Le Contrat Social - anno XI - n. 2 - mar.-apr. 1967

D. ANINE quant à la force relative des différentes fractions (et il n'y a aucune raison d'en douter), il existe une preuve que le centre tenait bien en main l'immense majorité du parti. Le IIP Congrès, réuni à la fin du mois de mai, élut un comité central dans lequel, sur vingt-cinq membres, trois seulement étaient des droitiers et un seul (Natanson), gauchiste. Tous les autres, sauf quelques indécis, soutenaient soit le centre gauche de Tchernov, soit le centre droit de Gotz-Zenzinov 36 • Cependant, au grand dam du parti s.-r. et de la révolution en général, le centre lui-même était désuni. Souvent Gotz et Tchernov parvenaient à agir de concert, n1ais en d'autres occasions la discipline de parti ou la simple solidarité faisaient défaut. De cette désunion du centre, l'aspect le plus curieux n'était pas tant les différences de programme entre les deux tendances que l'absence d'une véritable direction. Les dirigeants du centre gauche comme ceux du centre droit étaient des zimmerwaldiens modérés : soucieux de la défense du pays, ils souscrivaient à une solution de paix de compromis sans vainqueurs ni vaincus. Alors qu'une attitude défaitiste à la Lénine n'avait presque pas prise sur le parti s.-r. et qu'une paix séparée avec l'Allemagne était hors de question pour des raisons psychologiques et nationales, les deux fractions du centre auraient fort bien pu s'accommoder d'une politique purement défensive, assortie d'une réforme de l'armée. Kérenski rapporte que, peu avant Octobre, pareille réforme impliquant une réduction importante des effectifs fut entreprise par le général Doukhonine, le dernier commandant en chef. Cependant, comme beaucoup d'autres réformes amorcées par le Gouvernement provisoire, celle-ci vint trop tard et n'eut aucun effet. Or une réforme de l'armée qui aurait démobilisé les sodlats les plus âgés, assortie d'une proclamation annonçant la distribution des terres des propriétaires fonciers aux paysans, aurait probablement permis d'éviter l'insurrection d'Octobre. En outre, c'était la garnison de Pétrograd, composée de soldats de la vieille réserve et de partisans des bolchéviks, que Doukhonine se proposait de démobiliser. On ignore trop souvent que le succès de l'insurrection d'Octobre fut, en fait, quoique inconsciemment, assuré par le commandant du front Nord, le général Tchérémissov, qui, le 14 38. Radkey : op. cit., p. 221. Biblioteca Gino Bianco 81 octobre, lança un ordre aux unités de la garnison de Pétrograd pour les envoyer au front. Le coup d'Etat fut davantage une mutinerie de soldats et de marins de l'arrière qu ·une révolution du prolétariat 37 • Ainsi, un ensemble de mesures rapides, telles qu'un décret relatif à la terre, une démobilisation partielle et une convocation urgente de l'Assemblée constituante, auraient consolidé les « conquêtes de la révolution » et peut-être permis d'éviter l'avènement de Lénine. .. . . . . . .. DANS LES CONDITIONSoù se trouvait le pays, c'était le parti s.-r., le plus puissant et le plus influent, qui aurait pu lancer et mettre en œuvre ces réformes conjuguées. Ce n'est ni la bonne volonté ni l'imagination qui firent défaut. Ce qui manqua terriblement, ce fut une direction ferme et la notion que, dans les jours tumultueux d'une révolution, les résolutions de co1npromis, loin de résoudre les problèmes, ne font que les compliquer et ne remplacent pas l'action. La soif d'unité nationale fut trop forte, on eut par trop tendance à vouloir ne faire de peine à personne et, pire, à ajourner les décisions et leur application ... jusqu'à la fin de la guerre. Comme pour la réforme agraire, ce fut le cas pour l'Assemblée constituante dont l'ajournement constant, ' selon les observateurs politiques et les historiens, fut la décision la plus fatale de toutes. Logiquement, le candidat à la direction du parti s.-r., donc de la révolution tout entière, aurait dû· être Tchernov, l'homme qui personnifiait dans la Russie rurale le transfert intégral de la terre aux paysans travailleurs. Or, quoique jouissant d'une popularité presque indestructible (comme l'a prouvé l'échec de la campagne de diffamation lancée contre lui) et armé d'idées fort pertinentes, il montra de piètres qualités de chef. Tchernov fut incapable d'unir le centre du parti s.-r., la seule issue 37. V. Roudnev, maire s.-r.' de Moscou, cite le témoignage du fameux bolchévik N. Mouralov (qui fut l'un des chefs lors de la prise du pouvoir par les bolchéviks dans la deuxième capitale), selon lequel la force principale des bolchéviks à Moscou consistait en 40.000 soldats des unités de réserve et en 3.000 ouvriers seulement. Roudnev fait ~gaiement observer que la décision finale de proc~der à l'insurrection (ce que confirme le protocole n° 26 des minutes du Comité central bolchéviste publiées par l' lnsti tut Lénine en 1929), prise le 16 octobre, fut dictée principalement par l'ordre d<' Tchérémlssov. A cette réunion décisive, les représentnn I s ouvriers insistèrent sur ln pnssivité et l'lndiflérence du prol6tnrlnl de la capitale. Ce fut Lénine, appuyé par l{rylenko, qui fit clnirement comprendre que ce qui importait n'était pas tant l'nrdcur des ouvriers que celle des soldats qui ne voulnlcnt pns quit tf'r Pétrograd pour monter au front (cf. Sovremiennyé ZapiJki [Annales contemporaines], Paris 1932, vol. 50, pp. 444-45).

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