G. KROTKOV de la rue Wall-Street. Parce que l'histoire a prouvé que nous ne pouvons pas faire confiance aux agents des monopoles américains. Parce que nous, les juifs israéliens et moi, nous sommes sur des positions idéologiques diamétralement opposées. Le commandant Gavrilenko ne répondit pas sur-le-champ. Je l'entendis même qui poussait dans l'appareil un profond soupir. - Mais pourquoi donc, Isaac Moïsiévitch? dit le commandant Gavrilenko. Voyez-vous, à présent notre ligne est la coexistence. (Notre ligne, jolie expression !) Il faut certes nous méfier d'eux. Mais aller à une réception, boire deux verres de whisky,. dire des blagues ... estce si difficile ? Du coup, cela me mit hors de moi. Je me décidai à dire au commandant Gavrilenko le fond de ma pensée. Et je le lui dis. Oui, oui, je le lui dis -: - Camarade commandant, j'irais à l'ambassade d'Israël, j'y boirais un ou deux verres de whisky, j'irais même jusqu'à échanger des blagues ... si j'étais russe ou, disons, tatar. Mais je suis juif. Et je n'irai pas à l'ambassade d'Israël, je n'y boirai pas deux whiskies et je n'irai pas y blaguer. Je voulais ajouter que se trouver à l'ambassade d'Israël et s'y trouver en qualité de juif soviétique, en dépit de la nouvelle « ligne », c'était tout simplement risqué. C'était dangereux. Quoi? Ne me dites rien. Je sais tout. Eh oui, chat échaudé craint l'eau froide. Quoi donc ? Ne m'en parlez pas. Je n'ignore rien. Je sais même que, du temps de la persécution des youpins, quelqu'un de notre confrérie est non seulement parti en guerre contre les « cosmopolites », mais a même effectivement renoncé à son papa et à sa maman juifs. Il y a eu des monstres de ce genre ... Pour toutes ces raisons, je préfère décidément ne pas aller à l'ambassade d'Israël, afin de rester malgré tout ce que je suis, un juif. Mais, de cela, je ne soufflai mot au commandant Gavrilenko. Je me suis retenu. Quant au commandant, naturellement, ayant reçu un ordre d'en-haut, de nos gros bonnets, il articula ce qui suit dans le téléphone : - Isaac Moïsiévitch, je vous compr!!nds. Il ne vous est certes pas très agréable de fréquenter des juifs israéliens. Ce sont des _gens qui vous sont totalement étrangers par l'esprit. Mais je pense que dans l'intérêt de notre cause commune, en prenant en considération Biblioteca Gino Bianco • 123 la requête du K.G.B. de !'U.R.S.S., vous y ferez quand même un saut une ou deux fois. Montrez-vous. Faites une apparition. Dissipez toutes ces fables... Oh, là, là, que voilà un air connu : « Dans l'intérêt de notre cause commune ... » La fameuse cause commune, que vous en semble? Pour ma part, j'ai comme l'impression d'être venu au monde sous ce slogan : « Dans l'intérêt de notre cause commune. » Et tout d'un coup je sentis que j'étais prêt à la révolte. Oui, oui, moi, juif soviétique, j'éprouvai soudain que j'étais prêt à me révolter. Ce que je fis. Je déclarai au commandant Gavrilenko en détachant bien mes mots, comme un homme : - Et qu'est-ce qui va se passer si je vous réponds catégoriquement : non ? Peut-être bien que vous allez me mettre en prison parce que je ne veux pas aller à l'ambassade d'Israël? Hein ? Peut-être vous souvenez-vous encore de la maison d'édition en province, à Kolyma? Hein? Gavrilenko, ce commandant rusé, se mit à rire et tourna la chose à la plaisanterie : - Ces temps-là sont révolus. Les Editions « Kolyma » ont été liquidées. - Je vous demande pardon, mais qu'en est-il d'une autre maison d'édition, le K.G.B. de !'U.R.S.S. ? prononçai-je, et mon pouls cessa de battre pour une minute. Et que diriez-vous si le pouls du commandant Gavrilenko avait lui aussi cessé de battre pendant une minute ? Toujours est-il que nous nous tûmes tous les deux. Une minute durant. Une minute exactement. Après quoi, le commandant me demanda simplement la permission - je dis bien la permission - de me passer un coup de fil, comme on dit familièrement, dans un jour ou deux. * * * ET EFFECTIVEMENT, il me rappela très exactement deux jours après, de nouveau tôt dans la matinée. Cette nuit-là je ne fermai pas l'œil, et dès cinq heures du matin je ne cessai de regarder l'appareil de téléphone. J'attendais. J'attendais. La « petite conversation » recommença et, quant au contenu, elle fut très semblable à la précédente. Derechef, elle se termina sans résultat. Comment trouvez-vous mon audace ? Hein ? En fait, j'étais même obstiné. Quant au commandant, il se montrait terriblement patient.
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