B. SOUVARINE liniens que de prétendus trotskistes et qu'il se préparait à expédier ad patres son Vorochilov, son Molotov et d'autres séides, puisqu'elle a pris connaissance chez Mikoïan du rapport secret de Khrouchtchev avant même le XXe Congrès qui devait l'entendre le 25 février 1 ~56. Et en passant, comme si cela ne tirait pas à conséquence, elle esquisse des traits repoussants de celui qui n'était pas seulement son père, mais le « père des peuples » de sinistre mémoire, outre un grand-père contre nature : « Chose étrange, sur ses huit petitsenfants, mon père n'en a jamais vu que trois », et encore doit-on compter ces brèves entrevues sur les doigts d'une seule main. Quant aux rapports de Staline avec sa fille, ils ont évolué de l'affection paternelle, dans l'enfance de Svetlana, à la sécheresse indifférente et distante, 1narquée <le goujateries odieuses envers l'adolescente. Une idylle s'était nouée entre l'étudiante Svetlana et un cinéaste, Alex~s Kapler, dont le tort ou la tare fut d'être « juif », donc un « espion anglais », bon pour le bagne sans autre forme de procès. « Mais je l'aime ! » dit la jeune fille à Staline qui « suffoquait de colère >~ et qui asséna méchammt:nt une paire de gifles à la tremblante amoureu~è, pour lui apprendre à « trouver un Russe ». (Est-ce encore la faute à Béria ? ) « Que Kaplt:r fût juif l'irritait~ semble-t-il, plus que tout », écrit Svetlana. Sans défense, sans jugement, Kapler se trouva déporté pour cinq ans à Vorkouta, dans l'Extrême-Nord, puis expédié pour cinq ans supplémentaires « dans un des terribles camps d'Inta, au fond d'une mine ». La mort Je Staline, en 1953, le rendit à la liberté soviétique, c'est-à-dire à la servitude collective. En 1944, Svetlana se maria avec un étudiant : « Il était juif, et cela n'arrangeait pas mon père. Mais il se fit une raison, n'eut pas envie d'aller trop loin et donna son consentement : Que le diable t'emporte, fais ce que tu veux ( ... ). Mais mon père se montra intraitable sur un point : que mon mari ne paraisse pas devant lui... » Staline ne vit jamais son gendre, dont il fit arrêter le père, J. M. Morozov, à la fin de 1948, en même temps que la veuve de l'oncle Pavloucha et que celle de Redens : « Allèrent en prison toutes leurs relations ( ...). Ensuite commença la campagne contre les cosmopolites et l'on emprisonna encore une masse de gens ( ...). On arrêta Lozovski, on tua Mikhoels. Tous étaient accusés d'appartenir à un centre sioniste. Les sionistes t'ont glissé ton premier mari, me dit mon père quelque temps après ( ...). Le sionisme a contaminé toute BibliotecaGino Bianco 341 la vieille génération, qui l'enseigne à la ;eunesse... » (On voit d'où viennent la politiquè judéophobe des communistes et l'hostilité soviétique à l'Etat d'Israël ; les Lettres à un ami confirment nos vues exposées depuis longtemps.) Svetlana semble ignorer que les listes de personnes connues à fusiller ou à déporter étaient soumises à la sanction du Politburo. Au sujet de ses deux tantes emprisonnées, Staline lui expliqua sommairement : « Elles bavardaient beaucoup. Elles en savaient trop... » (Exactement notre explication de certaines « purges », qui date d'une trentaine d'années.) On sait comment Staline livra son fils Iacha à l'arbitraire cruel du destin (Svetlana impute au « destin », parfois à « on », les actes de son père) : « Cela lui ressemble tout à fait, - se détacher de ses proches, les oublier, comme s'ils n'avaient pas existé ... » Elle convient que Staline « était mauvais fils autant que mauvais père, et mauvais mari, sans égards pour sa mère ... Tout son être se vouait à la politique, à la lutte ... » Dans le désordre chronologique inhérent au genre décousu de ces Lettres, on apprend que Kapler « a survécu aux coups du destin » ; mais le destin, en l'occurrence, porte un nom : celui de Staline. L'AVANT-DERNIÈRE Lettre expose et commente le cas de Vassili, frère aîné de Svetlana, fils à papa, buveur, profiteur, fainéant, prétentieux, corrompu, ignoble, insupportable, et à qui sa sœur trouve des excuses : « Il était le produit et la victime de ce milieu, de ce système, de cette machine qui engendra, cultiva et enfonça dans la tête des gens le cu!te de la personnalité, lequel lui permit de faire sJ carrière fulgurante. Vassili commença la guerre en capitaine de vingt ans et la finit à vingtquatre ans comme général. .. On le hissa vers les hauteurs sans tenir compte de ses moyens, de ses capacités, de ses défauts, pensant faire plaisir à notre père. » ( Qui croira au déplaisir de Staline, en l'espèce ? ) Après la guerre, cet alcoolique invétéré se livra aux pires débauches et turpitudes imaginables : « Des gens louches, footballeurs, masseurs, entraîneurs et bosses sportifs gravitaient autour de lui, l'engageaient dans toutes sorte~ d'affaires, de machinations, avec des équipe de football ou de hockey, dans des gaspi1lages de fonds publics ( ...). Sans tenir compte de la Trésorerie, il lui fut per1nis de dépenser des sommes énormes, et il ne savait pas le pri · des choses ( ...). Il vivait dans son immense vilb d'Etat, menait grand train de rna1son, ave
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