Le Contrat Social - anno X - n. 2 - mar.-apr. 1966

QUELQUES LIVRES La condition ouvrière DANIEL MOTHÉ : Militant chez Renault. Paris 1965, Editions du Seuil, 234 pp. IL Y A quelques années, M. Daniel Mothé, ouvrier outilleur chez Renault, avait publié dans la revue Socialisme et barbarie un recueil d'articles sous le titre « Journal d'un ouvrier ~>. Il s'agissait d'anecdotes relatives aux événements de l'époque (guerre d'Algérie, crise de . mai 1958~ etc.) et marquées par l'hostilité, de l'auteur envers la direction, sinon le principe même, des syndicats, et aussi par sa croyance, très « luxembourgiste », que les masses trouvent spontanément des solutions à leurs problèmes. Le présent ouvrage est d'une facture toute différente. M. D. Mothé, après avoir été un cégétiste opposant, adhéra à la C.F.D.T. et devint délégué d'atelier. Son attention se porte plutôt sur les situations propres à l'usine que sur les· événements politiques susceptibles de s'y refléter ; voici donc un témoignage· vécu, actuel, sur ce qu'on nomme les « relations humaines » dans une entreprise mécanisée, relations réelles, objectivement décrites et non vues à travers le prisme déformant des idéologies plus ou moins révolutionnaires. Des observations de M. Mothé, il ressort que le « prolétariat » des grandes usines de mécanique est fort différent du prolétariat traditionnel, hérité du siècle dernier et dont l'existence passée alimentait les catégories rigides de la dialectique marxiste. Ce prolétariat n'est pas, ou n'est plus, le « porteur de la. phil<n sophie » d'Engels et l'on doit se demander à son sujet si sa « mission historique » n'est pas simplement un mythe eschatologique, l'Idée ,, hégélienne socialisée et matérialisée par Marx ... L'ouvrier spécialisé (0 .S.) des temps modernes a fait l'objet d'une abondante littérature. Son comportement psychologique .a été analysé par de nombreux sociologues, et lorsque M. Mothé parle de la monotonie abrutissante de son travail répétitif, il ne fait que confirmer, dans sa sphère d'investigation, ce que tout le monde sait. La réglementation· des gestes et leur chronométrage par les employés du bureau d'ordonnancement sont des facteurs évidents de déshumanisation. Mais, ajouterons-nous, ils / . . . ' . ne sont pas, prec1s1onmise a part, s1 nouveaux que cela : dans les manufactures textiles d' Angleterre, plus tardivement de France, ouvriers, ouvrières et enfants étaient, dès le début du XIXe siècle, astreints à des travaux automatisés ·qui provoquaient l'indignation des socialistes du temps. En revanche, dans l'industrie mécanique, l'apparition des O.S. est à peine antérieure à celle de la chaîne : l'ouvrier professionnel y régnait encore en maître avant 1914. C'était l'époque où, dans l'ambiance du syndi- . calism~·révolutionnaire, se succédaient les grèves héroïques alimentant l'idéologie du mouvement ouvrier et perpétuant ses traditions du siècle précédent. Il est utile de rappeler qu'alors le manœuvre, l'ouvrier non qualifié ne participait que faiblement aux luttes des travailleurs professionnels. La passivité actuelle n'est pas seulement due à l'intégration, ni même à cette prudence syndicale si vivement dénoncée par M. Mothé; elle a ~ussi sa source historique dans le travail non qualifié, auquel revient aujourd'hui la première place, quantitativement parlant, dans ,es grandes entreprises. Une des raisons du succès de l' « action

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