Le Contrat Social - anno X - n. 2 - mar.-apr. 1966

QUELQUES LIVRES formé toute leur vision du monde et même de l'Eglise. C'est à partir de là que l'auteur, pour conclure, passe à un plan général et distingue, dans les idées sociales, un esprit « hiérarchohiératique » qui s'opposerait à un esprit « démocratico-progressif ». Ce sont ces deux esprits, pense-t-il, qui sont entrés en lutte parmi les chrétiens de 1900, ou plutôt c'est le second, apparu ou reparu après une longue éclipse, qui s'est heurté parmi eux à un système d'autorité et d'immobilité. Mais ce schéma, adéquat à la situation de 1900, est-il applicable à toutes les autres ? Il semble plutôt que l'alliance de la démocratie et du progrès, ce que M. Montuclard appelle l'esprit « démocratico-progressif », est un fait des XVIIIe et XIXe siècles, nullement un fait universel. Au XVIeet au XVIIesiècle, le machiavélisme et l'absolutisme se présentaient comme un progrès sur les gouvernements tempérés. Au xr siècle, la technocratie et les multiples tyrannies sont des administrations plus efficaces que la démocratie traditionnelle. Le grand argument de celle-ci, de · nos jours, ce n'est plus le progrès, c'est la morale : on lui pardonne la lourdeur de sa machine en faveur du respect de l'homme et des libertés. D'ailleurs, la démocratie est-elle une idée neuve dans l'Eglise ? Celle-ci est, dit le catéchisme, une société parfaite, parce que sa constitution emprunte des éléments à la monarchie, à l'aristocratie et à la démocratie. Ces éléments de démocratie, d'autres ont voulu déjà les développer bien avant le xr siècle. Au temps même de l'absolutisme, le richérisme était une théorie de la démocratie dans le gouvernement de l'Eglise. Richer vivait sous Henri IV : l'influence de son système fut assez puissante et durable pour inspirer la Constitution civile du clergé en 1790. On ne voit pas pourtant qu'elle ait conduit ses adeptes, au XVIIeet au XVIIIe siècle, à remettre en question leur conception de l'apostolat, de la place de l'Eglise dans la société civile, etc. Autrement dit, la même cause n'a pas produit toujours les mêmes effets. C'est, peut-être, que ce n'était pas tout à fait la même cause. M. Madiran a très heureusement distingué deux démocraties. L'une, simple mode de désignation des gouvernants ou d'adoption de la loi, qui peut, dans une Constitution, être 1nêlée à d'autres éléments, • qui est une technique de tous les temps. L'autre, conviction mystique et jalouse, qui dénie aux autres gouvernements toute valeur et tout droit d'exister ; c'est celle des Athéniens antiques dans leurs guerres civiBiblioteca Gino Bianco 123 les, et c'est celle de la Révolution française. C'est celle aussi qui a saisi les démocrates chrétiens de la fin du XIXesiècle au point de changer leur idée de toute chose, y compris de leur propre Eglise. Seul un absolu, en effet, peut l'emporter sur un autre absolu au point d'influencer des idées religieuses. C'est tout le malentendu du Ralliement : Léon XIII voulait qu'on se ralliât à une forme de gouvernement ; les abbés démocrates se rallièrent à un principe mystique. JEAN-PAULDELBÈGUE. Un roman, pour changer GEORGESSÉDIR: Le Mal slave. Paris 1965, Julliard édit., 326 pp. RENDRECOMPTEd'un roman, c'est déroger à une ligne de conduite qui, pour une revue comme la nôtre, semble aller de soi. Aussi n'est-ce pas sans de bonnes raisons que nous présentons l'œuvre récente de M. Georges Sédir : par le sujet, le cadre, les détails de l'intrigue, certaines préoccupations de l'auteur aussi, elle requiert l'attention à l'égal d'un journal de voyage ou d'une étude sociologique. G. Sédir a publié en 1964 un court roman, Les Ombres d'un été romain, aux accents lyriques et ésotériques. Si son nouvel ouvrage confirme les qualités littéraires du premier, il en diffère entièrement par le propos. Cette fois, il s'agit avant tout de la découverte d'un pays d'Europe orientale. Celui-ci vivant sous le régime communiste, les aspects du système sont décrits en même temps que les mœurs et les coutumes, tout ce que G. Sédir nomme la « slavité ». Quel est ce pays ? L'auteur laisse entendre qu'il est fictif et un critique a pu parler d'une quintessence des réalités slaves. Lorsque le narrateur entreprend, pour les besoins de son emploi, toute une série de déplacements hors des frontières de l'Etat où il réside, on est amené à penser qu'il voyage en Hongrie ou en Roumanie, par ce qui nous est dit de « la vérité intime des nations visitées » : Même celles qui, toute leur vie, avaient lutté contre le monde slave, m'en paraissaient imprégnées. L'espace immense de l'Est européen baignait dans cette slavité fatale à base de misère et de musique, de folie, d'anarchie, de sourire et d'alcool. Et, çà et là, de vieux vestiges d'Autriche-Hongrie. Le début du roman montre Etienne, au retour de sa République populaire, débarquant

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