Le Contrat Social - anno XI - n. 6 - nov.-dic. 1967

342 chenil et écurie. On lui donnait, on lui accor- . dait tout ( ...). Profitant du nom de son père, il écartait de son chemin ceux qu'il n'aimait pas, en fit mettre certains en prison. On lui passait tout. » Ses protecteurs « lui offraient des décorations, des galons, des automobiles, des chevaux... » Suit un récit écœurant qui se résume en beuveries crapuleuses, manigances malpropres, dilapidations éhontées, abus de pouvoir, intrigues répugnantes, rixes sanglantes, coucheries, humiliations, palinodies et scandales, jusqu'à ce qu'enfin, en 1952, le digne fils de Staline en crève. Certes Vassili Djougachvili a été le produit d'un certain « système » et de la haute société soviétique : mais qui donc avait créé ledit système et rendu possible une telle société, sinon Staline ? Ce chapitre hideux de la chronique moscovite eût été inconcevable avant l' omnipotence du « Secrétaire génial » établie sur les cadavres de ses collègues que le testament de Lénine désignait comme les plus qualifiés pour diriger le Parti et l'Etat. Dans le cercle de famille autour de Staline, il y avait autant d'amis intimes que de parents : Svetlana nomme en particulier Kirov, Enoukidzé, Ordjonikidzé, Boukharine, qui ont péri de mort violente comme des milliers d'autres communistes de leur sorte. Elle écrit : « Kirov vivait chez nous, il était des nôtres, ami, vieux camarade. Mon père l'aimait, lui était attaché. » Il n'empêche que Staline a tué Kirov, son ami, son vieux camarade. Dans son zèle naïf à vouloir quelque peu disculper son père, Svetlana va jusqu'à imputer ' à Béria l'assassinat de Kirov, l:ommis en 1934, alors que Béria n'a succédé à Iéjov que quatre ans plus tard. C'est trop en prendre à son aise avec les faits les mieux avérés. La culpabilité directe de Staline dans ce crime ne saurait laisser aucun doute. D'ailleurs la nouvelle enquête sur l'assassinat de Kirov, annoncée par Khrouchtchev en 1956 au :xxe Congrès, est certainement terminée au bout de dix ans : que n'en publie-t-on le résultat ? Si ses conclusions devaient noircir la mémoire de Béria, les dirigeants soviétiques actuels s'empresseraient de les divulguer, trop heureux de renforcer leur thèse mensongère sur la malfaisance exclusive de Béria. La décision de taire la vérité ne peut signifier, même pour Svetlana si elle s'interroge en son âme et conscience, que la culpabilité précise de Staline en cette sordide affaire comme en mille autres. . LES SOUVENIRdS'enfance et de jeunesse de Svetlana sur son père et · sa famille s'entreBib_liotecGa ino Bia·nco LE CONTRAT SOCIAL mêlent avec d'autres réminiscences et réflexions de portée plus générale qui mériteront analyse et commentaire à part. Les contradictions d'une page à, l'autre abondent, qui offrent de nombreux arguments à l'encontre de la solidarité familiale. Mais Svetlana, même sortie du Krem, lin, avait vécu jusqu'en 1963 dans un monde clos, imprégné de dogmes trompeurs et nourri de notions factices, quand elle a écrit ses Lettres pleines de choses terrifiantes avec un parti pris d'indulgence envers le père inhumain et le frère méprisable. En la lisant, on se rappelle le mot d'Ekaterina Djougachvili, la vieille mère de Staline, parlant de son fils qui avait daigné lui faire une seule visite à Tiflis : « Un fils exemplaire. J'en souhaite à tous un pareil. » Avec Pascal, disons en conclusion provisoire, à la décharge de la grand-mère et de la petite-fille : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas »... Ce n'est et ne sera pa's une raison, en lisant ou relisant les Lettres de Svetlana, pour renoncer aux droits et devoirs inhérents à la raison. B. S. P.-S. - L'article qui précède ne tient pas lieu de compte rendu du livre entier de Svetlana, qui sera l'objet d'un autre article. Regrettons toutefois sans plus tarder que les éditeurs et les traducteurs aient fait preuve d'une désinvolture incompatible avec un ouvrage de cette importance. Le texte français pullule d'erreurs, de contresens, de négligences, sans parler des coquilles. Les traducteurs ne respectent même pas la langue française ; par exemple, ils emploient « excessivement » pour « e:,ttrêmement », ils ignorent le sens de « dont », etc. (Le loisir nous manque, de relever trop de solécismes.) Anna Alexéievna devient huit lignes plus loin, Anna Alexandrovna. Certaine~ erreurs sont-elles de l'auteur ? En tout cas, il serait facile de rectifier : ainsi, Litvinov ne se prénommait pas Mikhaïl, mais Maxime ; le prénom de Lozovski était Solomon, non pas Abraham. Etc. Particulièrement insupportable est « le Bolchoï », là où Svetlana écrit normalement, p. 121 : v Bolchom Teatt; c'est-àdire « au Grand Théâtre ». Depuis quelque ·vingt ans, des journalistes serviles envers le stalinisme, d'abord des Américains, ont mis à la mode « le Bolshoï », d'autres « le Bolschoï » (croyant que cette orthographe fait plus russe), et enfin « le Bolchoï », au lieu de traduire correctement : le Grand Théâtre, comme on dit : le Grand Théâtre de Bordeaux. Il n'y a aucune raison de « traduire » en français par « le Bolchoï ». Le remarquable Baedeker de 1902 mentionne parfaitement le Grand Théâtre, et la version soviétique très officielle de ce guide, en HJ28, dit aussi : le Grand Théâtre. Il.a fallu Staline et son Guépéou pour que le journalisme occidental de la pire espèce nous inflige « le Bolchoï ». Cela donne la nausée. Mais puisque notre collaborateur 11ichel Bernstein, également choqué de la tra- :) duction, nous envoie quelques remarques à ce sujet,· nous lui faisons place à la rubrique Quelques livres, p. 383.

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