120 modalités secondaires d'application. Cependant M. Mothé peut témoigner de ce que la moindre explication, la moind~e discussion, par le fait qu'elle rompt la monotonie des heures de travail, est de nature à rendre au travailleur le « sentiment de son existence ». Ce qu'il dit des méthodes syndicales s'applique mieux encore à celles de la hiérarchie d'entreprise. Ce qui, à ses yeux, définit encore la condition prolétarienne c'est la subordination à une organisation de la production qui exclut toute connaissance de ses buts, voire de ses moyens : pour l'essentiel, les vieilles méthodes militaires de commandement n'auraient guère changé. Ces méthodes, on les retrouve naturellement à la C.G.T. et, plus précises encore, au parti communiste. Ici, l'auteur reprend -nos constatations vieilles aujourd'hui de plus de quinze ans : « Le travailleur aliéné dans son entreprise, dit-il, le militant aliéné dans son organisation sont les deux traits parallèles qui caractérisent la société » (p. 142). Rien n'est plus juste en ce qui concerne le P.C. : le travailleur qui met ses espoirs dans une idéologie révolutionnaire doit les abandonner lorsqu'il y entre ; véritablement châtré par l'appareil, il lui faut croire à un monde simplifié où s'opposent le bien et le mal, à un « mythe du socialisme, présenté comme une société où l'homme n'a, plus de problème » (p. 148). M. Mothé décrit le membre du P.C. comme « réduit à l'état loqueteux de machine à justifier à tort et à travers » la politique et le régime soviétiques. Devant les adversaires et les jeunes, rétifs, « le militant [du P.C.] préfère se boucher les yeux que de toucher à un poil de son système de .pensée déformant la réalité non par goût machiavélique, mais simplement par besoin de préserver son confort intellectuel » (p. 156). L'auteur a lui-même appartenu à une minorité révolutionnaire qu'il juge aujourd'hui anachronique : le révolutionnaire « ne va plus vivre le présent, il va le bannir de son univers ; il va vivre à la fois le passé et le futur » (p. 160). Il se contente de dogmatiser et de prophétiser une chute du capitalisme dont personne ne constate les signes avant-coureurs. La conclusion est que « le syndicalisme révolutionnaire a de moins en moins de place réelle » (p. 166). En réalité, les syndicats ne sont plus des organes de la lutte de classe entendue dans le sens traditionnel, ils se prétendent les intermédiaires obligatoires entre les salariés et là direction des entreprises : position hybride entre la participation réclamée et la contestation maintenue, position limitée du fait de la multiplication des règlements dont il s'agit d'ailleurs BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL de se faire souvent les avocats. La situation des délégués du personnel est triplement ambiguë. Bien qu'élus au suffrage universel, ils sont présentés par un syndicat et ils en sont beaucoup plus les serviteurs qu'ils ne sont les représen- · tants qualifiés de leurs mandants. Leur indépendance est presque nulle, ils ne. demeurent les défenseurs des intérêts ouvriers que dans la mesure où ils entretiennent de bons rapports avec les cadres dirigeants. Ils risquent ainsi d'être soupçonnés de trahison par les mécontents alors que, dans le cas contraire, ils ne manquent pas ·de s'entendre traiter d'incapables. Situation logique, dirons-nous, pour des intermédiaires entre des groupes qui vivent dans une méfiance réciproque ... Peut-être pourrait-on _appliquer à la situation contradictoire du délégué ou du militant ouvrier ce que Sidney e~ Béatrice Webb disaient du fonctionnaire syndical... en 1895 ·: « Incons- " ciemment sollicité par le dégoût du travail dur et ingrat qu'une grève impose, il se sent peu de sympathie pour les démarches des ouvriers et fait un compromis sur des conditions qui déplaisent à une grande partie des me1nbres de sa section (...). Des cris de trahison, de tromperie s'élèvent. Hélas, il n'y a pas tromperie ! Ce n'est pas sa moralité, mais son intelligence qui est corrompue 1 • » Telle est la contradiction historique entre ce qu'on. nomme la participation et la contestation, contradiction variable suivant l'échelon et l'importanèe des responsabilités syndicales. De plus en plus, le responsable syndical, le membre du comité d'entreprise sont placés devant des impératifs économiques qui s'imposent soit en vertu de la législation, soit en vertu de la concurrence ou du progrès technique. Dans l'impossibilité de les enfreindre, la marge de négociation entre la direction et les salariés est toujours étroite. Devant ce fait, les accusations lancées a priqri contre les syndicats tombent, la phraséologie révolutionnaire ou soi-disant telle manque son but. En revanche, une participation efficace pourràit s'établir dans l'organisation du travail (prévue d'ailleurs dans les conventions collectives des syndicats américains) si elle ne battait pas en brèche de vieilles habitudes du patronat, lequel répugne à manifester ses intentions, et du syndicat qui a peur de prendre une responsabilité. Pour ces deux raisons, l'usine fait semblant de se libéraliser, quelle que soit sa nature jµridique ou privée. L'auteur peµse que l'activité syndicale ne peut se contenter de tendre, pour chaque caté~ 1. Histoire du trade-unionisme.
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