Le Contrat Social - anno X - n. 2 - mar.-apr. 1966

122 faut tendre, car la force qui c~nserve est dans le repos », écrit Bonald. Il s'agit donc d'édifier une société close, immobile dans l'espace et le temps, c'est-à-dire totalement anachronique, au milieu d'une Europe où s'accélèrent les évolutions, dans une France où l'on assiste à un rapide renouveau de l'esprit révolutionnaire. Mais cette doctrine théocratique est fragile le ver est dans le fruit. Pour le constater, il suffit de suivre l'évolution, de 1824 à 1830, du Mémorial catholique} journal de Lamennais et de ses amis. Cet organe ultramontain, qui combattait à la fois le libéralisme et le gallicanisme, finit par entretenir de bonnes relations avec le Globe et se mit à réclamer la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Après 1830, pour quelques mois, il deviendra l'Avenir} précédant la rupture définitive de l'abbé Lamennais avec l'Eglise. Il n'est pas sans intérêt de rapprocher les thèmes de Bonald et de la hiérarchie ultramontaine avec ceux des Institutions républicaines de Saint-Just. Dans les deux cas, il s'agit d'une société agricole et patriarcale, fermée à toute évolution ou influence extérieure, ·ici au nom de la vertu, là de la foi. L'une et l'autre ont leurs temples et leurs rituels, leurs vieillards qui commandent à la jeunesse et leurs hérétiques que l'on rejette dans les ténèbres du_ Mal au nom d'un univers où règne le Bien. La République de Saint-Just n'était qu'une utopie, un rêve de paix éternelle né dans les affres d'une terreur sans fin ; la monarchie théocratisée, elle, représentait une tentative de construction politique visant à l'éternité dans un monde qui, dès ce moment, était menacé d'éclatement sous la pression du capitalisme industriel. Ce monde est-il réellement disparu ? se demande l'auteur. Nous ne le croyons pas plus que lui. L'aspiration à une société fermée, dans laquelle se serait arrêtée l'histoire, est de. tous les temps : tantôt, elle se nourrit des souvenirs embellis d'un passé habituellement mythique ; tantôt, elle se donne comme scientifique ou positive. Mais il existe aussi des tentatives anachroniques, absurdités nées à la faveur d'une situation chaotique, comme l'Etat de Vichy qui découvrait son théoricien en la personne de Bonald. Au fond, n'en va-t-il pas ainsi de tout système qui prétend à une vérité définitive ? M. C. Biblioteca Gino Bianco • X LE CONTRAT SOCIAL Les chrétiens dans la cité MAURICEMoNTUCLARD: Conscience religieuse et démocratie. Paris 1965, Editions du Seuil (coll. Esprit « la Cité prochaine »), 288 pp. COMMENfTeindre de l'ignorer ? L'auteur n'a pas toujours été qu'un chercheur : homme d'action spirituelle, il fut ce R. P. Montuclard qui, au lendemain de la dernière guerre, animait le mouvement Jeunesse de l'Eglise. De là un surcroît de curiosité pour le livre où celui qui est aujourd'hui M. Montuclard étudie l'aventure de la démocratie chrétienne entre 1891 et 1902. Cette curiosité n'est pas déçue. Assurément M. Montuclard fuit l'anecdote ; il ne se révèle pas historien, mais sociologue. Le pittoresque, .. le pathétique des « abbés démocrates », ce n'est pas dans son livre qu'il faut le chercher ; il dissèque. Mais en véritable homme de science, il dissèque pour vérifier une hypothèse, et celle-ci est assez ample pour ramener, si l'on veut, à l' actualité, et, en tout cas, nourrir une discussion élevée. Il l'expose dans une conclusion méthodologique qui tire, en quelque sorte, la morale de l'ouvrage. Il y distingue de la doctrine religieuse proprement dite, du Credo, le « réseau de croyances » qui l'entoure, qui en est la traduction et l'accompagnement dans une société donnée. Les idées religieuses d'un teilhardien de 1965 ne sont pas celles d'un légitimiste du XIXesiècle. D'un point de vue religieux, ces différences s'effacent dans la communion des saints ; pour le sociologue, au contraire, elles sont l'essentiel, car elles lui révèlent l'esprit de cette société. M. Montuclard montre que les « démocrates chrétiens » de 1900 ne se contentaient pas de différer de leurs coreligionnaires par les idées politiques. Celles-ci peuvent être assez aisément dissociées de la religion. Mais ils avaient aussi leur sentiment particulier sur l'attitude des chrétiens et leur rôle dans la société ; et, tenus · par la logique d'une idée qui les menait bien au-delà de leur projet initial, ils allaient jusqu'à faire leur propre théorie de l'organisation même de l'Eglise. Partis d'une simple technique du gouvernement' civil, ils étaient ainsi conduits, de proche en proche, à remettre tout en question. Sous l'empire de quel principe ? Celui de la démocratie, dit M. Montuclard. Comme conviction sincèrement acceptée et vécue, elle a trans-

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