Le Contrat Social - anno XI - n. 6 - nov.-dic. 1967

L. EMERY Londres se lie plus étroitement au Commonwealth et accepte la subordination à l'Amérique ; la force matérielle de l'Occident suppose donc avant tout la collaboration franco-allemande qui reporte sur le continent le centre de gravité de la présente et future Europe. Très sagement, Schuman et Adenauer laissèrent dormir des problèmes politiques insolubles et préférèrent jeter les bases d'une infrastructure solide ; d'où le pool charbon-acier, création limitée si l'on veut, mais qui n'en dépassait pas moins tout ce qu'on avait pu attendre à si bref délai après une guerre inexpiable, et qui, très vite, révélait sa fécondité. L'union des Six, la constitution d'un efficace gouvernement économique à Luxembourg, les travaux juridiques et techniques dont en très peu d'années résultera le Marché commun, tout cela marque une étape dont on ne saurait trop souligner l'importance. Les Anglais sont sceptiques devant cette entreprise, mais ils ne peuvent la contrecarrer, car les Américains la favorisent-; ils ont d'ailleurs approuvé antérieurement la réorganisation autonome de l'Allemagne fédérale et l'accession d'Adenauer à la Chancellerie. Ce dernier a donné une preuve éclatante de ses intentions car, s'il poursuit les nazis, il fait surtout décréter par la Cour suprême de Karlsruhe l'interdiction du parti communiste et l'on est fort étonné de voir que cette décision radicale n'engendra pas grande activité clandestine et subversive. Dans ces conditions, le réalisme américain, vite mis en confiance, ne craint pas de soulever la question la plus brûlante, celle du réarmement allemand. La manière dont elle sera examinée ou réglée ne peut manquer de retentir décisivement sur les formes de la vie européenne et sur tout leur avenir. C'est dire que nous arrivons ici à un nœud. La peur de l'ogre stalinien, accentuée par ce qu'on sait des folies meurtrières du règne, aurait peut-être poussé vers une solution prompte et radicale, mais la mort du tsar rouge en 19 5 3 crée de nouvelles fluctuations dans les esprits et contribue à faire de ce qui aurait pu être un succès concluant pour les Eurocrates un échec difficilement réparable. * * * LES .AMÉRICAINS allaient droit au but et tenaient pour urgent le renforcement de la défense occidentale, ce qui postulait d'une manière ou d'une autre l'existence d'une armée allemande intégrée dans ce sysBiblioteca Gino Bianco 345 tème de défense. Churchill se rallia sans peine à ce point de vue, mais, comme il était facile de le prévoir, les plus fortes résistances vinrent de France où les souvenirs de la défaite et de l'occupation étaient encore très corrosifs. C'est alors que, pour tourner l'obstacle, on lança l'idée d'une armée européenne dans laquelle les contingents allemands seraient disséminés et encadrés, l'existence d'un grand étatmajor de la Wehrmacht se trouvant ainsi prohibée. Après des négociations très compliquées, on parvint à ce qu'il est permis d'appeler le plan Pleven, corollaire dans l'ordre de la sécurité de ce qu'avait été le plan Schuman au niveau économique. Nul doute qu'il voulait d'abord désarmer les méfiances françaises, mais les doctrinaires de l'Europe fédérale avaient toutes raisons de le soutenir avec passion. Il était clair en effet que si l'Europe occidentale, déjà largement ébauchée en sa construction économique vouée à se développer rationnellement, se donnait par surcroît une organisation militaire internationale, forcément dépendante des Etats-Unis, son destin était fixé pour longtemps, les institutions politiques ne pouvant plus qu'obéir à la même impulsion. Mais du même coup on s'explique aisément que le projet d'armée européenne ait coalisé contre lui tant d'adversaires : communistes, bien sûr, et par extension tous ceux qui rêvaient de revenir à l'alliance russe après la disparition de Staline ; ennemis de la politique des deux blocs ; nationalistes, convaincus qu'une armée faite de pièces et de morceaux n'aurait aucune valeur et qu'un pays se suicide s'il abandonne à d'autres la responsabilité de sa défense ; partisans, à cause de Ialta, d'un mm1mum de retrait ou d'indépendance à l'égard des alliés américains. On sait que la partie décisive se joua le 30 août 19 54 devant le Parlement français ; mollement défendu par Mendès-France, qui n'y croyait guère, le projet d'armée européenne fut mis à mal en une sorte d'escamotage et l'on n'en entendit plus parler. Sans doute, dans les mois qui suivirent on se rabattit sur ce qui devint le traité de Londres ; mise neuf ans plus tôt au ban de l'univers, l'Allemagne entrait dans l'alliance atlantique et récupérait, moyennant quelques réserves, le droit de refaire son armée. En un sens et dans l'immédiat, c'était là un résultat immense, mais déjà les ombres s'amoncelaient. Avec une demi-sincérité, la Russie proclamait que la nouvelle armée allemande serait l'instrument des revanchards, une menace constante dirigée contre

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