344 . vement, ils firent preuve d'un enthousiasme si lucide qu'il ne faut pas s'étonner qu'on ne puisse aujourd'hui l'évoquer sans combiner au souvenir nostalgie et désillusion. Ils avaient l'air de se lancer en un grand combat pour une cause perdue, mais, disposant de peu de forces, ils tiraient au moins de leur faiblesse un argument de première valeur, car ils étaient bien placés pour comprendre et expliquer que si l'Occident ne rassemblait pas toutes ses énergies, s'il ne dépassait pas, par l'organisation commune et la neuve espérance, l'état de déchéance lamentable où il était tombé, il ne lui restait aucune possibilité d'échapper au stalinisme. Cela posé, la croisade européenne n'en serait pas moins restée pure idéologie chimérique si elle n'avait pu compter d'emblée sur des coïncidences favorables et c'est pourquoi le regard doit immédiatement se porter sur les premiers signes d'un revirement américain, encore hésitant et incomplet. On pourrait dire que le test, la pierre de touche, fut le choix d'une attitude à prendre envers l'Allemagne occupée : ou bien exécuter le plan Morgenthau et ramener le pays vaincu à la vie purement rurale, ou bien favoriser sa restauration économique en sorte qu'il pût constituer un butoir solide qui limiterait l'expansion slave. Rien de plus significatif que la controverse entre le secrétaire d'Etat Byrnes, qui opta nettement pour le second terme de l'alternative, et son collègue Wallace, désireux de ne faire à Staline aucune peine, même légère; que le président Truman ait approuvé Byrnes, voilà qui engageait l'avenir. Un autre pas décisif fut franchi en 1947 lorsque Marshall inaugura le plan de subventions qui allait porter son nom; peu clairvoyant en Chine, cet homme d'Etat le fut beaucoup plus lorsqu'il s'occupa des affaires européennes, d'autant que, pour des raisons d'abord pratiques, il imposa la création d'un organisme unique qui centraliserait pour le compte de tous les pays appelés à recevoir la pluie d'or les demandes de crédits et les programmes de répartition. En un certain sens, la polémique communiste disait juste lorsqu'elle voyait naître l'Occident sous la forme de l'Europe « marshallisée », laquelle englobait l'Angleterre et se définissait d'autant mieux que les pays d'obédience communiste avaient reçu l'ordre de n'y pas entrer. Ainsi le rideau de fer commençait à se dessiner en tant que frontière entre deux mondes, ce qui risquait de paralyser l'expansion moscovite. On peut croire que 1~ constatation de ce fait détermina le Kremlin à tenter une opéraBib,liotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL tion de grand style qui juridiquement n'impliquait aucun risque de guerre; d'où, à la fin de 1947, les grèves générales en France et en I talle. Si elles avaient réussi, le coup de Paris et le coup de Rome auraient été synchronisés avec le proche coup de Prague et la partie était gagnée pour le dictateur rouge. Leur échec fut donc ·un événement de première importance, car il éloignait définitivement les communistes italiens et français de toute participation au gouvernement, confirmait les Américains dans leur décision de jouer la carte d'une restauration occidentale qui s'accomplirait sous leur égide, et du même coup garantissait aux tenants de l'Europe fédéraliste et démocratique la sécurité et les longs espoirs qui leur permettraient d'entrer dans une période plus constructive. * * * L'ANNÉE 1948 est un tournant ; on ose alors prendre conscience de la réalité, on renonce aux euphémismes, on admet que la guerre froide est engagée. Du côté russe, voici bientôt le coup de Prague qui rappelle si clairement la conquête de l'Autriche par les nazis, puis le blocus de Berlin dont le succès aurait déterminé le glissement général de la masse allemande vers le communisme. Il est vrai que Staline rencontre une résistance héroïque et que ses maladresses jalouses provoquent en même temps le schisme yougoslave, mais il voit se préparer en Chine une victoire gigantesque dont bénéficie un monde communiste encore homogène et monocéphale. A ces offensives répond la doctrine Truman prescrivant l'aide à tous les peuples qui veulent défendre leur liberté et qui sera bientôt invoquée pour justifier l'intervention en Corée, sous l'égide de l'O.N.U. Direct ou indirect, l'affrontement des deux .blocs est donc patent ; .les chefs du mouvement européen, ceux que l'histoire a mis en vedette, Schuman, Monnet, Adenauer, Gasperi, vont-ils pouvoir en profiter ? Ils s'y emploient fort intelligemment, compte tenu d'une péripétie qui va, comme on voudra, canaliser ou dévier leurs efforts. La question se pose en effet de savoir si l'Angleterre opte· ou non pour l'appartenance à l'Europe. On a pu l'espérer, mais les 'travaillistes font preuve d'un nationalisme insulaire irréductible et, lorsque Churchill reprend le pouvoir, il paraît avoir tout oublié non seulement de sa fameuse- proposition de conationalité anglo-française, mais~des discours~européens prononcés dans l'opposition.
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