112 Il est malaisé d'établir avec précision le nombre de Polonais déportés en Russie à l'époque. Les autorités soviétiques ont tout fait pour entourer d'un secret absolu les arrestations de citoyens polonais. On peut néanmoins avancer un chiffre à partir de comptes minutieux, confirmés par des sources soviétiques et les organes d'information de la Pologne communiste. Il ne s'agit ni de centaines ni de milliers de personnes. Après tant d'années, dans la Polityka de Varsovie (16 septembre 1965), I\1aria Turlejska écrit : Les déportations ont enlevé, en plusieurs vagues, des centaines de milliers d'hommes, parmi lesquels des profes~eurs, des artisans, des paysans et leurs familles. Il suffisait, hélas ! de la dénonciation par un voisin, de la lettre anonyme d'un ennemi personnel, pour être inscrit sur les listes à côté de policiers, de procureurs et de juges, bref, de représentants de l'appareil du pouvoir (entre autres exemples), de rescapés de l'occupation allemande. Officiellement, on parlait du nettoyage de l'arrière, c'est-à-dire des territoires frontaliers. On en parlait seulement, car la presse n'en faisait pas mention. Les historiens communistes d'aujourd'hui reconnaissent eux-mêmes qu'il s'agissait de centaines de milliers de déportés, et qu'il était interdit de faire état de cette réalité inhumaine. Que devient, à la lumière des calculs des émigrés et des services polonais, cette évaluation imprécise ? Combien de Polonais restait-il en Russie en 1959, lorsque, devant l'afflux des nouvelles, nous lançâmes une grande campagne pour le retour des prisonniers ? De l'entrée des troupes soviétiques en Pologne, en septembre 1939, jusqu'au début de la guerre germano-soviétique en juin 1941, 230.000 soldats polonais faits prisonniers furent déportés en Russie ; 990.000 civils subirent un sort identique en 1940 et en juin 1941. 12.000 soldats polonais internés en Lituanie et en Lettonie les suivirent. 210 .000 hommes furent mobilisés dans l'Armée rouge, 250 .000 arrêtés et condamnés à la prison et aux travaux forcés par les tribunaux ou le N.K.V.D. Au total, 1.692.000· personnes. Parmi eux, 46.000 hommes de troupe reçurent l'autorisation de quitter l'Union soviétique à la fin de l'automne de 1939. 77.200 hommes furent évacués au Proche-Orient en 1942 avec les forces armées polonaises placées sous le commandement du général Anders. Les membres des familles qui les accompagnèrent étaient au nombre de 37.300. En tout, 160.500. Il restait .donc en Russie plus d'un million et demi de personnes, parmi lesquelles on compte 415.000 morts, plus 15.000 malheureux exécutés sur l'ordre de Staline à Katyn et autres lieux. 219.300 personnes n'ont pas laissé de traces, BibliotecaGino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE en particulier celles qui furent assassinées lors de l'évacuation des prisons, après le début de l'offensive allemande. Il restait donc, au début de 1942, 881.400 Polonais en Union soviétiq~e. Il faut ajouter à ce chiffre les 50 .000 soldats de la Résistance arrêtés par traîtrise et déportés dans les années 1944-45, et autant de civils arrêtés à la même époque, ainsi qu'en 1945-46, et livrés aux autorités soviétiques par la Sécurité polonaise. En tout, 981.000 personnes, sur lesquelles 150.000 sont mortes avant 1955, 20.000 sont revenues avec l'armée Berling, 263 .400 ont été rapatriées dans les années 1945-48 et, selon Trybuna Ludu, 9.000 de janvier 1955 à mai 1956, soit au total 292.400 personnes. Il restait en Russie 539.000 Polonais, ou, selon d'autres estimations, 566.000. Ces deux chiffres diffèrent peu de ceux " fournis par les sources communistes. Selon la brochure Pologne, terres retrouvées, publiée en 1948 par l'agence de presse de l'Ouest, le nombre de « Polonais pouvant encore revenir d'Union soviétique » s'élevait à 574.000. En réalité, ceux-ci étaient bien plus d'un demimillion. On savait peu de choses sur leur sort. Le rideau de fer ne laissait filtrer aucune information sur le martyre de nos compatriotes déportés. Obéissant en tout à Staline, les autorités de la Pologne « populaire » ne permettaient pas qu'on abordât le sujet. Dans la presse, à la radio, régnait le silence. Un silence de mort. Deux vagues de rapatriés DANS LE MÊMETEMPS, les gouvernements des pays ex-ennemis (République fédérale, Autriche, Italie) ne cessaient d'entreprendre des démarches énergiques pour obtenir le retour de leurs ressortissants prisonniers en- U.R.S.S. Du côté allemand, on en fit la condition sine qua non de la normalisation des relations diplomatiques entre Bonn et Moscou. Ces efforts tenaces furent couronnés de succès. Au début de 1955, Italiens, Autrichiens, Allemands, Espagnols, Belges, commencèrent à rentrer des camps soviétiques. C'est alors que naquit l'idée de créer un réseau de correspondants de Radio-Europe libre, afin de rassembler, par l'entremise des rapatriés, des nouvelles des Polonais dispersés sur le territoire inaccessible ae l'Union soviétique. Le sentiment du malheur commun se montra plus fort que les anciens antagonismes. Les prisonniers libérés donnèrent volontiers des informations sur leurs camarades polonais rencontrés dans ·les .camps
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