82 possible en l'occurrence pour le parti et pour le pays dans son ensemble sR. Combien différent était Lénine, à cet égard. Celui-ci soumit ses idées « choquantes » à un parti qui n'était nullement préparé à les recevoir. A la première réunion du Comité central bolchéviste où Lénine présenta ses propositions (esquissées dans les Thèses d'avril), il ne recueillit que deux voix (treize voix contre et une abstention) 39 • Rien d'étonnant à cela : deux semaines seulement avant l'arrivée de Lénine, Staline lui-même ne prônait-il pas une politique de défense nationale en déclarant : « La politique la plus absurde serait de proposer que l'un des belligérants dépose les armes et rentre dans ses foyers » 40 ? Or, quelques semaines après son retour, Lénine était 38. On trouvera un compte rendu très instructif des querelles à l'intérieur du parti s.-r. dans Oliver H. Radkey : op. cil. Le lecteur doit cependant savoir que les divisions fractionnelles, le fait que les intellectuels tenaient le haut du pavé dans ce parti essentiellement « paysan », la faiblesse de l'organisation, la forte infiltration de la police avant la révolution - tous ces phénomènes négatifs décrits par le professeur Radkey n'étaient en aucune manière le triste privilège des socialistes-révolutionnaires. Tous les autres partis socialistes souffraient de défauts similaires. Le Comité central bolchéviste, << dont la composition mérite d'être notée parce que c'est sous sa direction que l'insurrection d'Octobre s'est effectuée » (Trotski : Histoire de la révolution russe), comprenait exclusivement (peut-être à une seule exception près, insignifiante, celle d' Artem) des intellectuels- et des révolutionnaires· professionnels. Il en allait de même à la direction des menchéviks et des autres partis et groupes politiques. Le noyautage par la police fut bien plus profond parmi les bolchéviks que dans le parti s.-r. (où l'affaire d'Azev était, en 1917, assez oubliée). Les bolchéviks étaient, dans les dernières années avant la révolution, infestés d'agents de la police. Outre le cas fameux de Roman Malinovski, l'orateur bolchéviste à la Douma, les comités des villes principales étaient presque tous pénétrés par des mouchards. Sur cinq membres du comité bolchéviste de Pétrograd, quatre appartenaient à la police, le cinquième étant la. Sverdlov. Sur les cinq membres du comité de Moscou, trois étaient des bolchéviks et deux des mouchards. Le rédacteur en chef ·de la Pravda bolchéviste était l'agent provocateur Miron Tchernomazov. La forte « représentation ~ de l'Okhrana parmi les dirigeants bolchévistes s'explique entre autres par le désir des autorités de renforcer l'aile extrémiste (léniniste) opposée aux tentatives des « conciliateurs , pour réunifier bolchéviks et menchéviks (cf. G. Aifonson : Rossiia nakanounié révolioutsii [La Russie à la veille de la révolution], New York 1962). · 39. B. I. Nicolaïevski, Courrier socialiste (New York), sept.-oct. 1962, p. 132. 40. The Kerensky Memoirs, pp. 261-62. BibliotecaGino Bianco •Cf LE CONTRAT SOCIAL déjà le maître incontesté du Parti. Le génie de Lénine en tant que tacticien ne consistait pas seulement à savoir aborder de front les problèmes et, s'il le fallait, à transiger : il savait aussi conclure des alliances temporaires, des sortes de microblocs pour des fins ad hoc (méthode ·dont Staline usera plus tard, d'une manière plus sinistre). C'est dans cette tactique, qui s'avéra si heureuse en 1917 et par la suite, que réside sans doute le secret de sa victoire. Lorsque les dirigeants du Parti, les membres du Comité central et les « vieux léninistes » ( qu'il lui arrivait d'appeler « vieux imbéciles ») refusèrent de le suivre, Lénine s'allia aux meneurs semi-anarchistes des matelots et des soldats - les Dybenko, Rocha! et Podvoïski - qui devinrent à ce moment particulier et décisif ses auxiliaires les plus précieux. Des mois plus tard, il s'entendit avec les anciens « capitulards » Zinoviev et Kamenev contre l' « opposition de gauche » de Boukharine et Kollontaï qui avaient été, dans· les jours d'Octobre, parmi ses plus chauds partisans. Le parti s.-r., énorme mais divisé, aurait pu offrir à Tchernov - avec son autorité personnelle, sa popularité et son programme gauchiste mais raisonnable - de grandes possibilités de manœuvre politique. Un chef de la trempe de Lénine aurait su habilement jouer de la gauche contre la droite, particulièrement lorsque cette dernière, malgré sa force limitée, exerçait une influence indue dans le parti et sur le pays. Mais cela ne fut pas. La guerre, les erreurs de jugement découlant des expériences d'une révolution antérieure, la pusillanimité, l'inaction et l'absence de direction - tous ces éléments agissant simultanément - provoquèrent l'effondrement d'une révolution et assurèrent le succès d'une autre révolution. DAVID A.NINE. (Traduit de l'anglais) ,
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