Le Contrat Social - anno XI - n. 2 - mar.-apr. 1967

CHEZ TROTSKI • • CONTROVERSE ET DÉCEPTION par Jacques de Kadt Sun LÉNINE, sa vie, sa personnalité, ses idées, son action, son œuvre, il existe déjà une documentation et une littérature considérables. Rien de tel sur Trotski, son brillant second dans la révolution d'Octobre, dans la guerre civile et dans l'instauration du régime soviétique. A part l'ouvrage de Bertram Wolfe, Three who made a Revolution, qui fait sa juste part au futur créateur de l' Armée rouge, mais qui date de 1948 (beaucoup de matériaux manquaient alors) et qui s'arrête à la guerre de 1914, on ne trouve pas sur lui de biographie recommandable. Malheur aux vaincus ... Cependant Trotski lui-même en est en grande partie responsable. Tombé de haut dans un combat non douteux contre des ennemis sans scrupules qu'il prenait pour des émules dévoyés, sous le régime dont il était l'un des principaux fondateurs, il n'a rien compris à sa défaite politique ni à son infortune personnelle et n'a pas su tirer profit du congé que lui signifiait l'histoire pour dégager la leçon de cette histoire. Banni dans le monde t capitaliste >>, refoulé de pays en pays sous la pression de l'Etat pseudo-prolétarien, pourtant libre de penser et de philosopher, libre de lire et d'écrire, mais se croyant détenteur d'une vérité immuable et choisi par le sort pour guider une révolution aussi permanente qu'imaginaire, il n'a pu « se tremper deux fois dans le même fleuve ». Au lieu de réviser ses idées constamment démenties par les faits et de contribuer dignement à sa propre critique, il s'est obstiné dans un rabâchage stérile, cantonné dans une chapelle misérable d'approbateurs et, par aveuglement et présomption, livré lui-même aux coups de l'assassin envoyé par Staline. En 1920, Bertrand Russell étant allé en Russie soviétique avait noté en ces termes son impression de Trotski : « Très napoléonien. Des yeux vifs, allure militaire, intelligence brillante, personnalité magnétique. Extrêmement bel homme. Serait irrésistible aux femmes et amant agréable tant que dure sa passion. Une Biblioteca Gino Bianco vanité plus grande même que le goftt du pouvoir ; la vanité d'un artiste ou d'un acteur. >> Plusieurs des traits ainsi remarqués se retrouvent dans les témoignages d'autres observateurs, ce dont les futurs biographes impartiaux ne manqueront pas de tenir compte. Mais le Trotski en exil qui s'aliène des solidarités précieuses et fait le vide autour de lui a entretenu la vanité subjective sans cultiver l'intelligence politique. Il ne supporte pas une objection pertinente ni ne tolère l'argument le plus loyal. Il se confine dans un schéma dogmatique étriqué qu'il prend pour du marxisme dont il s'attribue l'interprétation exclusive et infaillible. Il rivalise de sectarisme et d'intransigeance avec les persécuteurs qui l'ont proscrit, qui massacrent sa famille charnelle et sa famille spirituelle, qui plongent la Russie et l'Europe dans un malheur indicible. Il n'était pourtant pas un homme fini, dans l'ordre intellectuel, certains de ses écrits l'attestent, notamment ses Mémoires et son Histoire de la Révolution russe, outre ses commentaires sur Lénine et sur Staline. Ce sont d'indéniables contributions à la connaissance de notre époque, pour les historiens qui sauront les passer au crible. Ce sont aussi les matériaux essentiels d'une future biographie sérieuse tant que les archives de Moscou resteront lettre close. A quoi il im:porte d'ajouter les souvenirs sincères, les mémoires désintéressés de ceux qui ont fréquenté le personnage et qui se montrent capables de témoigner « sans haine et sans crainte ». Dans cet ordre d'idées, nous avons déjà publié des « Entretiens avec Trotski • de Fritz Sternberg, dans notre n° 4 de 1964. On lira ci-après le récit vivant et sans apprêt d'une visite • chez Trotski ,. en 1933, par Jacques de Kadt, traduit du néerlandais, langue peu répandue en dehors des Pays-Bas et des anciennes possessions hollandaises. Il sera complété par le chapitre « chez Simone Weil » relatant la rupture de Trotski avec l'auteur. - B. S. (Voir en dernilre page la notice ,ur Jacqu~, de Kadl).

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