marxisme orthodoxe. Dans son ouvrage Sozialismus und Staat (1920), le professeur Hans Kelsen, père de la

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