Le Contrat Social - anno XI - n. 6 - nov.-dic. 1967

L'EUROPE ET LE COMMUNISME par Léon Emery SEULS des naïfs et des idéologues impénitents ·peuvent encore s'imaginer que les grandes constructions politiques se font par décrets ; elles résultent en réalité de processus complexes, comparables au travail de Pénélope puisque la toile est toujours faite, défaite et recommencée, dont l'achèvement ne sera jamais que partiel et peu conforme aux plans qui d'abord furent tracés. En ce sens, il est peu d'expériences plus instructives que cette laborieuse construction de l'Europe à laquelle nous assistons et dont on peut également dire qu'elle étonne et déçoit; de très nombreux ouvrages en retracent déjà l'histoire, parmi lesquels mérite une estime particulière celui d'Henri Brugmans, recteur du Collège européen de Bruges. On n'en contestera guère que le titre, car enfin il ne s'agit pas d'une étude doctrinale et théorique sur L'Idée européenne, mais, et c'est tant mieux, d'un récit complet, vivant et clair des tentatives, des édifications et des avortements dont les vingt dernières années nous fournissent un· tableau tout en contrastes. Brugmans mérite de vives félicitations pour sa probité intellectuelle et la belle équité de ses jugements ; on dirait toutefois qu'une sorte de prudence diplomatique l'incite à mettre surtout en lumière ce qui ressortit à la genèse interne, cette genèse fûtelle commandée par la dialectique des contradictoires. On peut aussi bien soutenir que la formation organique de notre Occident est une incidence de la poussée communiste et de l'antagonisme américano-soviétique ; c'est en tout cas sous cet éclairage que nous voudrions considérer ici quelques traits importants. Biblioteca Gino Bianco Au MOMENT où la guerre allait s'achever, l'Europe occidentale n'était plus qu'une ruine. La réalité dépassait de beaucoup les prévisions du maréchal Smuts qui, un an plus tôt, dans son fameux discours de Londres, annonçait que l'Allemagne, la France et l'Italie n'existaient plus en tant que grandes puissances. Naturellement, il avait exonéré l'Angleterre de cette condamnation et même il l'avait proposée comme centre de ralliement, donc comme suzeraine de tout ce qui subsisterait en Occident, mais on ne fut pas long à voir qu'elle était fourbue et que la noire ingratitude dont elle payait Churchill témoignait peut-être de sa lassitude. En définitive, les désastreuses conventions de Ialta et de Postdam, ébauches du possible traité de paix, enregistraient l'état de fait de manière à reconnaître premièrement la victoire de Staline : installée à Berlin, Vienne et Belgrade, candidate à la cogestion des mines de la Ruhr, la Russie disposait de cinquièmes colonnes très puissantes en Tchécoslovaquie, en Italie et en France. Ses atouts militaires et politiques semblaient lui promettre l'entière prépondérance, pour autant que « l'oncle Joe » continuerait à duper les fidèles posthumes de Roosevelt. La lucidité des Occidentaux ne pouvait les pousser qu'à désespérer ou bien, déjà, à se concilier les faveurs du maître de demain. · Dans ces conditions, nul ne peut refuser d'honorer hautement les pionniers, les zélateurs de l'idée européenne ; ils n'étaient qu'une poignée, qu'une petite élite d'intellectuels et d'hommes politiques, mais dans les colloques et les congrès où ils jetèrent les bases du mou-

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