QUELQUES LIVRES directe » d'autrefois fut, à notre avis, la rareté relative de la qualification ouvrière. Il suffisait alors que les ouvriers qualifiés, travaill~nt à la production, se missent en grève, pour entraîner du même coup les manœuvres. Aujourd'hui, une grève ne revêt une certaine importance que si les ouvriers non qualifiés se trouvent parmi les initiateurs du mouvement. L'auteur parle des générations différentes de militants qui ne se comprennent plus : les souvenirs des anciens sont dépourvus de sens pour les jeunes. La vie sociale que connaissent ceuxci tend ·à s'institutionnaliser depuis l'entreprise jusqu'au Conseil national économique ; ce qui provoque la fonctionnarisation des syndicats, la spécialisation technique de leurs dirigeants et, en conséquence, leur éloignement physique, voire moral, de la vie en usine. De là, chez les vieux syndiqués restés « sur le tas », cette nostalgie d'un temps où ils jouaient leur existence dans des initiatives souvent dangereuses - qu'on se rappelle la mise à l'index par les chefs d'entreprise, avant 1936, des militants de la région parisienne. A l'époque, l'adhésion syndicale signifiait l'acceptation d'un risque, par conséquent un dévouement et un désintéressement que seule une élite pouvait se permettre. Là résidaien·t l'honneur de la classe oùvrière, sa valeur humaine et la justification de son espérance révolutionnaire. Il n'en va plus de même aujourd'hui, dans les syndicats de notre société industrielle. M. Mothé raille les méthodes de recrutement des centrales concurrentes, chacune faisant miroiter les avantages sociaux qu'elle peut procurer. Sans doute ces derniers sont-ils insuffisants, car en France_le recrutement reste difficile... L'analyse de l'auteur ne met pas en lumière une loi qui se dégage de l'observation des faits depuis les débuts du syndicalisme : seuls les syndicats à bases multiples réunissent de grandes masses d'adhérents, tels ceux d 'Allemagne, de Suède, de Belgique, d'Angleterre, etc. C'est la formule que préconisait vainement, dans l'ancienne C.G.T., la fraction groupée sous l'égide de la Revue syndicaliste. Quant aux syndicats américains, ils sont puissants dans la mesure où ils bénéficient de l'Unionshop qui rend l'adhésion pratiquement obligatoire. C'est une vue idéaliste, utopique, de croire qu'en temps ordinaire la masse entière des salariés adhère à une organisation syndicale unique. La situation de 1936 et celle de 1945, qui font exception, s'expliquent par des conditions politiques extraordinaires. La division syndicale actuelle, laquelle a sa source dans la mainmise communiste sur la C.G.T., ne fait Biblioteca Gino Bianco 119 qu'accentuer la faiblesse des organisations : en général, la masse n'aime pas choisir, donc elle s'abstient. M. Mothé invoque les moyens de la C.G.T., plus puissants que ceux de l'entreprise ... - et qui lui permettent une intoxication permanente des cerveaux ; il condamne sa tactique inefficace des grèves tournantes. Le manque de communication entre les ateliers favorise la C.G.T., dont seuls les dirigeants sont à même d'assumer les liaisons. Rien n'est plus absurde que les com1nuniqués de la C.G.T. et du P.C. rédigés en termes militaires (combats, victoires, etc.), pour des actions insignifiantes ou dont le résultat est nul. Ce ne sont, dit l'auteur, que « des mythes qui ont pour les valoriser justement un passé et une histoire qui leur servent de garantie » (p. 24 ), cette « histoire » étant celle de l'ancien syndicalisme... M. Mothé se fait l'écho de la méfiance des ouvriers envers les militants qu'ils soupçonnent d'être intéressés à leur « boutique ». Le rappel des luttes passées, ce mélange de « contes de fées et de catéchisme » (p. 115), n'a qu'une faible influence alors que les contrats collectifs assurent une progression modérée, mais régulière, des salaires. Ajoutons que la pratique des achats à crédit, que rend possible ladite progression, développe chez le salarié la crainte de rompre ces contrats par des grèves intempestives. Le syndicalisme a eu son stade romantique au temps où les salaires pouvaient dépendre de la combativité d'un atelier. De nos jours, « le charabia de la lutte de classes est toujours de rigueur, mais comme une toile de fond sans valeur ; on répète ces choses machinalement, sachant bien que les véritables problèmes sont ailleurs » (p. 126 ). Le militant syndical doit connaître les problèmes législatifs et contractuels et concilier ses arguments avec les besoins de la nouvelle société de consommation. Les premiers de ces besoins sont la stabilité de l'emploi et le niveau du pouvoir d'achat. Rien qui leur soit plus contraire que le chômage partiel ou une grève de longue durée. Le syndicat ne peut plus être le lieu de culture qu'il fut autrefois. Ce qu'on nomme les mass media remplissent aujourd'hui cette fonction, avec tout ce que cela représente de conformisme et d'adaptation à la mode. L'auteur, qui déplore cette carence, va jusqu'à écrire : « Il suffit de voir la tenue de la plupart des réunions syndicales pour être édifié et horrifié » (p. 109). On ne peut que partager ce jugement quand on sait qu'à la C.G.T. toutes les décisions viennent d'en haut et que ;amais on ne demande l'avis préalable des exécutants, ceux-ci n'ayant voix au chapitre que pour des
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