Le Contrat Social - anno XI - n. 2 - mar.-apr. 1967

122 mées sur papier couché. Et moi, crétin, imbécile, sale youpin, je n'ai pas su résister à ma curiosité nationale, et une fois j'y suis allé. Oui, oui, je suis allé à cet hôtel particulier sur l'Arbat, qui, par un étrange concours de circonstances, se trouve juste à côté d'un « dessaouloir ». Et si j'ai gardé quelque souvenir de l'hôtel sur l'Arbat, c'est bien le regard que le milicien à l'entrée, vous savez, un énorme gaillard avec le revolver au côté, a jeté sur ma personne et sur ma carte d'invitation. Aïe, aïe, aïe, quelle histoire après cela ! On me convoqua, naturellement, à la Loubianka. Je ne dis pas : on m'invita, je dis bien : on me convoqua. Le commandant Gavrilenko, de la Sécurité d'Etat, eut une « petite conversation » avec moi. Ce commandant ... Son visage me rappelait que l'homme, à une certaine époque, était un poisson. Le commandant Gavrilenko s'exprima de la sorte : - Vous savez ce que c'est que des sionistes ? Vous savez ce que c'est que des espions ? Vous savez ce que c'est que des impérialistes de la rue Wall-Street ? Et sans attendre mes réponses, il ajouta : - Si vous allez encore une fois à l'ambassade d'Israël, vos livres seront publiés exclusivement en province, par les Editions « Kolyma ». J'avais compris avant même qu'il achève. Qui plus est, bien entendu, il fit part de mon comportement « _hérétique » à l'Union des écrivains soviétiques et je fus convoqué, non pas invité, mais bien convoqué par « Ja Barbe ». Il se trouva que « la Barbe », elle aussi, usa du nom propre de « Kolyma ». Bien. Très bien. C'en était fini pour moi avec l'ambassade d'Israël. J'étais maintenant quelque peu au courant des manigances de messieurs les impérialistes de la rue WallStreet. Et Dieu merci ! les Tchitchérine israéliens comprirent d'eux-mêmes que, pour le bien des juifs moscovites, il valait mieux cesser d'envoyer des .cartes d'invitation imprimées sur papier couché. * * * M AIS VOILA QUE Staline mourut. Il était mort. Cinq ans, dix ans passèrent. Et figurez-vous que je commençai à recevoir de nouveau des cartes d'invitation de ladite ambassade, comme devant _imprimées sur papier couché. Que pensez-vous que je vais en BibliotecaGino Bianco CONTES ET NOUVELLES faire m~intenant, après la mort de notre père ? Je les mets sous enveloppe, j'écris sur l'enveloppe, très lisiblement : « K.G.B. de !'U.R.S.S., commandant Gavrilenko », et je jette le tout dans la boîte aux lettres. Sans timbre. Ça arrivera. Bref, je continue à ne pas aller à l'ambassade d'Israël. Je me convaincs que je suis un juif soviétique et que tous les autres· juifs, audelà des frontières de notre patrie,· sont des juifs impérialistes. J'y croyais presque, en tout cas j'étais bien près de le croire, jusqu'à ce qu'un beau jour la sonnerie retentît. Oui, oui, la sonnerie ... C'était de bonne heure, le matin. Le téléphone carillonnait. Je décrochai 1~récepteur et j'entendis une voix pateline, amicale : - Isaac Moïsiévitch ? Je vous souhaite le bonjour ... C'est le commandant Gavrilenko, de l'appareil central du K.G.B. de l'Union. Mon cœur, voyez-vous, comme on dit, se mit à battre la chamade. Je me demandai aussitôt ce qu'il pouvait bien me vouloir. N'allaitil pas y avoir de nouveau une « petite conversation » où il serait question des Editions « Kolyma » ? - Isaac Moïsiévitch, dit le commandant Gavrilenko après quelques paroles banales, nous avons une prière à vous adresser. Je demandai : - De quoi s'agit-il ? Il me répondit : - Nous aimerions que vous commenciez à fréquenter l'ambassade d'Israël. Vous savez, dans le corps diplomatique, le bruit court que les juifs de Moscou évitent l'ambassade d'Israël; qu'ils craignent de fréquenter les juifs israéliens, bref, des choses dans ce goûtlà... Il nous faut dissiper ces fables. Ce ne sont que des absurdités. Est-il possible que vous ayez peur des juifs israéliens ? Essayez un peu de répondre à cette question, étant un juif soviétique. Essayez pour voir. Oh ! Je rassemblai mon courage, je ne sais comtpent, et je dis : - Oui. Ils me font peur. - Pourquoi? A cet instant, je décidai de me payer la tête du commandant Gavrilenko. Je lui dis : - Parce que ce sont des sionistes, des espions, des provocateurs et des impérialistes

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