338 . un état d'exaltation extrême : Nadièjda, mère de deux enfants, fille et sœur dans une famille unie qui l'aimait et qu'elle aimait, aurait joué devant Molotova la comédie de l'apaisement pour, restée seule, se supprimer de sang-froid? A cause du Eh! de son butor de mari? Il n'y a là rien d'impossible, mais rien non plus qui emporte la conviction. D'autres passages du livre de Svetlana méritent, à ce propos, de retenir l'attention du lecteur . • •• DANS LA TRADUCTIONFRANÇAISE,la neuvième lettre à un ami commence par ces mots : « Maman était impitoyable. » Mais on lit dans le texte russe : « Maman était sévère avec ·nous, les enfants, inflexible, inaccessible », et non pas « impitoyable » en général (bespochtchadna). Les traducteurs réussissent donc à en rajouter tout en abrégeant. Svetlana ne cesse d'idéaliser sa mère avec ferveur, mais elle cite la seule lettre maternelle qu'elle ait reçue, pour remarquer ensuite : « Pas un mot de tendresse. » Elle explique : « Ce n'était pas sécheresse d'âme, mais exigence intérieure envers nous et envers elle-même. ►> La lettre en question mentionne dans la famille la présence d'une certaine Natalia Kons· tantinovna, et Svetlana ajoute en note : « Notre gouvernante-institutrice », sans indiquer le nom de famille (elle a pu l'oublier). Or Elisabeth Lermolo avait connu à l'isolateur de Souzdal une codétenue, Natalia Trouchina, dont elle ne donne pas le nom patronymique (elle a pu l'ignorer). S'il s'agissait de la même Natalia, et tout semble le corroborer, le recoupement serait d'importance exceptionnelle et conférerait au témoignage rapporté dans Face of a Victim, puis dans notre article qui le résume, un poids supplémentaire, voire décisif. Car Elisabeth Lermolo ne saurait inventer le personnage ni ses paroles, en un tel lieu, à telle date, en de telles circonstances. Le récit de Natalia Trouchina diffère sensiblement de ceux de la vieille bonne et de Paulina Molotova, avec certaines précisions plus vraisemblables, lesquelles rendent bien mieux compte de l'issue tragique. La motivation du drame est plus convaincante que le simple Eh! Non pas Molotova, mais Vorochilov, chez qui avait eu lieu le dîner fatal, accompagna Nadièjda jusque chez elle, chose normale de la part de l'hôte, proche ami du coup~e. Nadièjda arriva violemment émue, fébrile, toujours d'après Natalia, et non pas calmée, ce qui éclaire soit l'altercation qui s'ensuivit avec Biblioteca Gino Bia·nco LE CONTRAT SOCIAL Staline, soit l'acte du suicide, beaucoup mieux que le Eh! La suite aussi correspond mieux à tout ce que l'on sait du milieu et des gens en cause que les souvenirs de la vieille bonne. D'ailleurs Staline, résolu à supprimer tous ceux qui en savaient trop long sur son compte, n'aurait certainement pas laissé en liberté une servante très• au courant de sa vie privée. Alors que Natalia, elle, disparut à jamais, aussitôt arrès le dénouement de la tragédie conjugale. SvETLANAs'exprime sur son père en des termes qui suscitent un malaise, car l'amour filial y alterne avec l'aveu tantôt franc, tantôt oblique, de l'ignominie paternelle. Staline était « froid et injuste », écrit-elle, envers son fils ' aîné Iacha, d'un premier mariage (avec Ekaterina Svanidzé). Au contraire Nadièjda affectionnait ce garçon malheureux qui, « poussé au désespoir par l'attitude de son père », tenta de se suicider. Staline « n'y trouva que prétexte à sarcasmes : Ah, il s'est raté ! aimait-il à se moquer. Maman fut bouleversée. Ce coup de revolver la blessa au cœur et retentit longtemps en elle... » Tout Staline est là, avec sa bassesse, son « impitoyable cruauté » que Svetlana a reconnue quelques pages plus haut, pour l'excuser ensuite. Iacha ayant épousé une femme juive, cela « suscita encore le mécontentement de mon père », bien que Staline « ne manifestât pas encore sa haine des juifs aussi ouvertement qu'après la guerre ». Dès le début des hostilités avec l'Allemagne. Iacha partit pour le front, en première ligne, et tomba aux mains des Allemands qui s'efforcèrent d'exploiter une telle prise. Ils lui infligèrent mille tourments pour le soumettre, mais Ia-:ha se comporta stoïquement, ne céda à aucun chantage. Les Allemands proposèrent à Staline . d'échanger son fils. Staline refusa, disant : ·« A la guerre comme à la guerre. » Il fit alors jeter en prison la femme de Iacha, sans rime ni raison. En 194 5, il annonça à Svetlana : « Les Allemands ont fusillé Iacha. » Commentaire sobre et émouvant de Svetlana : « Ia.cha avait enduré presque quatre ans de captivité, dans des conditions certainement plus terribles pour lui que pour n'importe qui d'autre... Il fut un héros calme et taciturne dont l'exploit resta inaperçu' et désintéressé autant que sa vie entière. » Aussi lâches et abjects l'un que l'autre, Hitler en la circonstance avait rivalisé de cruauté avec Staline. Celui-ci n'était pas plus délicat envers sa femme que paternel envers son fils : « La sœur
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